À côté (03.01.2010)

(Stéphane Mercurio / France / 2007)

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acote10.jpgQuand il aborde, de biais ou de front, la question de l'emprisonnement, tout documentaire qui se respecte doit à un moment ou à un autre travailler la notion d'espace. À côté, le beau film de la réalisatrice Stéphane Mercurio s'efforce de faire parler les femmes, les enfants, les pères et les mères de détenus dans les locaux de la maison d'accueil jouxtant la prison pour hommes de Rennes. Cette structure est avant tout un lieu de rencontres et d'échanges, à l'abri des regards pesants de la société, un lieu où l'entraide et le réconfort sont possibles, un lieu où sont facilitées les démarches administratives comme la prise de rendez-vous pour le parloir. C'est aussi un espace de transition et les témoignages recueillis, tout comme les choix de mise en scène, nous font prendre conscience de l'importance de cet état d'entre-deux. La maison d'accueil est pour ces personnes en visite, très majoritairement des femmes, l'une des étapes du passage, toujours douloureux, d'un monde à l'autre, l'un des lieux, avec la voiture ou le train permettant le trajet, où s'effectue un changement psychologique destiné à absorber, plus ou moins efficacement, le choc du face à face dans le parloir.

Un parloir, nous n'en verrons aucun durant tout le métrage. Stéphane Mercurio filme les pièces de vie et le petit jardin du centre d'accueil. Elle se fait observatrice et capte de simples conversations ou se fait parfois délicatement interventionniste, se mêlant aux échanges ou recueillant des témoignages, cela sans rien changer au cadre ni à la lumière afin de maintenir la flamme du réel. Ses parcimonieuses relances prennent la forme de questions courtes, simples et discrètes, sans sollicitation émotionnelle déplacée. Ainsi, s'il arrive en certaines occasions que l'on apprenne la raison de l'incarcération d'un mari ou d'un fils, cette information est toujours donnée volontairement par la famille puisque la cinéaste ne formule jamais la question que chacun, inconsciemment, se pose : "Qu'a-t-il fait ?". Les différentes situations et les enjeux qui en découlent pour chaque famille se font sentir tous seuls, sans que l'on ait à nous l'expliquer par un commentaire (la plus grande différence se faisant entre l'accompagnement d'une courte peine et celui qu'implique une détention plus longue).

Une mosaïque prend forme grâce aux larges espaces de parole qui sont laissés à ces femmes, certaines revenant plusieurs fois devant la caméra, au fil des jours, d'autres ne faisant qu'un seul passage. Stéphane Mercurio n'entremêle pas les témoignages, fait confiance au hasard des rencontres et prend le temps qu'il faut, garde au montage trente secondes ou dix minutes. Hormis lorsqu'il s'agit d'attraper une conversation à la volée, les plans commencent un peu avant et se terminent un peu après le dialogue entre la cinéaste et ses interlocuteurs. Cette subtilité de mise en scène, alliée au tact dont la réalisatrice fait preuve dans les échanges, assure la remarquable gestion des temps forts, des larmes et des silences.

Il arrive que la cinéaste suive certaines personnes jusque chez elles, mais dès qu'elle passe le pas de la porte de la maison d'accueil, la mise en scène change. Tout ce qui se passe au dehors n'est en effet vu qu'à travers des séries de photographies, alors que l'enregistrement sonore garde sa continuité. Non seulement ce parti-pris est d'une grande force esthétique mais il traduit encore une fois parfaitement la segmentation de ces vies de femmes de prisonniers et, de plus, il préserve leur part d'intimité y compris lorsqu'elles ouvrent les portes de leurs appartements.

Au-delà des multiples informations pratiques sur le fonctionnement réel du système carcéral français, ce sont l'inquiétude des mères, les dents serrées des pères et l'attente des femmes qui saisissent. "Il a demandé à faire du sport, c'est complet. Il a demandé à étudier, c'est complet." Passé un certain seuil de peine, pour tous, le constat est le même : le travail de réinsertion est un leurre et l'endurcissement est la règle. Ainsi, la bataille se poursuit longtemps après le jour de la libération. Car si, bien évidemment, y sont évoquées toutes les aberrations aboutissant à la situation que l'on connaît, de la surpopulation à l'opacité totale du fonctionnement interne en passant par l'arbitraire de certaines décisions, le film de Stéphane Mercurio pointe surtout une évidence rarement dite : les conséquences d'un emprisonnement ne sont pas seulement supportées par l'auteur de l'acte répréhensible mais également par son entourage. Cet "élargissement" de la peine toutes les femmes en témoignent, qu'il se fasse sentir par l'explosion de la cellule familiale, par les difficultés financières ou par la rupture de certaines relations sociales. Dès que l'on réfléchit sérieusement, comme le fait ici Stéphane Mercurio, au problème de la prison, il apparaît vite qu'il faut repenser les choses bien au-delà du simple appareil carcéral. Ce qui nous renvoie fatalement aux propos que réitère souvent Robert Badinter : "J'ai compris qu'il existe une loi d'airain en matière carcérale : vous ne pouvez pas porter les conditions de vie des détenus au-dessus de celles des travailleurs les plus défavorisés."

(Chronique dvd pour Kinok)

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