2000s
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L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007)
***Très beau film d'Andrew Dominik (rien vu de lui jusque-là), qui s'est donné les moyens de son ambition, avec le casting, la musique de Cave et Ellis, la photographie vraiment sublime de Roger Deakins. Grâce à l'esthétique poussée et à la narration, elliptique ou légèrement déréglée, il surprend constamment à partir d'une histoire connue, réussissant même à intéresser avec cette idée de quasi-suicide, bien rattachée aux autres, l'auto-destruction du gang, la fascination pour les grandes figures, la jalousie, la soif de gloire mêlée à la trouille. Et un traitement également intelligent de la violence, particulièrement évident lors de la séquence où Jesse James s'acharne sur le petit cousin des Ford puis peine à repartir, malade. -
La Vie aquatique (Wes Anderson, 2004)
*L'étoile est pour Anjelica Huston et les présences altmaniennes de Bud Cort et Jeff Goldblum (+ Michael Gambon). A part ça, la bande annonce est bien meilleure que le film, comme toujours avec W.A. (seule exception : L'Île aux chiens). Même si ses cadres étaient à cette époque encore un peu vivants, sa narration n'en était pas moins monotone, jusqu'à l'auto-dissolution (Tennenbaum, déjà...). Ennui quasi-immédiat devant cette fantaisie déprimée, ou dépression fantaisiste, je ne sais pas, et devant ce bon goût qui vire au mauvais (la soudaine rébellion de Murray face aux pirates sur le Search & Destroy des Stooges). Et 1 adaptation de Bowie en portugais par Seu Jorge, ça va, mais 12 !!!... -
Bienvenue à Zombieland (Ruben Fleischer, 2009)
°On profite 30 secondes de l'une des plus belles chansons du monde, le Oh ! Sweet Nuthin' du Velvet, et 5 minutes d'une participation un peu amusante de Bill Murray dans son propre rôle. Mais le scénario est débile, le récit est conduit n'importe comment, après 10 premières minutes bien gores ça devient quasi-familial, l'excès de hard rock se veut subversif, la grossièreté du dialogue tente de dissimuler le puritanisme, le casting alléchant passe à travers (Woody Harrelson, Jesse Eisenberg, Emma Stone), le second degré permanent empêche tout attachement aux personnages, et enfin, le dégommage des zombies, sans beaucoup de risque, devient un jeu dont la violence tarantinesque ne parvient pas à masquer un fétichisme des armes puant. -
Rachel se marie (Jonathan Demme, 2008)
°Toujours partant pour découvrir les quelques Jonathan Demme que je n'ai pas pu voir à leur époque, je ne m'attendais pas à cette imitation tardive du Dogme95, dix ans après Festen, avec caméra portée, cadrages volontairement imparfaits, musique diégétique, phrases et mouvements coupés en plein milieu... La mention d'Altman au générique de fin ne peut être qu'une preuve d'admiration générale, non un remerciement pour l'inspiration venant d'Un mariage tant les divergences sont grandes : ici, le rituel n'est jamais remis en question, le vernis des convenances ne craque que provisoirement pour ouvrir sur de la psychologie lourde, la choralité n'est qu'apparente, les personnages n'ayant clairement pas tous les mêmes chances d'orienter le récit. Dans ce cadre bourgeois démocrate, cultivé et métissé, les préparatifs sont d'un ennui total, le premier repas est un sommet de gêne avec des interventions pathétiques, la remontée du passé traumatisant entraîne dans un psychodrame interminable, la cérémonie et la fête apaisent les tensions à force de petites larmes et de gros câlins. Même l'amour de Demme pour la musique lui joue des tours. On se sent aussi inutile que dans un mariage où l'on ne connaîtrait personne parmi des gens surjouant l'enthousiasme festif. Grande déception. -
Tropical Malady (Apichatpong Weerasethakul, 2004)
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Même s'il y en a d'autres, c'est le chaînon qui me manquait entre Blissfully Yours et Oncle Boonmee (d'ailleurs "annoncé" dans un dialogue). AW choisit deux personnages dans la réalité foisonnante, leur offre une histoire d'amour puis la possibilité de se projeter dans un conte, une histoire qui semble remonter de dessous cette réalité. L'opposition est assez marquée entre les deux "récits" qui se succèdent ainsi, et le conte, dans sa lenteur et ses répétitions, m'a semblé d'abord avoir de la valeur surtout par effet miroir avec la première partie (au-delà de la fascination visuelle générée par la jungle bien sûr), en tout cas jusqu'aux quinze dernières minutes qui, elles, se suffisent à elles-mêmes et qui sont vraiment sublimes.
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Hal Hartley (mais qu'est-il arrivé à... ?)
