La règle du jeu (14.03.2008)

(Jean Renoir / France / 1939)

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Révision de classiques renoiriens (3/3).

Bien sûr, La règle du jeu, c'est notre monument national : celui qui, chez les professionnels, distance jour après jour Les enfants du paradis pour le titre de "meilleur film français de tous les temps", celui qui, chez les critiques, après avoir supplanté Charlot et le bon vieux Potemkine, n'a plus comme rival que Citizen Kane au niveau international (attention à la montée de La nuit du chasseur, quand même), celui qui, dans les lycées, a été le première oeuvre cinématographique inscrite au programme du bac. Je vous l'accorde, tout cela sent l'embaumement consensuel, le bon goût officiel. Mais peu importe après tout. Cela n'empêche pas d'y revenir régulièrement dans cette Sologne de 1939, par exemple avec le beau coffret dvd des Editions Montparnasse, sorti il y a de cela 3 ou 4 ans, et dont les multiples bonus démontrent la richesse inépuisable. Surtout, cela n'empêche pas de l'aimer un peu plus à chaque fois. Voici ce que je retiens de ma énième visite :

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L'interprétation : D'une équipe impeccable se détache le duo que forment le Marquis de la Chesnaye et le braconnier Marceau (respectivement Marcel Dalio et Carette), "couple" le plus simple et le plus drôle, par-delà la différence de classe. Les répliques et les attitudes de Carette sont inoubliables, comme cette façon qu'il a de lâcher à la fin d'une longue tirade et dans le même souffle "Tu veux une cigarette ?", à l'attention de Schumacher (Gaston Modot). Dalio, en marquis poudré, intelligent et détaché, nous touche dans son refus de se laisser aller à l'émotion lorsqu'il congédie Marceau ou quand il réalise qu'Octave est lui aussi amoureux de Christine, sa femme.

Les dialogues : Du célèbre "Tout le monde a ses raisons" à l'onctueux "Bonjour Schumacher, tu veux mon lapin ?", le plaisir est continu. Au plus fort de la pagaille, la plus belle trouvaille est bien cet échange entre le Marquis et son intendant : "- Corneille, faîtes cesser cette comédie ! - Laquelle Monsieur le Marquis ?".

La technique : Pratiquement pas un seul plan n'est anodin ou passe-partout. La continuité est parfaite entre les lieux. Mais la grande affaire de La règle, c'est la profondeur de champ. Celle qui, associée à la fluidité d'une caméra qui balaye tout le décor, permet de capter tant d'intrigues parallèles en même temps.

Le rythme : La brillante introduction à l'aéroport du Bourget puis dans les appartements parisiens du Marquis est déjà secouée par la brève et extraordinaire séquence de l'accident de voiture de Jurieux et Octave. A partir de là, l'arrivée des convives au Château de la Colinière déclenche ce tourbillon incroyable qui ne cessera qu'au petit matin suivant. Renoir, tout en conservant l'épaisseur humaine de chaque personnage, orchestre un ballet mécanique d'une complexité et d'une rapidité folle. Le point d'orgue esthétique du fameux croisement entre maîtres et serviteurs est le plan séquence qui colle aux basques de Schumacher cherchant Lisette en même temps que Christine, qui, elle, flirte avec Saint-Aubin sous les yeux de Jurieux...

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La morale : La mort rôde. La partie de chasse est montrée sans chichis, en insistant bien sur ces lapins abattus en pleine course (comme plus tard un homme...). Le soir, au plus fort de la fête, la petite représentation théâtrale provoque l'invasion de fantômes dans toute la salle, amorcée par ce plan magnifique qui part du piano mécanique pour cadrer la scène et les spectres. La description de cette société qui court à sa perte est ironique, certes, mais de là à voir dans La règle du jeu une préfiguration des massacres des années noires suivantes ou une volonté de dénoncer violemment un ordre établi, il y a un pas que certains ont toujours fait trop rapidement à mon avis. Il y a trop d'humanité dans le regard de Renoir pour condamner qui que ce soit et se laisser aller à tant de pessimisme.

Photos : Allocine.com

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