Les derniers jours du monde (25.08.2009)

(Arnaud et Jean-Marie Larrieu / France / 2009)

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lesderniersjours.jpgOn ne peut pas dire que Les derniers jours du monde, le nouveau film des frères Larrieu, soit tendu comme un string, tant au niveau du scénario qu'à celui de la mise en scène. Ça flotte, ça tangue, ça digresse, ça monte, ça descend, c'est de l'à-peu-près et du n'importe quoi, c'est foutrement inégal et, en bout de course, fichtrement intéressant.

Robinson (attention, ceci est une piste !) Laborde est un homme déboussolé par sa liaison adultère avec Laetitia, une jeune brésilienne. Ayant perdu la trace de celle-ci, vivotant seul dans son appartement à Biarritz, il observe, détaché, le chaos dans lequel est plongé le monde entier : attentats, attaques de missiles, empoisonnements des ressources, catastrophes naturelles, fuites des gouvernants, exodes des populations...

Le récit de la passion qui emporte Robinson est menée de façon bien trop routinière : calepin d'écrivain, voix off, flash-backs. De plus, les Larrieu ont choisi pour le rôle de Laetitia une actrice au charme étrange... et auquel je suis resté totalement étranger. On doit alors résister à quelques escapades amoureuses toutes plus soporifiques les unes que les autres : la plage naturiste, le voyage à Taïwan, le mini-polar au Canada. Mathieu Amalric, qui doit faire avec une prothèse en lieu et place de sa main droite (un pauvre Mac Guffin plus encombrant que burlesque), n'a pas à se forcer pour rendre l'hébétude de son personnage avec ses yeux globuleux, sa coiffure et sa dégaine. Les cinéastes auraient donc pu tout aussi bien se limiter à une simple évocation de son passé par la parole, comme ils l'ont fait pour celui d'Ombeline, la libraire qui croise Robinson à Biarritz et qui l'accompagne vers l'Espagne au moment de l'évacuation de la Côte Atlantique.

Ombeline, c'est Catherine Frot et c'est tout un poème. Impériale, l'actrice s'offre une petit moment d'anthologie : un monologue lâché par inadvertance sous l'emprise de la sangria (une séquence d'ivresse réussie c'est rare). Plus loin, au moment où elle apprend que Toulouse devient capitale de la France et que chacun doit y rester, elle aura cette réaction admirable : "J'aurai préféré Bordeaux. J'y ai des amis qui auraient pu nous loger dans leur château. On aurait pu faire l'amour et boire du vin toute la journée." Aux côtés de Mme Frot, Karin Viard n'est pas en reste, libérant le troublant érotisme de la mère de famille, et Sergi Lopez est égal à lui-même, terriblement doux et légèrement inquiétant.

Peu à peu, le vide se fait autour de Robinson, ce qui nous le rend plus proche et plus émouvant, alors que ses premières larmes (l'aveu de son adultère) ne convainquaient qu'à moitié. Ce qui nous amène à ce thème, ambitieux, de la fin du monde. Qui l'eût cru, voilà l'endroit où les Larrieu réussissent le mieux à emporter notre adhésion. Sur ce plan-là, le début est certes également hésitant. On passe ainsi, avec étonnement, de la panique de l'exode depuis Biarritz à l'insouciance de la feria de Pampelune. La population en rouge et blanc semble bien indifférente aux problèmes du monde. Filmer de manière documentaire cette marée humaine apporte cependant, indirectement, de l'eau au moulin des cinéastes : ces plans impressionnants captent dans le même mouvement l'archaïque, l'apocalyptique et le vivant.

Tout le long du périple de Robinson, un équilibre est maintenu entre l'absurde et le dramatique. L'image de la biche dans une rue déserte a trop souvent été employée ailleurs pour garder toute son étrangeté mais celles de Paris traversé à la seule lueur d'une lampe torche ne s'oublieront pas de sitôt. L'état de guerre et de catastrophe est simplement et remarquablement rendu. Les comportements de chacun paraissent bien vus, la plupart des survivants profitant de l'inconséquence soudaine de leurs actes (coucher avec son père, fracasser la tête d'un homme, vivre intensément, souvent par le sexe, chaque nouvelle rencontre...).

Ainsi, à l'image de la musique, qui passe des bandas du Pays Basque à Bertrand Burgalat et Léo Ferré, le film s'améliore au fil de ses 2h10 (la longueur, c'est de saison). Le temps passe sans que les Larrieu ne paraissent vouloir en finir. On est toujours dans le n'importe quoi, mais on s'habitue, on profite, on est de mieux en mieux. On passe par un château où se tiennent des orgies bunuéliennes et on se quitte après un final astucieux et touchant, dans lequel les cinéastes trouvent une équivalence inversée au plan attendu de l'homme seul dans la ville fantôme : deux corps nus courant dans des rues bien vivantes.

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