Clara (09.03.2009)

(Helma Sanders-Brahms / Allemagne - France -Hongrie / 2008)

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Clara.jpgLe triangle amoureux formé par Johannes Brahms et Clara et Robert Schumann : emportée par l'élan du romantisme allemand, Helma Sanders-Brahms (Allemagne mère blafarde) nous conte cette histoire qui lui tient à cœur en ne privilégiant que les temps forts, les scènes signifiantes et les raccourcis dramatiques. Voulant échapper à l'académisme par la raideur du montage (coupes abruptes dans les plans) et l'intensité de l'interprétation (avec caméra mobile en temps de crises), la cinéaste ne fait finalement qu'accuser l'engourdissement de son arrière-plan et souligner le plaquage artificiel sur celui-ci de figures trop lourdement lestés d'affects.

L'œuvre semble au premier abord laisser toute sa place à la musique, proposant au spectateur de consistants extraits de compositions de Schumann et de Brahms. Ces séquences sont essentiellement des mises en images de spectacles (concerts ou répétitions) et peu sera dit sur le processus de création, ce qui a pour conséquence de faire admirer plus volontiers une performance (de musicien et d'acteur) qu'une vibration intérieure. Dans une démarche simplificatrice, les concerts sont suivis soit d'un tonnerre d'applaudissements glorieux soit d'un silence de mort. Helma Sanders-Brahms dans Clara ne connaît pas la demi-mesure. Elle n'échappe pas à l'un des travers des œuvres aux forts enjeux dramatiques : le "tourner court". Ainsi, la première répétition de l'orchestre de Düsseldorf, nouvellement conduit par Robert Schumann, ne peut que mal se passer et être interrompue au bout de trois minutes par un étourdissement du Maître. Plus tard, un dîner ne peut que se voir écourté, à peine les premières cuillérées de potage portées aux lèvres, à cause de l'ivresse de l'hôte. Cette désagréable impression d'une compression du temps culminera lorsque la mort côtoiera le premier acte d'amour. Avec la même maladresse, un séjour en clinique ne sera évoqué que par une séquence-choc de lobotomie. Amour, musique et folie irriguent le récit mais c'est surtout le caractère cyclothymique, passant d'un extrême à l'autre en un clin d'œil, de Robert Schumann qui contamine le film, entamant sans arrêt sa cohérence interne.

La nécessité d'une coproduction internationale pousse l'actrice de La vie des autres à donner la réplique à l'acteur fétiche de Patrice Chéreau et à un jeune espoir du cinéma français, pendant que s'affairent des seconds rôles hongrois. Il est donc impossible de parler d'une quelconque version originale. Seulement, nous ne sommes pas dans une fresque pleine de bruit et de fureur mais bien dans une œuvre à l'équilibre fragile, dans laquelle les dialogues sont primordiaux. Or les tons ne coïncident jamais. Les voix doublées sont appliquées et découpent l'espace sonore. Plus préjudiciable encore, leur cohabitation avec les phrasés forcément plus fluides et naturels, puisqu'incarnés réellement à l'écran, de Pascal Greggory et Malick Zidi heurte l'oreille. Focalisée sur un trio d'interprètes fameux, au sein duquel chacun semble jouer une partition différente, la mise en scène en oublie de faire vivre les silhouettes alentour. Les musiciens de l'orchestre ne sont qu'éléments du décor, la vieille cuisinière des Schumann grommelle, soliloque ou pleure, les enfants de la maison récitent distinctement, bien droits.

Dans le cadre d'une reconstitution historique contrainte à l'économie de moyens et d'effets, Clara échoue régulièrement là où Ne touchez pas la hache de Jacques Rivette nous brûlait il y a peu, de toutes parts. Reconnaissons à la rigueur un certain savoir-faire dans la scénographie, notamment lorsqu'il s'agit de visualiser la valse des désirs entre chaque point du triangle par la mise en place et les déplacements des comédiens, mais passons vite sur le cadre étriqué des rarissimes scènes d'extérieur, sur le réalisme triste et lisse des décors et sur la clarté télévisuelle de la photographie.

(Chronique cinéma pour Kinok, sortie le 13 mai 2009)

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