Un soir, un train (21.01.2008)

(André Delvaux / Belgique - France / 1968)

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4519bdbf3ba5b13bb1f17c7671acae16.jpgIl est difficile de rendre compte d'Un soir, un train et d'en dégager les mérites sans en déflorer la trame jusqu'à son aboutissement. Je tenterai donc de m'arrêter avant de trop en dire. Mathias (Yves Montand) est professeur de linguistique dans une université flamande. Sans être marié, il vit avec Anne (Anouk Aimée), costumière de théâtre, française un peu perdue dans cette province non-francophone. Le couple semble en crise, atteint par cette maladie bien connue, découverte en Italie au début des années 60 : l'incommunicabilité. Le soir, Mathias doit prendre le train qui l'amènera vers une université voisine où il doit donner une conférence. Il se dispute avec Anne, mais cette dernière finit par revenir vers lui et s'installer dans le même compartiment, juste avant le départ. C'est en plein trajet, après s'être assoupi, qu'un événement semble faire basculer Mathias dans une autre dimension : Anne a disparu, les passagers dorment tous, le train s'arrête puis abandonne Mathias et deux autres personnes dans une campagne qu'ils ne reconnaissent pas. Des flashs d'accident au moment critique et l'omiprésence, dans les minutes précédentes, de la mort sous diverses formes (du sujet de la pièce de théâtre sur laquelle travaille Anne à la visite de Mathias au cimetière), laissent peu de doutes quant à la nature du passage auquel est contraint le héros. Sauf que...

Un soir, un train se risque avec brio sur un terrain difficile et y croise d'illustres contemporains, puisqu'on peut penser, au fil des séquences, à Antonioni (le souvenir du voyage à Londres, où les mains des amants se cherchent et tentent de pallier aux difficultés à exprimer verbalement les sentiments), à Resnais (les reflux de la mémoire rendus par le montage), voire à Fellini (ce village déconnecté du réel). Ce qu'André Delvaux réussit parfaitement, c'est l'envahissement du quotidien par le fantastique, le passage de l'autre côté, pourtant clairement situé et daté, semblant se faire de manière progressive. A ce titre, la séquence du repas de midi entre Anne et Mathias est révélatrice. Chacun parle dans le vide, les champs-contrechamps fixes de part et d'autre de la table éloignent irrémédiablement les deux amants, Montand sort et revient dans le cadre sans explication, enfin, Delvaux lui fait fermer les volets d'une façon toute bunuélienne (qui sous-entend donc le désir sexuel autant qu'elle relève d'un absurde indéchiffrable).

L'étrange et le fantastique se déploient en toute logique plus directement dans la seconde partie. Delvaux prend un malin plaisir à effacer tout repère dans ce no-man's land qui nous mène à cette auberge aux clients et au personnel figés et blafards. Une danse macabre est le point culminant du voyage. Mon inculture en termes de peinture ne me laisse que deviner ce que l'ambiance du film doit aux maîtres flamands. De même, l'éloignement temporel et géographique de ces Flandres de 68 empêche de saisir toutes les allusions politiques sur ce pays aux deux langues (et plus : s'ajoutent ici l'anglais et l'idiome incompréhensible parlé dans le "village fantôme"). Le tout se clôt joliment sur un long plan qui libère enfin l'émotion d'un personnage. Mais j'ai promis plus haut de n'en rien dévoiler.

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