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  • Tu ne tueras point (Claude Autant-Lara, 1961)

    *

    L'intérêt du film tient avant tout à son sujet, l'objection de conscience, qu'Autant-Lara portait depuis dix ans, et au fait qu'il ne parle que de ça, sans aucun écart. Pour ce qui est du style, tantôt on apprécie une certaine rigueur, une austérité qui pourrait paraître documentaire, tantôt on ressent tout le poids de la caméra. Les dialogues (Aurenche et Bost) sont loin de s'enchaîner parfaitement, notamment parce que les prestations secondaires sont parfois catastrophiques, au point de foutre en l'air certaines scènes potentiellement fortes. C'est qu'autour de Laurent Terzieff, Horst Frank et Suzanne Flon, tous les autres sont des acteurs yougoslaves qu'il a fallu ensuite doubler en français. Le film est en effet de cette nationalité-là, Autant-Lara n'ayant jamais trouvé le moyen de le tourner en France, où il finit par sortir brièvement plusieurs mois après sa présentation à Venise. Sujet intéressant donc, mais traité bizarrement, semblant recouvert de morale chrétienne avant un revirement tardif d'autant plus invraisemblable (à son procès, Terzieff déclare soudainement ne plus se sentir chrétien), peut-être une pirouette du cinéaste pour se garder alors des défenseurs à gauche. Difficile, finalement, de comprendre ce personnage d'objecteur, trop contradictoire ou naïf, et le film dans son ensemble. La mise en parallèle avec une histoire de prêtre-soldat allemand ayant abattu un résistant français sur ordre de son supérieur apporte plus de gêne qu'autre chose (la séquence en flashback, prière partagée entre victime et bourreau, puis crise violente de ce dernier au moment de l'exécution, est d'un ridicule achevé). Cette construction en miroir aboutit à un double procès militaire détaillé en une dernière demi-heure assommante. Ultime handicap : le placement pénible, à trois reprises, de "L'Amour et la Guerre" par Aznavour.

  • L'Accident de piano (Quentin Dupieux, 2025)

    **

    Pas très fan du segment central avec la longue interview : même si on sent Dupieux projeté dans le personnage de "l'artiste" sommée de s'expliquer, ce n'est pas plus intéressant que ça, et par ailleurs, les flashbacks insérés répètent cette comédie de l'insensibilité déjà vue chez lui. Mais j'ai apprécié la mise en place et surtout la noirceur désespérée de la dernière partie, jusque dans ses contradictions (le rapport à l'argent, qui revient dans l'ultime réplique).

  • Quatre Garçons dans le vent (Richard Lester, 1964)

    ***

    Si l'argument (une journée dans la vie des Beatles) et certains effets de style (caméra portée, scènes de rue, cadrages à la volée) appartiennent au documentaire, on en est loin. Mélangeant musique, comédie et mouvement perpétuel, cette fiction débridée capte cependant, comme rarement, un moment culturel, donne par sa spontanéité l'impression d'être en prise directe avec une réalité, celle de la beatlemania de 64. Elle vaut presque comme une définition de toute nouvelle vague artistique par ce qu'elle montre d'impertinence, de liberté, de conquête de terrain, d'affrontement générationnel. Dans ce domaine musical, le prétexte est classique, celui de la bonne tenue d'un show. Sauf que les auteurs (Lester, le scénariste Alun Owen, et les 4B) ont fait de l'avant-spectacle une suite de digressions, de fuites libératrices, de détours absurdes. Les quatre garçons souriants sont présentés en gamins qui introduisent du désordre, de l'ironie, du nonsense, des blagues parfois assez rudes, y compris à partir de leur propre image (le manager régulièrement agressif envers Lennon, le côté souffre-douleur de Ringo au sein du groupe). A merveille, Richard Lester suit, ou entraîne, on ne sait plus trop, dans ce rafraîchissant tourbillon, en utilisant de manière toujours différente les impeccables chansons.