J'avais fini par culpabiliser de ne pas avoir suivi, moi non plus, Hal Hartley après le faiblard "Flirt" (plus exactement après "The Book of Life", dont je me demande maintenant quel pourcentage de ma petite affection d'alors représentait la seule présence de PJ Harvey), regrets encore attisés par l'intéressant livre publié en 2016 chez Lettmotif.J'ai tout rattrapé d'un coup, tout ce qui me manquait, tout ce qu'il a fait (en long métrage) durant ces années où l'on s'est demandé "mais qu'est-il arrivé à Hal Hartley ?".Et bien ça ne valait vraiment pas le coup de culpabiliser."Henry Fool" (1997) (*) parabolise sur l'art et l'amitié. Comme Hartley veut saloper son cinéma, il y va à coup de scènes de diarrhée ou de vomi, et torche un film interminable (2h17) autour de deux personnages également détestables, l'un écrivain raté et affabulateur, tendance pédophile et violeur, l'autre attardé mais finissant prix nobel de littérature. Les formules tournent dans les bouches, misanthropiques et vaines."No Such Thing" (2001) (°) est moins douteux moralement mais encore plus faible cinématographiquement, fable amorphe et désincarnée sur la monstruosité qui n'est pas celle que l'on croit, celle de la Bête immortelle, mais bien celle de l'espèce humaine. Le style rend le conte étriqué. Le message sur l'état du monde et des âmes est doublé d'une critique des médias si simpliste que même le Wim Wenders de l'époque aurait refusé de la formuler telle quelle."The Girl From Monday" (2005) (°) poursuit crânement sur la voie de la science-fiction. Les trois-quarts des cadres sont penchés (pour l'étrangeté) et tous sont serrés (pour ne pas avoir à créer un décor futuriste), ce qui provoque une grande fatigue visuelle. Lorgnant sur "Alphaville" et "La Jetée" (jusqu'aux plans en noir et blanc et aux images arrêtées), l'essai est terriblement rabougri malgré quelques intuitions sur la dictature numérique et les agréables physiques des interprètes.Avec "Fay Grim" (2006) (°), où la caméra n'est toujours pas remise d'aplomb, on touche le fond, à une distance insoupçonnée. En la surprenante présence de Jeff Goldblum, l'histoire d'espionnage international la moins intéressante jamais racontée sur un écran nous trimballe jusqu'à Istanbul pour entendre 15 minutes de discussion décalée philiosophico-politique dans la cave d'un djihadiste. Cassage de codes oblige, attention, rires ! : des personnages s'appelent Herzog ou Konchalovsky ; l'héroïne a caché son téléphone dans sa culotte mais le mode vibreur lui fait monter un orgasme inopportun ; les agents secrets américains, russes, français, anglais, israéliens grimpent dans la même camionnette qui ne manque pas d'exploser pour régler l'affaire... PTDR.Après cette dégringolade vertigineuse, une oasis, un petit miracle. "Meanwhile" (2011) (***) retrace en moins d'une heure la journée d'un homme, batteur, bricoleur, écrivain, cinéaste, entrepreneur, traversant New-York dans une mauvaise passe financière. Une histoire courte et vivante, sans leçon de morale ni cadre penché. Et comme par hasard, tout (re-)marche : les plans respirent dans la durée, les décors new-yorkais s'imposent, les dialogues en sont vraiment, le discours reste souterrain, les auto-citations passent, l'humour fonctionne, les actrices et acteurs ne sont pas réduits à une idée, les personnages existent et touchent.C'était malheureusement une exception. "Ned Rifle" (2014) (°) arrive pour compléter "Henry Fool" et "Fay Grim" en une trilogie (et pour clore la filmographie ?). Forcé de boucler les pistes farfelues, totalement invraisemblables, ouvertes par les deux précédents, ainsi que de trouver lui aussi sa dimension "sérieuse" et "politique" (cette fois-ci via la religion), il voit la relative simplicité de filmage adoptée avec "Meanwhile" virer au statisme ennuyeux et bavard. Derrière les principaux interprètes (pas fameux, qu'ils soient nouveaux ou anciens dans cette trilogie), le générique attrape-nostalgiques (comme moi) annonce fièrement Martin Donovan, Karen Sillas, Robert John Burke et Bill Sage pour n'offrir en fait, en temps cumulé, qu'à peu près 3 minutes 30 de leur présence.A l'image du dénouement laborieusement sanglant de ce (dernier ?) film, tout cela me paraît bien constituer un énorme gâchis. -
Max et les Maximonstres (Spike Jonze, 2009)
