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  • La Voie lactée (Luis Buñuel, 1969)

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    La petite insatisfaction que génère "La Voie lactée" (aiguisée par sa position même, entre "Belle de jour" et "Tristana") ne vient pas du découpage du récit qui tendrait à la suite de sketches, comme je croyais me souvenir. Cette avancée, qui vient du roman picaresque, est au contraire l'un des plaisirs du film car l'extraordinaire variété des enchaînements le rend imprévisible. Cela peut-être, toujours différent, une rencontre, un rêve, un souvenir, un glissement historique, un fantasme, une apparition ou encore un simple récit oral (on pense forcément que l'histoire entamée par Julien Guiomar au coin du feu va être représentée mais pas du tout, d'où la force de la séquence). Non, la limite du film est son contenu exclusif, une succession de conversations, débats ou dilemmes théologiques fidèlement repris de textes anciens mais dont le déplacement à l'époque contemporaine (même parasitée par d'innombrables irruptions des temps passés) frappe d'ironie ou d'absurdité. Si le décalage induit fonctionne à plein dans le quotidien moderne (la discussion sur la nature du Christ entre le maître d'hôtel et ses employés), d'autres séquences, plus "historiques", s'étirent inutilement (les Noces de Cana ou le duel entre le janséniste et le jésuite). Par ailleurs, comme le pointait aussi Louis Seguin, déconcerté dans un Positif d'époque, les deux vagabonds (Frankeur et Terzieff) en fil conducteur se révèlent trop passifs pour que le spectateur s'accroche réellement à leurs basques.

  • Gran Casino (Luis Buñuel, 1947)

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    Buñuel arrive au Mexique et débute par cette commande avec deux vedettes du music-hall, une histoire de vengeance et d'amour dénonçant au final l'avidité d'un trust pétrolier (géré par un Allemand dont il n'est question que dans les dix dernières minutes). Le film est clairement commercial, mélangeant les genres populaires au fil d'un scénario pas toujours très solide et oubliant vite sa base sociale. Son rythme est considérablement ralenti par des chansons déroulées en intégralité. Reine du tango argentin, Libertad Lamarque s'investit franchement tandis que Jorge Negrete semble au contraire faire peu d'efforts pour chanter ses airs mexicains. Deux d'entre eux, cependant, sont bien amenés : le premier recouvre le bruit de la lime nécessaire à une évasion de prison et, plus tard, un autre est consécutif à un encerclement du héros qui, ainsi menacé, se réfugie sur scène. Coincée en studio même pour représenter un chantier, la mise en scène est tout à fait correcte mais ne s'autorise aucun écart hormis deux brefs plans sur une flaque de goudron en pleine discussion amoureuse. C'est le seul instant que l'on puisse qualifier d'insolite. Il y a bien un plan de jambe dénudée mais, placé en ouverture d'un numéro, il relève clairement de la convention du spectacle musical, comme l'échange d'identité entre l'héroïne et son amie n'est qu'une astuce scénaristique. Ailleurs repoussée (deux meurtres importants se succèdent sans être représentés), la violence ne surgit elle aussi qu'un instant lorsque Negrete se saisit d'une lourde statuette et assomme avec une grande brutalité l'un des sbires cachés derrière un rideau. Ici, le fait de ne pas voir la victime décuple la force des coups. Le film n'est absolument pas indigne mais la moisson reste très modeste.