  • 8 1/2 (Federico Fellini, 1963)

    ****

    Faire de la crise d'inspiration d'un cinéaste une œuvre foisonnante, décrire une stagnation le long d'un récit mouvant, concentrer dans un cerveau une foule de personnages (c'est étrange la caméra subjective : cela nous place "dans" un personnage et en même temps, cela nous mène de la façon la plus directe à la rencontre des autres), transformer l'arrêt dépressif en acte de création, faire naître l'imaginaire du blanc éclatant plutôt que de la pénombre, rendre attachant un homme passif (Guido, vu ainsi de l'intérieur, est bien plus émouvant que le Marcello de La Dolce Vita)... Si ces paris sont "fous", le film ne l'est pas (comme peuvent l'être plusieurs autres Fellini). Laissant régner le désordre en apparence seulement, il est tout à fait cohérent (ne serait-ce que par ses échos, ses renvois et sa boucle finale), lucide (il s'auto-analyse sans cesse, jusqu'à fournir lui-même les armes à ses détracteurs, souvent à travers les discours du scénariste), fluide (les rêves et la réalité sont identifiés mais ils ont la même épaisseur).
    Fellini brille dans l'instant comme dans le temps long, dans le détail comme dans le grand ensemble :
    - Au milieu du grand escalier canalisant la foule des curistes vers les bains, un vieil homme remonte à contre-courant et lance un "Bonjour Commandeur !". La caméra panote vers le haut et cadre quelqu'un à l'arrêt au premier plan. A peine le temps de se demander qui est ce type que le Commandeur apparaît derrière lui, descendant les marches et disant à Guido, à côté de lui : "J'ai compris ce que tu veux raconter : la confusion qui règne dans la tête d'un homme. Mais sois plus clair, plus explicite. Sinon, à quoi ça sert ?" Guido ne l'écoute pas, ne répond rien, ralentit et regarde à sa gauche une mystérieuse femme avançant en parallèle. Tout est condensé en 3 plans et moins de 20 secondes.
    - La meilleure séquence de harem de l'histoire du cinéma est peut-être bien celle de 8 1/2. Le fait qu'elle relève du fantasme lui apporte à la fois sa logique imparable, sa justification narrative et sa résistance à toute condamnation morale. Elle reprend un lieu et des sensations d'enfance que la mémoire de Guido a déjà fait remonter à l'écran précédemment, entremêlement propre à nos rêves. Là, toutes les femmes que Guido a connues et/ou désirées se retrouvent, mais venant donc de temps différents (dans sa belle critique pour les Cahiers, Pierre Kast rappelait fort justement que peu de gens, homme ou femme, étaient réellement, le long de leur vie, monogames). Le regard ô combien masculin est à son comble mais l'ironie aussi, via la complaisance appuyée de ces femmes, avant même leur révolte. L'approche protège les personnages féminins tout comme elle rend parfaitement la nature instable du rêve, que l'on subit ou que l'on oriente.

  • Monsieur Verdoux (Charles Chaplin, 1947)

    ****

    Parmi les choses que l'on redécouvre, il y a le génie rythmique, corps et voix, rendu plus évident encore par la frontalité théâtrale de la mise en scène. Et puis il y a tous les regards, dont le nombre très élevé étonne, lancés par Chaplin à la caméra et donc au spectateur. Convention comique, qui met dans la poche, sauf qu'elle entraîne ici à se délecter de mensonges, et souvent dans le dos des autres personnages. Ce lien exclusif et constant, c'est aussi l'affirmation qu'il s'agit du film de Verdoux-Chaplin et de personne d'autre. Enfin, ce sont peut-être des regards qui réclament un soutien, qui demandent au spectateur de suivre aussi loin que possible, dans cette œuvre de rupture totale où nous éliminons des dames "avec" Verdoux (malgré les hors-champs), où même les scènes sentimentales sont détournées (la jeune femme "cobaye") ou non prolongées (l'épouse et l'enfant que l'on ne reverra jamais), et où se trouve acté l'échec du film précédent à avoir sauvé le monde de la catastrophe.

  • Life of Chuck (Mike Flanagan, 2024)

    **
     
    Plutôt que ce Part 3-Part 2-Part 1, j'aurais préféré que le film avance chronologiquement mais on me dit que le livre de Stephen King est déjà construit comme ça, à rebours. N'empêche que mon intérêt a baissé d'un segment à l'autre, après le premier (c'est à dire le 3), assez épatant. L'audace narrative tend ensuite à s'aplanir, le mystère se rapetisser, l'émotion se banaliser, ce qui laisse trop de place au prêchi-prêcha.