Viva Laldjérie (07.03.2008)

(Nadir Moknèche / France - Algérie / 2004)

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1856051809.jpgEst-ce que l'éloignement (pour ne pas dire l'exotisme) rend plus indulgent ? Sûrement qu'une scène de rue tournée à Alger se charge pour nous d'une autre dimension par rapport à la même qui nous montrerait n'importe quelle ville française. Je précise tout de suite : Viva Laldjérie est bien plus qu'un film informant sur une société. C'est une oeuvre ambitieuse et maîtrisée, un petit bijou.

Bien sûr, Nadir Moknèche, à travers ce double portrait (mère et fille), propose une vision de l'Alger d'aujourd'hui. Toutes les premières séquences sont là pour présenter les personnages et surtout pour rendre compte d'entrée des contradictions et des tensions secouant les hommes et les femmes algériennes. Les sorties en boîte de nuit, le sexe dans les toilettes, les amours adultères, les aventures homosexuelles, les problèmes financiers, sont autant d'éléments que l'on ne se s'attend pas forcément à rencontrer, surtout de façon aussi ouverte. Le cadre ainsi posé, le cinéaste peut ensuite approfondir les caractères, tracer des trajectoires, nous toucher réellement après nous avoir surpris. L'une des grandes qualités de Viva Laldjérie est son scénario. Admirablement écrit (par Moknèche lui-même), il ne cède pas à la mode du film choral qui entremêle souvent artificiellement les destinées de chacun. Si de très nombreux personnages secondaires ont leur importance, le récit garde comme point d'appui Papicha, l'ancienne danseuse terrorisée par les islamistes, et sa fille Goucem, qui, à 27 ans, perd ses illusions de mariage bourgeois et multiplie les aventures. Entre les deux femmes (l'interprétation, tant de la star Biyouna que de la jeune Lubna Azabal, est remarquable), les scènes d'incompréhension ou de colère existent, mais les rapports conflictuels attendus sont écartés. Cela fait que chacune suit son chemin (toute la dernière partie semble les séparer) même si les liens qui les relient sont toujours solides. Cette évolution n'est pas la seule preuve de l'excellence scénaristique du film. La plupart des séquences ne se termine pas comme on pouvait le soupçonner et régulièrement, Moknèche attend quelques instants pour délivrer toutes les informations sur l'identité ou l'intention réelle de ceux qui apparaissent devant nous. Il faut voir aussi la façon dont le cinéaste intègre parfaitement au récit des éléments à première vue pittoresques, comme le mariage qui bloque la circulation ou la visite à la voyante (cette scène étonnante qui permet de plus cet échange merveilleux : "- Avec cet homme, depuis trois ans, vous avez dû faire autre chose que vous regarder. - Évidemment. On est en 2003... - Si on est en 2003, pourquoi vous venez me voir ?").

La retenue dont il est fait preuve ici en ce qui concerne la politique n'est pas synonyme de manque de lucidité ou de courage. Les membres de la Sûreté Nationale n'ont rien de rassurant et les attentats islamistes sont craints (mais peuvent aussi servir de faux prétexte à un retard au travail). Dans ce monde écartelé entre fondamentalisme et liberté, presque tous rêvent d'ailleurs. Si la plupart sont tentés par l'Europe, d'autres, comme Papicha souhaitent retrouver un passé idéalisé. Cette mélancolie est rendue par une belle mise en scène. Si quelques instants du début laissent craindre une esthétique de sitcom, par les éclairages ou par un ou deux seconds rôles mal assurés, l'inquiétude est vite dissipée. Nadir Moknèche donne à chacun de ses plans la durée qu'il faut. Parfois, il laisse couler après la sortie de champ du personnage, laissant se développer un beau leitmotiv au piano sur des magnifiques panoramiques ou captant la vie qui continue, comme pour le très beau dernier plan du film. Réussissant à unifier bien des registres, de la chronique au drame, de la comédie au polar, Viva Laldjérie est une vraie découverte.

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