Le temps qu'il reste (13.08.2009)

(Elia Suleiman / France - Belgique - italie - Grande-Bretagne / 2009)

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tempsquireste.jpgPrologue : Un chauffeur de taxi conduit un mystérieux passager, immobile et muet (on reconnaît dans l'ombre la silhouette de l'acteur-cinéaste). En cours de route, la pluie se met à tomber, l'orage gronde, les éléments se déchaînent, la radio ne répond plus. L'homme au volant ne retrouve pas son chemin et se demande à voix haute "Où suis-je ?". Le réponse s'affiche alors sur le noir de l'écran : comme nous, il vient de tomber dans Le temps qu'il reste (The time that remains), une fiction d'Elia Suleiman.

1948 : Des bataillons israéliens luttent contre les résistants palestiniens de Nazareth. Le cinéaste a toujours le don de composer des plans rigoureux et étrangement burlesques, bien que la reconstitution historique infléchisse légèrement cette propension, en donnant à voir quelques images plus fonctionnelles et plus dynamiques qu'à l'accoutumée et dont l'effet de signature est moins fort. Compte tenu du contexte, le gag se fait morbide (la Palestinienne se méprenant sur l'identité des soldats qu'elle encourage) et la figure de style privilégiée de l'intrusion par le bord du cadre illustre une menace (le pistolet s'approchant de la tempe). Fuad Suleiman est le héros de cette histoire. Résistant, fabriquant d'armes et sauveur de blessés : cette figure est héroïque. Son arrestation et les tortures qui s'en suivent finissent de l'idéaliser. Tabassé, il est jeté par des soldats israéliens par dessus un mur. Le corps mythique disparaît à nos yeux. Après un fondu au noir, le deuxième volet peut débuter et faire place au corps réel, au vécu. Car Fuad n'est pas mort, il a eu un fils, Elia.

1970 : L'enfance d'Elia. C'est le temps de la famille et de l'école, c'est le temps qui passe autrement. Un temps qui semble se répéter. L'éternel retour des mêmes situations et conversations doit s'enrichir d'autres sentiments que celui perçu à la première occurrence, afin de maintenir l'intérêt du spectateur (généralement, c'est l'humour absurde qui émerge) et Suleiman a toujours su réaliser cela. Mais ce qui prédomine ici, dans la succession des contrôles des pêcheurs par les Israéliens ou des interventions en faveur du voisin prêt à s'immoler, c'est bien la lassitude. Le temps qu'il reste rend ainsi compte d'un épuisement. Un épuisement dû aux années de lutte qui n'ont pu changer le cours des choses et un épuisement qui se traduit notamment par la raréfaction de la parole. Toutefois, même plus lent et vouté (sa posture lorsqu'il attrape sa canne à pêche), le père, auréolé à jamais, reste impressionnant.

1980 : Les pères sont toujours plus beaux, plus forts et plus courageux. Il est impossible aux fils de se sentir à la hauteur. De plus, la lassitude semble être transmissible : Elia, devenu jeune étudiant, regarde depuis son balcon l'intifada, sans descendre dans la rue. Certes, on dit qu'il doit quitter le pays puisqu'il a été dénoncé mais, alors que l'on connaît (ou devine) les activités paternelles, on ne connaîtra jamais les raisons de son exil.

Aujourd'hui : L'absent/présent Elia revient au pays. Il ne parle pas. Que pourrait-il faire ? Il ne lui reste plus qu'à regarder, immobile, celle qui reste, la mère. Elia est un personnage et, en même temps, il ne l'est pas. Suleiman-l'acteur joue à incarner une idée : Elia filme sans caméra, sans rien, sans bouger. Que cette étrange posture, à la fois dedans et dehors, objet de notre attention et relai de notre regard, n'atténue pas l'insolite des situations ni ne mette en péril l'équilibre du récit, voilà l'un des tours de force du film. Plus tard, à Ramallah, il s'agira d'élargir le champ de vision, de regarder (de filmer) le monde (mais pas la télévision, qui a rendu la Tante Olga aveugle). En guise de conclusion, une suite de scènes absurdes et chorégraphiées, bien dans la manière du cinéaste, s'offrent à nous. Finalement, créer des images, c'est aussi résister. Certes, Elia n'agit que par la pensée (quand il saute le mur) mais son mérite est de donner à voir cette pensée en action, signe que l'épuisement n'est pas encore synonyme de désengagement.

L'effet de surprise étant amoindri après Chronique d'une disparition (1996) et Intervention divine (2002) et le vide de sept années entre ce dernier et celui-ci paraissant bien long, Le temps qu'il reste peut décevoir certains. On y admire pourtant toujours l'art de l'ellipse (les magnifiques fins de chaque segment), des gags (souvent merveilleux, comme celui du taxi vers Ramallah avec la belle jeune femme à côté d'Elia et le pare soleil qui tombe, dévoilant la photo d'une pin up) ou de l'étirement des plans (le ballet à l'hôpital autour du blessé palestinien pourchassé par les soldats). Mais surtout, l'oeuvre est profondément émouvante.

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