Dog days (25.09.2007)

(Ulrich Seidl / Autriche / 2001)

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80283fbe8e52ec35cb2a2ac1c8616a80.jpgBienvenue dans le riant pays autrichien. Je connaissais la radicalité et la noirceur du cinéma de Michael Haneke. Je ne me doutais pas que cette sombre vision était si partagée par ses compatriotes. En 2001, Lovely Rita de Jessica Hausner suivait la route tracée par l'auteur du toujours dérangeant Funny games. Malheureusement, la description désespérée de la société n'était portée que par un réalisme glauque, une image d'une laideur absolue et un scénario gardant forcement pour la fin l'explosion attendue (et le regard caméra de l'héroïne au dernier plan, au cas où nous n'aurions pas compris la gravité de la situation). La même année, Ulrich Seidl, documentariste aguerri proposait sa première fiction Dog days (oui, apparemment, un film autrichien doit être distribué en France avec un titre anglais).

Avec Seidl, nous ne suivons pas deux jeunes gens partis torturer une famille bourgeoise, ni une ado poussée au meurtre, mais la trajectoire sur un week end d'une dizaine de personnages : une auto-stoppeuse folle qui agresse tous ses conducteurs, une femme ne communiquant plus avec son mari depuis la mort de leur petite fille et multipliant les expériences sexuelles, un amateur de tuning violemment jaloux de sa petite amie, un retraité très attaché à son chien et à son aide ménagère, un représentant en systèmes d'alarme menacé par des clients et enfin une institutrice malmenée par son mec et un invité. Il sera beaucoup question d'intrusion, de menaces physiques et d'humiliations : alléchant programme. Ces six histoires ne se croisent pas, ou rarement, ce qui nous épargne l'aspect film choral, parfois agréable mais tellement répandu de nos jours qu'il laisse toujours le spectateur avec la nostalgie du Short Cuts d'Altman. Seidl passe ainsi d'une scène à l'autre sans crier gare, démarrant ses séquences de manière très abrupte, créant par le montage des collages déroutants. Il filme principalement de deux manières différentes, alternant les deux sans que rien ne soit systématique : d'une part en caméra à l'épaule, d'autre part en plans fixes et très composés. Ces derniers cadrent notamment quelques habitants de la cité en train de bronzer dans leur jardin ou sur leurs balcons, vignettes entre l'absurde et le kitch.

Tout le monde bronze car la chaleur de ces jours est aussi étouffante qu'exceptionnelle, rendant les rues désertes et l'ambiance très étrange. Les conditions climatiques extrêmes poussent les corps à se dévoiler. Chacun se met à un moment ou un autre en sous vêtements ou entièrement nu. Le corps que l'on ne voit pas d'habitude est celui qui intéresse Seidl : celui des personnes âgées, celui qui prend des postures inesthétiques (s'épiler le pubis, chercher une position confortable et excitante pour faire une surprise à son homme), celui qui déborde. Autre recherche pour créer le malaise : tout ce qui a trait à l'humiliation. Plus sociale et purement violente envers les hommes et plus sexuelle envers les femmes, elle semble caractériser la plupart des rapports. Ces thématiques ne paraissent guère engageantes. Pourtant, on ne cesse de s'intéresser au film, on s'y attacherait presque. Seidl va loin, mais il y va avec humour, avec un sens du grotesque très sûr. Dans les moments les plus violents, on sent que quelque chose va faire retomber la tension avant qu'elle ne devienne insoutenable : un trait ridicule, une coupe adéquate. La scène la plus éprouvante du film offre ainsi, en même temps qu'un sentiment de malaise, une impression de jeu : plaisir des trois acteurs, jubilation du cinéaste à flirter avec les limites. Précisons que cette scène culmine avec le mari de l'institutrice obligé de chanter l'hymne national autrichien à genoux, une bougie allumée coincée entre les fesses.

Dernier point : l'oeuvre a une vraie force politique. Je l'ai dit, l'hymne national est assez bousculé et la victime traite son bourreau de "patriote" (l'Autriche sortait à peine de l'épisode Haider). Plus profondément, si je peux m'exprimer ainsi, Seidl pointe le refus de communiquer avec les étrangers, l'obsession sécuritaire, la recherche de boucs émissaires (ce sera la folle, celle qui aura dit ce qu'elle pensait trop haut). Chez Lynch ou Burton, on dit que le mal se terre derrière les belles façades des petites villes américaines. En Autriche, la cruauté et le désastre sont partout et les jardins entretenus et les maisonnettes repeintes n'offrent même pas l'illusion du bonheur.

Je conseille, avec les précautions d'usage, de se frotter à ce film ovni d'un Ulrich Seidl qui n'a pas l'air de s'être calmé depuis, vu l'accueil houleux qu'a reçu Import-Export, sa deuxième fiction, au dernier festival de Cannes et bientôt sur nos écrans.

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