Zodiac & The social network (25.10.2010)

(David Fincher / Etats-Unis / 2007 & 2010)

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Tout à ma joie d'avoir pu récemment vérifier, par une deuxième vision, que Zodiac était bel et bien l'un des films américains les plus passionnants de ces dernières années, et malgré le contretemps provoqué par l'impossibilité momentanée d'emprunter à ma plus proche médiathèque le dvd de L'étrange histoire de Benjamin Button, je me dirigeais vers la salle projetant The social network rempli d'une confiance consolidée par l'excellente réception critique du film. Je me voyais déjà titrer ma note, immanquablement élogieuse, tel un véritable pro : "Situation de Fincher" ou "Fincher aujourd'hui". J'avais simplement omis de me poser la question : "Et si le film n'était pas bon ?".

zodiac.jpgMais commençons par l'agréable. A qui découvre Zodiac sans connaître David Fincher, il ne viendrait pas à l'esprit de qualifier ce cinéma-là de tape-à-l'œil. En effet, pour une fois, la mise en scène du réalisateur de Fight Club n'excède jamais son sujet. Elle se déploie majestueusement dans la durée, afin d'embrasser les nombreuses années que recouvrent le récit mais également afin de plonger le spectateur dans un temps et un espace de plus en plus flottant, cela malgré la précision, jamais prise en défaut, de la datation et de la géographie. Zodiac a bien un personnage principal, le dessinateur Robert Graysmith, mais celui-ci peut être congédié temporairement de l'écran (comme il lui est demandé plusieurs fois par ses supérieurs hiérarchiques de quitter la salle de rédaction dans laquelle ils doivent avoir une discussion importante), l'assemblage des différents blocs structurant le récit en devenant totalement imprévisible.

Si la virtuosité de Fincher est à saluer ici, au-delà d'une absence judicieuse de second degré plombant dans la reconstitution ou dans les références, c'est notamment parce qu'elle libère une sorte de frénésie ralentie des informations et des rebondissements, rendant ainsi parfaitement le sentiment d'une quête située dans une époque à la fois proche (une trentaine d'années avant la nôtre) et lointaine (le défaut technologique). Ni trop rapide, ni trop lent, le rythme est idéal.

Cette histoire d'une obsession partagée plus ou moins longuement par les divers enquêteurs, officiels ou pas, celle de mettre un nom sur un être insaisissable, méne en toute logique aux confins de la folie (plus subtilement cependant que mon souvenir ne me le laissait penser : Paul Avery, par exemple, ne devient pas tout à fait une loque et reste parfaitement capable au cours d'une conversation de renvoyer Graysmith dans les cordes). Rares sont les films, dans ce genre cinématographique, qui affirment avec un telle conviction qu'une présomption n'est pas une preuve, qui laissent tant de place au doute, qui éclairent aussi intensément ces replis nichés dans des consciences ne sachant plus à quoi s'accrocher et d'où sont extirpés ces aveux d'impuissance : "Le coupable, je voulais tellement que ce soit lui." Zodiac nous soumet à une force contraire à celle gouvernant habituellement le déroulement de l'enquête policière à l'écran. Alors que tout devrait converger au fur et à mesure, les pistes ouvertes ne semblent déboucher que sur de nouveaux abîmes et nous voilà pris dans une spirale centrifuge qui n'est pas faite pour nous rassurer. Cette histoire d'un échec impressionne par son refus obstiné et si peu fréquent de personnifier le Mal.

socialnetwork.jpgDes abîmes, The social network, film lisse et impénétrable, ne s'en approche pas. Contrairement à ce que semble penser l'écrasante majorité des spectateurs, je trouve personnellement que David Fincher ne parvient pas à dépasser la banalité et l'absence de cinégénie de son sujet, pas plus qu'il ne réussit à racheter la médiocrité morale de ses personnages. Le monde décrit ici (le monde réel et non virtuel) m'apparaît détestable en tous points. Mark Zuckerberg et ses congénères de Harvard s'ébattent dans un univers régi par les lois de l'argent, de la compétition, de la sélection. Même la démarche rebelle s'y dissout, le créateur de Facebook, présenté comme un caractère si atypique, en acceptant secrètement toutes les règles, poursuivant le long d'un chemin à peine détourné les mêmes rêves que les autres : intégrer un Club privé et devenir milliardaire grâce à une simple idée. Jamais Fincher ne critique cette idéologie de l'ascension sociale jalonnée de petits bizutages et de grandes trahisons, le regard moqueur qu'il lance sur les jumeaux Winklevoss n'existant que pour faire oublier la complaisance de celui portant sur les véritables héros de l'histoire, Zuckerberg et ses partenaires Saverin et Parker.

Personnages antipathiques ou anodins, sujet à l'intérêt très relatif... Il fallait une mise en scène sacrément inspirée pour arracher l'œuvre à l'insignifiance. Et si le travail du cinéaste n'est pas indigne, il se révèle très insuffisant. Ainsi, le choix effectué dans le but de dynamiser le récit est particulièrement conventionnel : tout ce qui nous est raconté de cette histoire l'est dans le cadre d'un procès (ou de sa préparation). Cela nous vaut l'habituel enchevêtrement des temporalités et l'évolution dramatique attendue aboutissant dans le dernier quart d'heure à la révélation de la trahison et dans la dernière séquence au sauvetage moral in extremis de Zuckerberg (à l'aide du cliché grossier de l'adjointe de l'avocat qui perçoit forcément la véritable personnalité de l'accusé).

A l'image de ces chiffres qui, sortant de la bouche de ces gens, semblent perdre toute signification, The social network a glissé sur moi sans jamais m'accrocher. Parmi ses laudateurs (*), on en trouve beaucoup qui cherchent à le vendre comme un grand film "générationnel" enregistrant une véritable révolution sociologique. C'est oublier un peu vite que Fincher étudie un cas, Mark Zuckerberg, et non l'invention dont celui-ci est à l'origine (contestée), la plate-forme Facebook. Mais après tout, ce n'est pas totalement faux, si l'on s'en tient à ses termes : cette révolution, il l'enregistre, il l'accompagne, il en prend acte, mais en aucun cas il n'y prend part activement, il ne l'interroge, il ne la creuse, il ne la met en perspective, il ne la met en scène.

 

(*) : Le débat autour de The social network entendu au dernier Masque et la Plume fut d'un niveau remarquablement bas, avec notamment le comique troupier Eric Neuhoff ne trouvant là que des "scènes géniales" comme celle où Parker propose à Zuckerberg de changer le nom de The Facebook en Facebook tout court, et un Michel Ciment s'enthousiasmant devant un grand film de "science-fiction" (sic) - Ciment, qui va ainsi encore donner du grain à moudre à ses détracteurs, étant, il est vrai, un grand connaisseur et un grand amateur des nouveaux vecteurs de cinéphilie comme internet...

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