Le deuxième souffle (07.11.2007)

(Alain Corneau / France / 2007)

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c0646f3f576c7ee17b0e973287a5c58c.jpgDéfense d'un film descendu en flammes un peu partout pour crime de lèse-Majesté-Melville, casting de stars et esthétisme forcené (délit gravissime au pays du cinéma naturaliste).

Je pourrai jouer la provocation en avançant que cette adaptation du Deuxième souffle de José Giovanni est meilleure que celle réalisée par Jean-Pierre Melville en 66. Mais l'honnêteté me pousse à préciser que j'ai vu cette dernière il y a bien trop longtemps pour en garder des souvenirs précis. Et c'est probablement un avantage que de ne pas l'avoir trop en tête en regardant la relecture proposée par Corneau. Cela permet en tout cas de se laisser porter à nouveau par l'histoire du retour du vieillissant Gustave Minda au pays des truands et de savourer les quelques retournements de situation inattendus, puisque là est le premier plaisir du film : suivre un récit policier particulièrement bien ficelé.

L'esthétique du film a déplu, on parle de kitsch. Alors la photographie de Christopher Doyle pour les derniers Wong Kar-wai l'est aussi. Car on pense par moments à In the mood for love pour la façon d'éclairer ces intérieurs des années 60, sans que la similitude soit gênante, le travail d'Yves Angelo à l'image baignant la totalité de l'oeuvre dans cette ambiance quasi-irréelle. Ce choix radical permet également à Corneau de ne pas trop en rajouter du côté de la reconstitution et de tous les signes de l'époque. La photographie suffit à faire ressentir le décalage temporel. L'effet est souligné, a contrario, par le tout dernier plan, seul moment où le réalisateur laisse ostensiblement quantité de figurants envahir le cadre d'une ruelle sous une lumière tout à coup naturelle, belle manière de raccompagner en douceur le spectateur vers le monde réel après la fiction.

Les critiques se plaignent également de ne voir que des acteurs momifiés, de visiter un musée du polar (soit dit en passant, ce sont les mêmes reproches qui étaient adressés, en son temps, à Melville pour ses polars, devenus maintenant intouchables). Corneau veut faire passer le sentiment de la fin d'une époque (celle des truands "d'honneur"), l'engourdissement des figures, le ballet de spectres. Fallait-il qu'il fasse gesticuler ses interprètes pour ne pas risquer de s'entendre dire que tout cela manque de vie ? Et parlons-en des acteurs, tiens. Les vedettes abondent et jusqu'aux rôles secondaires, les têtes sont connues. Chacun est à sa place et fait ce qu'il sait faire de mieux : Duvauchelle, Dutronc, Duval, Melki, Nahon etc... Le personnage du commissaire joué par Michel Blanc est un peu trop univoque et omniscient, avec un dialogue farci de mots d'auteurs (dont la plupart sont cependant efficaces). Auteuil est bon, excellent dans certaines scènes, comme celles qui suivent le hold up où fébrile et inquiet il guette le grain de sable qui ne manquera pas de tout faire dérailler. Restent les deux choix qui fâchent : Monica Bellucci et Eric Cantona. Leur duo dans le night club du début fait peur, mais les choses s'arrangent par la suite. Bellucci n'est toujours pas une actrice convaincante, mais cette Manouche est ici une pure image, sans profondeur. Passant sur les scènes les plus intimes, on s'en accommode donc assez bien. Cantona s'impose sur la longueur. Sobre, il donne des instants justes face à Daniel Auteuil et rend crédible son dévouement. Et c'est finalement l'un de ceux qui font vivre le mieux la langue de l'époque.

Le deuxième souffle n'est pas sans défauts non plus dans sa mise en scène, mais ceux-ci résultent plutôt d'une joie de filmer mal contrôlée. Ainsi, aux deux extrémités du film, deux ratages sont évidents : la séquence du night club déjà évoquée et celle du règlement de comptes final entre gangsters, introduite par un effet visuel grossier et poursuivie dans une débauche de ralentis. Pour le reste, Corneau s'en sort remarquablement, ménageant nombre de surprises, visuelles, verbales ou scénaristiques, tenant jusqu'au bout son parti pris esthétique et offrant une magnifique scène de hold up, longue séquence enveloppée par la partition de Bruno Coulais et montée avec précision. Plastiquement ambitieux et cohérent, gardant un intérêt constant le long de ses 2h30, ce très bon policier français, déjà handicapé par une affiche atroce et une bande-annonce à faire fuir, n'avait pas besoin de subir les attaques sans discernement d'une critique toujours prompte à descendre les cinéastes post-Nouvelle Vague.

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