Juste avant la nuit (25.06.2009)

(Claude Chabrol / France / 1971)

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justeavantlanuit.jpg[Seconde contribution personnelle au "Claude Chabrol Blogathon", après ma note sur Le boucher]

Charles Masson, père de famille bourgeois travaillant dans la publicité, tue sa maîtresse, la femme de son meilleur ami François. Rongé par le remords, il ne pense plus qu'à avouer son crime à son épouse Hélène, à François et à la police.

Éminemment chabrolien par les thèmes abordés, par le milieu dépeint et par sa morale (ainsi que par l'équipe convoquée, Michel Bouquet et Stéphane Audran en tête), Juste avant la nuit surprend par son ton. En prenant pour cible ces nouveaux bourgeois férus de modernité ("un peu d'avant-garde pour éviter la sclérose", comme le dit Charles), le cinéaste s'exerce à nouveau à dévoiler le vide abyssal derrière les apparences. La fable est pessimiste mais un parfum de comique surnage de temps à autre. A l'époque de la sortie en salles du film, le goût de la famille Masson paraissait-il déjà ahurissant ? Aujourd'hui, le vieillissement accéléré auquel a été soumis toute l'esthétique moderne (technique, architecturale ou vestimentaire) du début des années 70 participe sans doute encore à alourdissement de la charge. La clarté des intérieurs, l'étalement de grands volumes, l'épure de la mise en scène et l'amplification de certains sons du quotidien (bruits des talons, des verres...) fait étrangement penser au cinéma de Tati.

De plus, si l'ironie est toujours présente, le regard est ici biaisé par la tentation du fantastique. Le parcours de Charles a semble-t-il été souvent analysé du point de vue de la culpabilité chrétienne, Chabrol, dans ses propos, encourageant plus ou moins ce type d'interprétation (la recherche perpétuelle d'un confesseur qui libèrerait le poids du péché). Malgré la présence de quelques signes, notamment la médaille de communiante autour du cou de la victime, ce n'est pas la voie qui m'est apparu la plus évidente à suivre. A mon sens, bien plus affirmée est la piste du cauchemar éveillé. Les outils du basculement sont régulièrement convoqués : miroirs, alcool, flacon de laudanum. Il est impossible de pointer le moment précis où se réaliserait le passage d'un état à l'autre, sinon à considérer comme tel le geste fatal de l'étranglement. Le pressentiment de l'onirisme est en effet stimulé dès que Charles quitte le lieu du crime : long échange de regard avec un inconnu dans la rue et rencontre fortuite avec François dans un bar désert et inhabituel. Autant que l'étonnement devant ce type d'évènements ou l'illogisme de certaines alternances entre le jour et la nuit, l'étrangeté naît de la neutralité absolue des dialogues. Le refus (ou l'incapacité) des personnages de laisser transparaître la moindre émotion nous entraîne vers l'absurde.

Ce choix n'est pas sans risque. La distance imposée ainsi par Chabrol rend difficile un attachement réel au couple formé par Charles et Hélène (Michel Bouquet est, logiquement, de presque toutes les scènes mais Stéphane Audran en est un peu sacrifiée, son personnage se réduisant trop à sa fonction). Pure et élégante, la mise en scène laisse parfois traîner les choses en longueur, l'usage du plan-séquence enserrant dans ses griffes deux protagonistes étant systématique. Le récit principal avance à très petits pas et celui qui lui est parallèle n'est pas très palpitant. Ce dernier a cependant une très grande importance, apportant un contrepoint aux malheurs de Charles : son comptable l'escroque, filant avec l'argent de l'agence et, après son arrestation, révèle sa double vie avec une jeune maîtresse. Ce petit employé, devant son ex-patron, n'aura aucun remords et lui lancera sans état d'âme un "je vous emmerde" pour toute réponse à ses demandes d'explications compatissantes. Sans doute a-t-on là l'une des clés possibles de cette oeuvre déconcertante : quand la classe inférieure assume ses actes, le bourgeois est condamné à la léthargie, à la vaine recherche de l'absolution et à la mort.

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