Japon (16.05.2008)

(Carlos Reygadas / Mexique / 2002)

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108461873.jpgJapon est un film cousin de Los muertosde Lisandro Alonso, dont je n'avais pas dit que du bien, ici même. On y retrouve le désir d'inscrire un récit elliptique et mystérieux dans une nature imposante, la volonté de saisir le trivial et le prosaïque des comportements pour en dégager une vérité humaine qui, par le travail du temps, élèverait le tout au niveau du sublime, la description sociologique mettant en avant divers rituels, la direction d'acteurs privilégiant la neutralité du jeu et l'emploi de non-professionnels, et bien sûr, la scène de sexe explicite que le montage nous lance à la figure sans préavis. Sans être entièrement convaincant, le film de Carlos Reygadas est tout de même supérieur à celui de son compère argentin. Le mérite de sa mise en scène tient d'abord à son double caractère contemplatif et fiévreux, d'une fièvre qui fait vaciller et trembloter. Reygadas aime embrasser l'espace en le balayant de façon circulaire, abandonnant un instant son protagoniste pour le récupérer en bout de plan, souvent de façon inattendue (il semble avoir changé de place, ou est-ce notre perception qui est altérée par ce tournis ?). Ces mouvements d'appareil ne sont pas parfaitement fluides, changeant parfois de vitesse pendant la prise de vue, comme pour rattraper quelque chose dans les temps. Cela a pour effet de ne guère faire oublier la caméra.

Japon (titre qui ne se rapporte à absolument aucun élément du film, mais, comme le dit savoureusement Reygadas, pas plus incongru que le Brazil de Gilliam) raconte l'histoire d'un homme qui quitte la ville pour un petit village perdu au fond d'un canyon. Il veut mettre fin à ses jours. Une femme encore plus âgée que lui, lui propose de l'héberger. L'homme renonce à son geste suicidaire et se lie de plus en plus fortement à elle. Aussi radical soit-il, le film tisse une intrigue. La narration pleine de trous, s'étalant dans une temporalité insaisissable, nous laisse tout de même des repères, annonce assez clairement certaines choses. Par son étonnant travail sur la lumière, qui change parfois au cours d'un même plan, par les simples postures des personnages, le film baigne dans une inquiétude diffuse, une violence sous-jacente, qui n'explosera jamais vraiment (on sent dès le départ, lors de la rencontre avec les chasseurs, qu'il ne faudrait pas grand-chose pour que le film dérape vers le survival campagnard, du genre Délivrance). Déstabilisant est également le rapport aux corps et la relation qui se tisse entre l'homme et la vieille femme. Et plus que la scène d'amour, ce sont ses prémisses qui troublent énormément et qui nous questionnent sur la vieillesse, la normalité, le désir...

La vision de Reygadas ne se limite toutefois pas à ce naturalisme provocateur et pessimiste. Il fait appel à un tas de symboles, parfois religieux, en essayant d'atteindre une grandeur tarkovskienne. Si de beaux moments en découlent, cela ne se fait pas son excès. La scène de la tentative de suicide auprès du cheval mort, filmée d'hélicoptère, ne fait pas dans la dentelle, comme le dernier (très) long plan du film. Dans ce même but de dépassement, le recours à la musique classique n'est pas toujours très heureux (celle de Arvo Pärt, certes magnifique, est beaucoup utilisé par le cinéma d'auteur actuel).

Une note sur le deuxième long-métrage de Reygadas arrivera prochainement sur cet écran.

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