Lola (10.06.2010)

(Brillante Mendoza / Philippines - France / 2009)

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lola.jpgUne immersion.

Voilà ce que propose Brillante Mendoza avec Lola. Il se cale dans les pas lents mais déterminés de "Lola" ("Grand-Mère") Sepa et "Lola" Carpin, alternativement. La première cherche à enterrer dignement son petit-fils, la seconde à libérer de prison le sien, l'un étant le meurtrier de l'autre. La caméra mobile, portée à bout de bras, suit les déplacements des deux vieilles femmes dans Manille et ses environs, dans les rues bondées, dans les gares, dans les arrière-cours, dans les bureaux de l'administration. Ces héroïnes fatiguées sont placées au premier plan mais ce qui se passe autour d'elle est au moins aussi important : la vie d'une cité est captée, les petits accidents du réel, semblant à peine provoqués, sont enregistrés. Ce n'est pas seulement la population qui affirme sa présence mais bien la ville dans toutes ses dimensions : sociale, géographique, architecturale, sonore. Dans ces conditions de tournage dans la rue, on imagine le travail compliqué et on admire une mise en scène vibrante mais toujours lisible, claire et réfléchie.

L'immersion, c'est également, au sens premier, la plongée dans un liquide. L'eau est omniprésente dans Lola, que Mendoza a volontairement réalisé au moment de la saison des pluies. Tout le quartier de Lola Sepa se trouve inondé jusqu'aux étages des maisons et les déplacements doivent s'y faire en barque, y compris le cortège funéraire (la séquence est, pour nous, étonnante, même si on saisit bien que la situation n'a sans doute pas pour cette population un caractère si exceptionnel). La force de la pluie est décuplée par celle du vent. Leur conjonction éprouve les corps des deux femmes courbées, mal protégées par des parapluies dérisoires.

Dans ce qui est quasiment la première séquence, se trouve réuni tout ce qui fait le prix du film. Au coin d'une rue, près d'un groupe d'enfants jouant par terre sans se soucier du reste, Lola Sepa, accompagnée de l'un de ses petits fils, lutte contre les éléments en tentant d'allumer une bougie sous les bourrasques. La finalité du geste n'est pas clarifiée tout de suite, l'effort est répété plusieurs fois et le temps s'étire : une aura mystérieuse s'installe, densifiant le réel enregistré.

A plusieurs reprises, plus régulièrement avec l'approche de la fin du film, entre les séquences évoluant au ras du quotidien viendront s'intercaler de la même façon des moments qui, s'ils ne se détachent pas du cadre ni du récit, libèrent un lyrisme marqué et orchestrent une progression qui repousse tout sentiment de monotonie. Ils ne prennent toutefois leur valeur que par rapport aux autres, à la beauté moins évidente mais à la nécessité aussi incontestable. En effet, le réalisme absolu de la plupart des séquences permet d'éloigner le spectre du symbolisme pesant et de placer des ponctuations qui ne se transforment pas en grossier nœud dramatique (par exemple, la mise en gage du poste de télévision par la grand-mère provoque une colère mais pas un drame). Surtout, est rendu possible l'éclairage de personnages complexes et évolutifs. Pendant une bonne partie du film, les vieilles femmes semblent les seules à chercher à faire tenir cette société, faisant le lien entre les enclaves familiales et administratives, chapeautant des familles auxquelles il manque, à chaque génération, un membre. L'attachement que l'on ressent en est d'autant plus fort, malgré ce que l'on perçoit aussi chez elles : caractère buté ou manigances. Or, au bout de cette vision pessimiste, on réalise tout de même que l'apaisement recherché est aussi obtenu grâce aux générations suivantes, qui semblaient pourtant bien passives. Ce sont de telles trouvailles d'écriture ou de mise en scène (comme le détail des reporters filmant avec désinvolture le résultat  des inondations sur le quartier, reporters qui sont montrés après un travelling qui pourrait tout aussi bien avoir été réalisé avec leur caméra) qui donnent le sentiment que le film de Brillante Mendoza est au final moins simple qu'il n'y paraît.

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