Visages d'enfants (09.10.2007)

(Jacques Feyder / France - Suisse / 1925)

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dc3df46720f43c062aa5328d1ee49121.jpgUn village de montagne. La maison du maire. Tous les villageois sont venus. Car le malheur est dans la maison. Pierre le père. Jean son fils. Habillés de noir. Pierrette la petite soeur de Jean. La mère : un cercueil est descendu de l'étage. Voici l'introduction saisissante d'un beau film muet de Jacques Feyder.

Pour Jean, il va falloir apprendre à vivre sans sa maman. Il va falloir aussi, un an plus tard, accepter l'arrivée de la nouvelle épouse de son père, accompagnée de sa fille Arlette, du même âge que lui. Tous les éléments du mélodrame sont là et pourtant Feyder signe une oeuvre très singulière, toute en subtilité. Tout d'abord, le cinéaste se place résolument à hauteur d'enfant. Tout est vu par leur regard. Cela nous vaut des scènes de jeu ou de chamailleries particulièrement justes, car Feyder ne demande pas à ses petits acteurs d'en rajouter pour se mettre les spectateurs dans la poche. A ce titre, la scène qui voit Jean et Pierrette jouant sur leur petite île et repoussant Arlette est exemplaire. Anecdotique sur le papier, elle frappe par son attention aux petits gestes enfantins : Arlette s'approchant petit à petit, Jean et Pierrette intransigeants. Feyder porte son regard sans chichis, n'éludant pas la cruauté dont les enfants peuvent être capables dans leurs jeux ou leur rébellion. Il excelle aussi (grâce au jeu du petit interprète principal) dans la peinture d'un enfant sensible et bouleversé. Un passage étonnant voit ainsi Jean sortir d'une malle une robe de sa mère et poser sa tête comme sur son genou. L'honnêteté du regard concerne aussi les adultes dans ce film où "tout le monde a ses raisons". La belle-mère n'est pas une terreur, le père n'est pas une brute. Les crises ne surviennent qu'à l'occasion de malentendus, de maladresses, de manque de dialogues. La sobriété générale est recherchée par le cinéaste, qui refuse l'exagération des postures ou des réactions, même au plus fort de la douleur.

L'action est située dans les paysages alpestres, magnifiquement photographiés (une seule idée déplacée : une avalanche filmée en caméra subjective !), et dans ce décor naturel est filmé le labeur des uns et des autres, dans les rues et les prés. Détail significatif par rapport à ce réalisme sobre : la place de la religion. Elle est omniprésente par les crucifix dans les chambres, le recours à la prière, les curés des villages, les chapelles. Nulle trace de bondieuserie pourtant, juste une réalité, ce poids des pratiques religieuses à cette époque. A la manière de Griffith, Feyder termine son récit sur un sauvetage in extremis et sur un dernier mot/carton inévitable mais émouvant. Moins mis en avant que la nécessité de l'acceptation d'une vie nouvelle, le lien père-fils sou-tend l'ensemble. L'enterrement du début insistait sur la similarité des vêtements et des postures de Jean et de son père. Au final, la carriole de ce dernier peut s'éloigner sur le chemin car Jean peut commencer à re-vivre, aux côtés d'une seconde mère. Effet de mise en scène simple et éloquent, à l'image du film.

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