Invictus (20.01.2010)

(Clint Eastwood / Etats-Unis / 2009)

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invictus.jpgLors de "leur" coupe du monde de rugby, qui arrivait, en 1995, trois ans après la fin du boycott international consécutif à la politique d'apartheid, l'Afrique du Sud a commencé par un coup d'éclat en battant l'Australie (27-18), ce qui leur assura un quart de finale facile (les deux autres matchs de poule n'étant qu'une formalité, contre la Roumanie [21-8] et le Canada [20-0]). Au stade suivant, les Samoa ne pesèrent effectivement pas bien lourd et s'inclinèrent 42 à 14. L'adversaire en demi-finale était d'un autre calibre puisqu'il s'agissait des Français. Les Springboks (surnom des locaux) gagnèrent 19-15 et eurent donc l'occasion de défier les All-Blacks, grands favoris du tournoi, en finale. Devant leurs supporters et leur président Nelson Mandela, ils réussissèrent l'exploit de l'emporter 15 à 12 (aucun essai ne fut marqué de part et d'autre).

Si l'Afrique du Sud créa la surprise, elle n'arrivait toutefois pas de nulle part, étant, depuis longtemps, une grande nation de rugby. Elle est considérée comme la troisième meilleure équipe de l'hémisphère sud, derrière la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Cependant, il me semble qu'elle a l'image d'une équipe de qualité mais rarement géniale (les véritables connaisseurs me contrediront peut-être car je suis en effet plus compétent en ballon rond qu'ovale) .

Et bien le film d'Eastwood a les mêmes caractéristiques, collant par-là parfaitement à son sujet. Le jeu est sans surprise mais c'est solide, ça avance, ça défend remarquablement bien et ça joue au pied (le cinéaste a l'honnêteté de faire dire à l'entraîneur des Springboks : "Nous n'aurons peut-être pas le plus beau jeu mais nous serons les mieux préparés physiquement"). En comparaison des autres équipes, on est loin du style imprévisible des Français (pour le meilleur et pour le pire : un jour Les herbes folles, l'autre Les regrets) et du train d'enfer néo-zélandais lancé vers la modernité (Peter Jackson ?).

On ne s'embarrasse donc pas de fioritures. Pour la dramaturgie, la menace All-Black se réduit à la figure de Jonah Lomu. Mais après tout, pour la plupart des gens, le quinze de France d'aujourd'hui se limite à Sébastien Chabal. Même chez les pros, si l'on change momentanément de sport pour parler football, on se demande d'abord, lorsque l'on va jouer en Champions League contre Barcelone, comment stopper Messi et, si l'on joue à Boulogne ou à Nice, on se dit que pour avoir une chance de battre les Girondins, il faut avant tout museler Gourcuff. Eastwood, comme beaucoup, croit en l'homme providentiel, au guide de la nation. Sa vision de la démocratie intègre la notion de leader indiscuté (avec les risques que cela implique).

L'homme politique au destin hors du commun, comme tout grand sportif, n'oublie pas cependant les fondamentaux. Dans Invictus, les meilleures scènes sont les plus simples et les plus posées, celles, par exemple, des conversations entre Mandela et le capitaine des Springboks (Morgan Freeman et Matt Damon sont bons, crédibles). Eastwood sait tisser des relations entre les personnages. C'est un cinéaste des plans longs, pas un cinéaste de l'insert. Les plans de coupe qu'il place ici où là sont redondants et inutiles, qu'ils visent à accompagner le mouvement d'ensemble vers la réconciliation ou qu'ils servent de fausses pistes (les feintes de corps sont donc un peu téléphonées, dirons-nous).

Comme dans toutes les cérémonies d'avant-match, la musique du film est assez abominable et, au bout d'un récit plutôt agréable, dix minutes de rugby au ralenti (alors que le jeu n'était, jusque là, pas trop mal filmé malgré une football-américanisation excessive dans le rendu des chocs) et dix minutes de liesse populaire inter-raciale nous font piquer du nez. En revanche, la description d'un usage politique du sport intéresse, la représentation de l'exercice du pouvoir est convaincante et le contrepoint sur l'équipe de garde du corps poussée vers la mixité est habile. L'aspect conventionnel d'Invictuspousse à en juger chaque élément constitutif en fonction de sa subtilité ou de sa grossièreté, à les mettre en balance. Au football, on parle de différence de buts. Elle est ici égale à zéro (autant de buts marqués que d'encaissés). Le Eastwood de 2010 est une équipe de milieu de tableau. Invictus, c'est le PSG.

J'ai lu quelque part ce commentaire lapidaire, écrit par un internaute déçu : "Les séquences de match n'ont rien à voir avec le rugby". Quant à vous, mes chers lecteurs, je vous entend déjà dire : "Cette note n'a rien à voir avec une critique de film". Et bien peu m'importe... Je reste, comme Clint Eastwood, Bernard Laporte ou Raymond Domenech, droit dans mes bottes.

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