Les contes de Canterbury (03.04.2010)

(Pier Paolo Pasolini / Italie - Grande-Bretagne - France / 1972)

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contescanterbury.jpgTout est disjoint, rien ne raccorde. Cinéma de poésie m'objectera-t-on. Mais encore faudrait-il parvenir à créer un choc ou un flux. Or il ne subsiste ici qu'un déséquilibre entre chaque chose et finalement, une faille, un vide, un ennui. En premier lieu, le montage ne fait qu'heurter les plans les uns aux autres dans le sens où, même lorsqu'est posé un simple champ-contrechamp, même lorsqu'est organisé un échange de regards, jamais les personnages ne semblent se situer dans le même espace, dans le même temps. Le film débute dans une cour, au milieu du peuple, et dès la première séquence, le découpage échoue à établir une continuité spatiale et à décrire visuellement les liens qui unissent les personnages.

Tout le long, le style sera approximatif. Ici un panoramique sur une foule semble hésitant et sans objet. Là un insert en plan rapproché plein écran casse brusquement le principe d'une scène de voyeurisme selon lequel nous avons les bords de l'image obstrués et délimitant ainsi une fente. Alternativement, le cadre est fixe ou tremblé en caméra portée, d'un plan à un autre, sans raison puisqu'ils sont de même nature. Plus largement, les transitions entre chaque conte (écrits au XIVe siècle par Geoffrey Chaucer) se font de manière aléatoire, l'un pouvant être accoler au précédent sans crier gare tandis qu'un troisième sera introduit par l'écrivain, interprété par Pasolini lui-même, affichant continuellement un sourire satisfait.

Seul signe de richesse visible, avec le nombre de figurants, de cette production Alberto Grimaldi, les éclatants et extravagants costumes jurent devant les décors réels et sombres datant du moyen-âge. Premier plan et arrière plan ne raccordent donc pas non plus. Tourné en Angleterre, le film mélange acteurs italiens et britanniques, tous poussées vers le grotesque et doublés grossièrement (comme toutes les co-productions de ce type, peut-on parler d'une version originale ?). Malgré la présence de Laura Betti ou de Franco Citti, on ne peut d'ailleurs guère parler d'interprétation. Les actrices ont été choisies pour leur plastique et leur promptitude à se dénuder. Du côté des hommes, le monde se sépare en deux catégories : d'une part, les vieillards à trogne et, d'autre part, les éphèbes aux tendances homosexuelles dont Pasolini ne se lasse pas de filmer les sexes. Tous parlent et rient très fort, entre deux airs populaires fatigants.

Comme nous sommes dans le deuxième volet de la "trilogie de la vie" imaginée par le cinéaste (après Le Décaméron, moins pénible mais pas beaucoup plus enthousiasmant dans mon souvenir, et avant Les mille et une nuits, que je ne connais pas), on baise, on pète, on pisse, on chie, on dégueule, toujours avec entrain. Geste radical, osé, bravache, que celui de Pasolini, certes. Malheureusement, même dans le décorum et sous les mots du XIVe, la vulgarité reste sans nom et l'humour graveleux désole autant que celui d'un film de bidasses. Et si un épisode cherche à s'élever au niveau du burlesque, c'est en infligeant un hommage débile et interminable à Chaplin (Ninetto Davoli, portant chapeau melon et canne, sème la pagaille, cours en accéléré et balance une tarte à la crème, tout cela, bien sûr, toujours au moyen-âge).

L'effet de signature n'est pas un piège propre à notre époque : pour ces Contes de Canterbury informes et sinistres, Pasolini obtint l'Ours d'or de la mise en scène à Berlin en 1972. La même année, sortait Fellini-Roma. Une toute autre chose...

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