***L'un des meilleurs films pour enfants "récents" parce que Jonze ne filme justement pas spécialement pour les enfants. Si la caméra se rabaisse à hauteur de gamin, la mise en scène ne simplifie jamais, ne mâche pas le travail. La sauvagerie de l'introduction annonce le thème en cueillant à froid, dans un style heurté tout à fait inhabituel pour le genre. Le reste est à l'avenant. Mais c'est aussi la façon de raconter qui s'eloigne de la convention, Jonze sachant rendre son récit imprévisible, et non pas grâce aux classiques rebondissements de conte mais bien par l'étonnant régime narratif qu'il développe. Le film est ainsi proche des réussites de l'animation, où les risques narratifs sont plus souvent pris. Au-delà de l'interprétation du petit acteur et de la gageure d'émouvoir avec des grosses peluches de deux mètres (beau mélange de numérique et de matière), on note encore l'intelligence du scénario, abordant l'enfance sous cet angle sauvage et décrivant un monde à la fois très différent et extrêmement proche de celui du jeune héros lancé ainsi à la fois dans l'évasion et la réflexion. -
Ma sorcière bien-aimée (Nora Ephron, 2005)
**Au lieu de s'épuiser à vouloir refaire en réactualisant et à épater avec une surenchère d'effets spéciaux, comme c'est presque toujours le cas avec les remakes de vieilles séries télévisées, les auteures (les sœurs Ephron) ont choisi la voie peu évidente du métafilm grand public. C'est donc proche du modèle et en même temps complètement autre chose. Que l'on reste constamment au premier degré n'est pas gênant et n'empêche pas de goûter à quelques notations plaisantes sur l'art du cinéma, sur le rêve et la réalité, sur la façon de raconter des histoires (l'effet assez étonnant du rembobinage lorsque Isabel décide d'annuler ses sorts). Bien sûr, l'efficacité comique est très relative selon les scènes et l'impression de voir se succéder plusieurs films différents est plus forte que celle de voir ceux-ci se constituer en jeux de miroirs (ce qui fait aussi disparaître par exemple Shirley MacLaine au moment où son personnage devenait intéressant) mais laisser sa chance à tous (même à la voisine "potiche") est un geste appréciable et cette romance humoristique et magique peut, pour les plus jeunes, se révéler une initiation simple et sympathique au cinéma "réflexif". Et puis placer sur sa bande son des morceaux de Talking Heads, REM et Police, c'est déjà mériter le respect. -
Les Anges exterminateurs (Jean-Claude Brisseau, 2006)
*La découverte longtemps après sa sortie et après l'affaire à laquelle il est lié, ainsi que le souvenir lointain maintenant de son jumeau Choses secrètes n'aident pas à y voir plus clair. Ce film-défense de Brisseau me semble à la fois naïf et ambigu. Le cinéaste le protège (et se protège), en l'installant dans une certaine irréalité (via les apparitions immédiates des anges déchus) qui justifie sa subjectivité et sa vision idéalisée jusqu'au factice des rapports de séduction et d'expression du désir, et en même temps, il le ramène, par le recours à sa propre voix off, à la (à sa) réalité. La fictionnalisation ne fonctionne pas. Pas entièrement, en tout cas. Et parmi les points de gêne, il y a cette idée d'une quête (parvenir à capter quelque chose du plaisir féminin) qui serait partagée, alors que tout passe par un dispositif précis et que le regard n'est dirigé que dans une direction. Même si l'on peut dire que les personnages féminins ont leur liberté (la première semblant être celle de punir), même si l'homme reçoit son lot de reproches tout du long, persiste jusqu'à la fin un grand déséquilibre. -
Le Voyage de Chihiro (Hayao Miyazaki, 2001)
**L'un des Miyazaki les plus réputés et les plus primés, que je découvre (trop ?) tardivement. C'est sans doute, dans son écriture, le plus libre de tous, frappant aussi par la profusion dont il fait preuve sur le plan de l'imaginaire, avec ses créatures étranges et ses décors étonnants. Le rêve y est borné exactement, comme des parenthèses s'ouvrant et se fermant vraiment aux deux extrémités d'une phrase. Il n'y a donc pas d'aller-retour entre le réel et l'irréel et le dénouement ne fait guère de doute, sinon concernant la façon dont il sera enclenché. Sans dialogue entre deux mondes, sans l'inquiétude pouvant naître du passage de l'un à l'autre (ou de son impossibilité), l'émotion a du mal à se libérer. Au fil de scènes parfois belles mais aux enjeux toujours flous (tout peut s'y passer et le sens échappe régulièrement), sinon dans les effets de miroir qu'elles peuvent produire (sur la condition féminine, l'industrie et la nature, la cupidité...) et dans les références qu'elles semblent convoquer (de Lewis Carroll à Magritte, et tout le versant oriental qui nous est inconnu), le film avance, labile, insaisissable.