Oncle Boonmee (01.10.2010)

(Apichatpong Weerasethakul / Thaïlande - Grande-Bretagne - France - Allemagne - Espagne - Pays-Bas / 2010)

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"Il faut que tes yeux s'habituent à l'obscurité."

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Certains, parmi ceux à qui déplait Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (Loong Boonmee raleuk chat), ajoutent au reproche de l'ennui distillé, celui du propos incompréhensible. Si le film propose effectivement une série de visions chargées de mystère, son dessein, sa trame, son développement me paraissent assez clairs. Dans sa petite exploitation agricole entourée par la jungle, Oncle Boonmee se sent proche de la mort et voit venir à lui les fantômes qui vont l'accompagner dans son passage vers l'au-delà. La vie quotidienne, décrite à travers le travail, les soins médicaux et les discussions entre proches, est progressivement enrichie d'un apport surnaturel pour aboutir à la constitution d'un monde à multiples dimensions. Les détours fantastiques que prend le récit peuvent au premier abord paraître arbitraires et trop détachés. Mais à les observer attentivement, nous nous rendons compte qu'un fil ténu mais réel et suffisant assure le maintien de l'ensemble. Chacune des extraordinaires visions exposées est reliée à la trame principale. Elles peuvent l'être classiquement, comme l'est celle du fils-singe, clairement définie comme un récit conté par ce dernier, ou bien de manière plus sensorielle et intuitive, manière s'appuyant sur la simplicité du montage. Ce type de transition est dans tout le film d'une grande beauté. J'en retiens une, magnifique. Au cabanon, Boonmee s'endort. Jen le regarde, semblant esquisser un sourire puis tourne la tête dans la direction opposée. Son geste nous porte vers la maison. Nous y sommes avec un plan de fenêtre. Puis un plan de Tong sur la terrasse, dans un hamac, regardant la jungle. Nous enchaînons enfin avec l'image de la chaise à porteurs cheminant entre les arbres, pour le début de l'épisode de la princesse.

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Depuis longtemps (les derniers Lynch ?), nous n'avions pas vu de séquences aussi mystérieuses que celles qui parsèment Oncle Boonmee. Aussi envoûtantes. Dans le sens où elles vous happent. La nuit, la forêt, la cascade, la princesse, la bête, la caverne : tout l'univers des contes populaires est convoqué et réinventé. Au bruit naturellement assourdissant de la jungle, s'ajoute un bourdonnement musical hypnotique. Dans la grotte utérine, les temporalités se superposent. Depuis ces profondeurs, la lune se voit. Sur les parois humides, se forme une voie lactée. Ce passage en cet endroit magique, à la fois origine et terme, aura des répercussions, devine-t-on à la toute fin, jusque sur la vie des accompagnants de Boonmee.

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Après un magnifique prologue dégageant déjà l'onirique du réel, la première apparition surnaturelle a lieu progressivement, lentement, sous nos yeux. Au bout de la table sur laquelle mangent Boonmee, sa belle-sœur Jen et son neveu Tong, les contours de la femme défunte du premier commencent à se dessiner et son corps finit par s'extraire de la transparence pour affirmer sa stupéfiante présence aux convives, cela dans la continuité. Cet effet, aussi simple que beau, concrétise l'un des principes du cinéma de Weerasethakul : faire advenir les choses de l'intérieur du plan, de sa surface ou de sa durée. Dans le paysage, une forme finit par se distinguer et dicte alors le mouvement interne du plan. Ou bien un appel, un bruit, provenant du hors-champ et que l'on attend pas, met le plan en marche. L'évènement ne préexiste pas au plan, qui s'offre à nous toujours "ouvert". Oncle Boonmee demande donc une attention et une disponibilité certaines, nécessaires pour s'abandonner dans ce film-rêve, ce film-monde, dans lequel différents espaces et différents temps se fondent harmonieusement. Disons tout simplement que la récompense est celle-ci : au moins trente dernières minutes sublimes.

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Pourquoi Tim Burton a-t-il couronné Oncle Boonmee d'une Palme d'or ? Tout simplement parce que Weerasethakul a, lui, réussi sa Planète des singes.

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Nous étions cinq spectateurs dans la salle. Deux sont partis au bout d'une heure.

 

Photos : Pyramide Distribution

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