Un conte de Noël (06.06.2008)

(Arnaud Desplechin / France / 2008)

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contenoel.jpgPas facile de parler d'Un conte de Noël. Avec les cinq premiers films d'Arnaud Desplechin, de La vie des morts à Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes", les choses étaient claires : je savais exactement ce que j'admirais dans chaque opus. Mais avec Rois et reine et aujourd'hui ce Conte de Noël, tout se complique. Comme si, en devenant a priori plus accessible, son cinéma devenait encore plus insaisissable.

Une fête de famille et des retrouvailles plus ou moins souhaitées après un traumatisme : tous les ingrédients du film choral basique sont réunis. Rassurons-nous, nous ne sommes pas dans Ceux qui m'aiment prendront le train. La première partie déroute, comme souvent dans ce genre de récit où l'on nous présente en parallèle une multitude de personnages. Mais cette narration est si étrange... Nous sommes dans un flux; les scènes semblent déborder les unes sur les autres (surtout grâce à la musique). Pourtant les ruptures de tons abondent : des débordements comiques aux larmes. Une courte séquence nous montre l'un des fils, Ivan, passer derrière les platines lors d'une fête. Ses dons de DJ lui font destructurer les morceaux pour mieux les ré-inventer. Scratches, superpositions de couches sonores, indécision du rythme : éléments caractéristiques de ce passage électro, éléments caractéristiques de tout le film. Des événements, chargés dramatiquement, prennent forme mais rien ne semble se résoudre réellement. Jamais de façon classique en tout cas. Je défie quiconque de deviner au début de n'importe quelle séquence du film où celle-ci va mener. Peu de cinéastes en France réussissent ainsi à faire naître le mystère à partir de données aussi prosaïques.

Une fois encore, on dira de Desplechin qu'il ne filme que des bourgeois et des gens très cultivés. Et le regard n'est pas critique. Ce n'est pas du social, ce n'est pas du politiquement correct-engagé. On sent très bien qu'il joue avec ça. Et lui au moins ne se pose pas la question de savoir si c'est pas un peu trop de filmer ces gens en train de fumer et picoler continuellement, de blaguer avec le judaïsme ou de faire dire des grossièretés aux enfants. Quand à cette histoire de culture, peut-être encombre-t-elle parfois, mais remarquons seulement qu'elle permet de faire passer de façon très fluide toutes les références mythologiques ou littéraires qui paraîtraient ailleurs pédantes ou plaquées. Et ce travail donne des dialogues ciselés, toujours étonnants même dans les situations les plus convenues sur le papier, tel l'échange bouleversant entre Simon, amoureux sacrifié, et Sylvia, dans la cuisine. La troupe de comédiens habituelle s'en délecte (il est inconvenant de ne détacher qu'une personne, mais Chiara Mastroianni est bien la fille de ses parents).

Comme dans Rois et Reine, le personnage de Mathieu Amalric s'oppose totalement à celui d'une femme (ici celui d'Anne Consigny) et on sent, dans les deux films, un déséquilibre. Le burlesque, la folie dynamique de l'homme tranche avec la névrose et le repli sur soi de la femme. La surprise et la satisfaction du spectateur provient du premier plus que de la seconde.

Je conclue cette note besogneuse en disant que si Un conte de Noëlm'a moins impressionné que les travaux précédents de son auteur (peut-être parce qu'il me fait cette fois-ci plus penser à Truffaut qu'à Resnais), Desplechin reste, au sein d'une génération de cinéastes qui donna tant de premiers films prometteurs au début des années 90 (Ferran, Kahn, Beauvois, Ferreira-Barbosa, Lvovsky, Masson...), de loin le plus important et le plus régulier.

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