Limite (07.04.2008)

(Mario Peixoto / Brésil / 1931)

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478731531.jpgVu comme ça, ça a l'air facile le cinéma. Vous filmez longuement trois beaux jeunes gens dans une barque perdue au milieu d'une mer d'huile, dans un noir et blanc contrasté, sans autre son que la Gymnopédie n°2d'Erik Satie (réorchestrée par Debussy dans une version à tomber) et vous obtenez l'une des plus belles séquences du monde.

Le brésilien Mario Peixoto termine en 1931 Limite, son premier film, alors qu'il est âgé de 21 ans. Il ne réalisera rien d'autre jusqu'à sa mort en 1992. Rarement titre aura été aussi pertinent : limite géographique, limite psychologique, limite de la narration. Trois personnages, donc, se retrouvent en perdition en pleine mer. Entre deux retours dans cette barque, des bribes d'histoires nous sont contées, qui semblent les concerner. On nous parle d'une femme évadée de prison, on en voit une autre bouleversée jusqu'à chercher un vertige suicidaire, puis un homme s'affoler après une visite au cimetière. Entre autres choses... Le "récit" se boucle avec la barque qui coule et une seule survivante accrochée à un bout de bois.

Limiteest l'un des exemples les plus fascinants de cinéma non narratif. Peixoto est proche des avant-gardes européennes des années du muet et il expérimente à tout-va. Il compose de multiples plans documentaires comme autant de natures mortes ou filme les arbres et les champs comme des êtres humains. Il s'enivre de plongées et contre-plongées, de travelings latéraux et de mouvements circulaires tel L'homme à la caméra. Ce fétichiste des pieds (des scènes entières sont cadrées au ras du sol) oppose l'immobilisme imposé dans la barque aux déplacements incessants des épisodes intermédiaires. On fait au moins autant de kilomètres en suivant les personnages marcher que dans un film de Gus Van Sant.

J'avoue avoir été, tout le long de ces presque 2 heures, régulièrement perdu (1). L'absence de cartons, à deux exceptions près, n'aide pas à s'y retrouver. L'expérience demande beaucoup d'attention et l'ennui menace parfois. Mais le film offre de telles beautés, qu'il semble devoir rester bien ancré dans la mémoire.

(1) J'ai trouvé sur le site du Ciné-club de Caen, ce résumé qui éclaircit tout.

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