A serious man (15.02.2010)

(Joel et Ethan Coen / Etats-Unis / 2009)

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aseriousman.jpgA Serious mana déjà été amplement commenté, dans un enthousiasme quasi-unanime. Je n'irai pas à contre-courant et je me limiterai donc à faire quelques remarques générales, de peur d'être trop redondant par rapport aux divers écrits de mes camarades blogueurs.

Il a été fait à Michael Stuhlbarg, l'acteur principal, la tête d'un personnage de burlesque : teint ostensiblement pâle et yeux écarquillés soulignés par le verre de ses lunettes. Pourtant, bien que les postures de chacun aient leur importance, la mise en scène des frères Coen cherche moins à traduire un dérèglement physique que psychologique. Le grand cinéma burlesque se plaisait à enregistrer le plus souvent la mise en péril de l'ordre du monde par un individu marginalisé. Ici, c'est le monde lui-même qui est entraîné dans une dérive absurde, alors que le héros paraît finalement plutôt normal. Cette perte de sens n'est pas nouvelle dans l'œuvre des Coen mais elle se charge cette fois-ci d'autant plus d'inquiétude qu'elle est distillé à partir d'un récit s'attachant au quotidien. Il n'y a dans leur dernier ouvrage aucun échafaudage improbable, aucun plan machiavéliquement foireux. La mécanique qui est grippée n'est pas, cette fois-ci, celle du film noir, du milieu des affaires ou de l'espionnage.

A serious manest un drôle de film et un film pas si drôle que cela. Il y a bien quelques séquences très savoureuses, qu'il est encore possible de placer dans la case comédie, mais le fait est que ce sont vraiment des choses très sérieuses qui arrivent, dont la plus sérieuse de toutes, omniprésente : la mort. Le récit donne l'impression d'une hécatombe. L'une des meilleures répliques, répétée plusieurs fois, y renvoie ("Sa femme est encore tiède") et l'extraordinaire fin suspendue, si elle ne visualise aucun trépas, est assez glaçante.

Le monde mis en place autour du héros est un empire de signes que celui-ci est tenté de déchiffrer, cherchant désespérément un sens aux déboires qu'il accumule. Bien évidemment, notre homme est professeur de physique et base tout son travail sur les mathématiques. La qualité principale du film est de laisser le dérèglement se propager jusque dans la conduite du récit lui-même. Les visions et les rêves, de plus en plus nombreux, sont ainsi rendus indiscernables au premier coup d'œil. Il est étrange que les frères Coen fassent éclater cette absurdité au moment des années 60, époque qui apparaît rétrospectivement, pour beaucoup, comme une sorte d'âge d'or avec l'entrée dans la modernité et l'expérience de la liberté sous toutes ses formes. Ici, au contraire, la vision est teintée de pessimisme (un pessimisme certes gai) et comme le démontre bien le fameux prologue du film, le mystère insondable de l'existence a été de tout temps impossible à percer.

Ce qui séduit à l'écran, c'est la cohérence de la vision et notamment l'étonnante reconstitution de l'époque. Ce sont, encore une fois, quelques signes qui la caractérisent : la musique du Jefferson Airplane, la technologie, l'ombre du Vietnam (extraordinaire séquence du voisin s'approchant du héros en discussion avec le père de son étudiant asiatique), la marijuana... Avec la même réussite, les Coen nous plongent au sein d'un milieu juif qu'ils peignent avec une vigoureuse ironie, empêchant ainsi leur film de tomber dans une pesante démarche communautariste. Les dialogues accumulent les expressions typiques parfois difficiles à saisir. Qu'elles ne nous soient pas bêtement expliquées et surtout que, souvent, les intéressés ne les comprennent pas eux-mêmes, montre à quel point les cinéastes ont su trouver un merveilleux équilibre. A serious man est d'ores et déjà une pièce maîtresse de leur filmographie, autant qu'un objet singulier.

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