Canine (18.02.2010)

(Yorgos Lanthimos / Grèce / 2009)

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canine.jpgScènes de sexe. Sur le lit, les corps sont rigoureusement cadrés et très savamment disposés afin de masquer les sexes et les pénétrations, à une exception près, où l'on voit bièvement mais indubitablement que le membre de Monsieur est en érection. Tout le film de Yorgos Lanthimos peut se résumer à ce choix de mise en scène : la provocation, si elle est indéniable, voire appréciable, ne s'affranchit jamais des règles en vigueur dans le cinéma d'auteur "radical" tel qu'on le connaît. Canine(Kynodontas), malgré son potentiel subversif, a du mal à dépasser le stade de l'exercice scolaire et donne souvent l'impression de proposer une suite très appliquée d'actes transgressifs. Le cinéaste s'est lancé dans un jeu avec les limites : celles du cadre (qui découpe les corps, les laissant régulièrement sans tête), celles de la morale (mise à mal par la représentation de la violence, du sexe, de l'inceste ou de l'animalité) et enfin celles du lieu dans lequel il situe son récit.

L'argument de départ vaut ce qu'il vaut, même si l'idée d'un chantage à l'originalité peut traverser l'esprit du spectateur. Trois jeunes adultes, un garçon et ses deux sœurs, ont été élevés volontairement par leurs parents dans l'ignorance totale du monde extérieur. A cinq, ils vivent entre les murs d'une vaste propriété isolée, seul le père en sortant pour se rendre en voiture à son travail. Après avoir posé cette incroyable situation et s'être repu de son incongruité, le film va montrer comment les fissures ne manquent pas d'apparaître dans cet édifice mensonger construit par ces étranges parents. Imaginer le résultat catastrophique d'une éducation dévoyée et réfléchir sur le rapport aux choses et aux êtres des individus y étant soumis, rapport forcément différent du nôtre : voici l'une des missions que s'est donné le cinéaste. Bien que l'ambition apparaisse vite trop grande, il faut avouer que Lanthimos réussit plusieurs choses intéressantes, notamment avec ses acteurs (en travaillant par exemple des dictions très particulières). L'absurdité de ce petit monde, avec ces mots aux significations insensées (un zombie est une fleur, un téléphone est une salière), avec ses propres lois naturelles (un humain peut donner naissance à un chien), s'étire au milieu du film, dans une succession de scènes rendues comiques par le retournement total des valeurs.

Ce retournement, associé au refus de confronter les personnages cloîtrés au monde extérieur, a pour conséquence de nous faire tout accepter assez facilement, y compris ce qui devrait nous déranger. Il manque donc, certainement, une tension, et l'envie de voir les jeunes gens franchir les limites du jardin vient plus de notre relative impatience que de notre attachement aux personnages. Sur ce point, il faut cependant reconnaître que le dénouement est assez réussi, malgré un dernier plan prévisible dans sa mise en suspend. On remarque tout le long, aussi bien des tics "d'auteur" visuels ou sonores, pas toujours efficaces, que des trouvailles plus pertinentes, comme cette série d'échos renvoyant au film Rocky, découvert en cachette par l'une des filles de la maison (plus tard, elle mimera le boxeur résistant aux coups, se servira de manière inattendue d'une petite haltère et finira effectivement avec le visage en sang). Les évidents défauts du film ne suffisent donc pas à le disqualifier. S'il s'avère moins sulfureux qu'il n'y parait, il se pose tout de même là avec un certain aplomb.

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