  • Noblesse oblige (Robert Hamer, 1949)

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    Bien aimé il y a longtemps, c'est en fait, sans doute, le chef d'œuvre du genre. Le coup de génie de Hamer a été d'utiliser la même tactique que son héros : n'être en surface que tact et délicatesse pour mieux faire exploser par en-dessous une incroyable charge. L'ironie du film est constante et dévastatrice. Tous les us et coutumes de la noblesse y passent (cérémonies, loisirs, repas, affaires), tous les lieux où son pouvoir est assuré sont comme profanés mais presque sans y toucher. Jusqu'au procès final à la Chambre des Lords. Cette séquence ne ralentit pas le film, comme on pourrait le craindre, pour cette raison (l'ajout d'un territoire signifiant) et parce qu'elle enrichit encore le récit, sous-tendue qu'elle est par un nouveau stratagème insoupçonné. C'est d'ailleurs le rythme de la totalité qui est infaillible. Non pas qu'il soit invariable. La succession des meurtres n'a par exemple rien de mécanique, tous ne mobilisant pas les mêmes efforts, et les intrigues amoureuses leur étant remarquablement rattachés. Par ailleurs, si le film est resté célèbre pour la performance multiple d'Alec Guinness, celle-ci n'en est qu'une des richesses, jamais envahissante, extrêmement bien diluée dans la coulée. Joan Greenwood, Valerie Hobson et Dennis Price méritent autant d'éloges, le dernier participant à rendre le personnage principal fascinant. Sa confession en voix off recouvre l'ensemble du film. On la prend d'abord pour une facilité avant de comprendre qu'elle est indispensable à l'entière réussite. C'est elle qui rend particulièrement sensible l'ironie, en donnant à la fois le point de vue (donc l'adhésion) et la distance. Tous ces éléments sont merveilleusement imbriqués et puisque, dans les interstices, un souffle d'humanité persiste (le désir partagé - "immoral" lui aussi mais "vrai" - entre l'homme et chacune des deux femmes), le déploiement de tant de méchancetés est accepté avec grand plaisir.

  • L'Horoscope de Jésus Christ (Miklos Jancso, 1989)

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    Tourné juste avant la levée du rideau de fer hongrois, le film représente de façon expérimentale, sombre et onirique une société contemporaine hantée par les fantômes staliniens et se cherchant un avenir. Le récit est extrêmement difficile à suivre et il faut se raccrocher au personnage principal, à nouveau interprété par Gyorgy Cserhalmi, poète que l'on prend d'abord pour une figure christique avant qu'il soit nommé Joszef K ("pour Kaffka, avec deux f" est-il dit). Jancso filme cette fois dans des appartements, en cadre serré laissant peu d'espace aux acteurs mais toujours dans l'étirement du temps, ce qui a pour conséquence de rendre leurs allées et venues souvent arbitraires et leurs sautes d'humeur parfois pénibles. Les changements de lieux mettent à mal la continuité et l'avancée se fait plutôt par tableaux, pour autant de rencontres du personnage avec des femmes aimées qui se terminent dans la violence et toujours sous le regard d'individus mystérieux. Car dans la confusion des discours historiques, des inquiétudes du moment, des chants populaires, des effets de miroirs, des dédoublements et des escamotages, le message le plus évident porte sur l'oppression due à une surveillance constante qui rend les identités douteuses et qui entraîne vers la folie. Testée dans "La Saison des monstres", l'installation d'écrans dans le cadre, diffusant des images de la même scène ou de scènes passées, est ici systématisée. L'intérêt du balayage de ces multiples moniteurs par la caméra, qui allonge encore les plans, est très relatif et n'aide pas à éclaircir la chose.

  • Contagion (Steven Soderbergh, 2011)

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    C'est évidemment LE film prémonitoire de la pandémie de COVID-19, impossible à découvrir aujourd'hui de la même façon qu'en 2011. De manière étonnamment complète, Soderbergh et son co-scénariste Scott Burns, en repensant au SRAS de 2002, y décrivent des réactions en chaîne, abordent des thématiques et élisent des types de protagonistes que la réalité s'est chargée de valider dix ans plus tard (jusqu'au bilan humain, pas si éloigné). C'est ce qui rend le film assez passionnant à regarder. On voit également d'autant mieux comment il "fictionnalise". Le déclenchement est rapide et les premiers décès, brutaux, saisissent vraiment. L'immersion des stars dans le flux général, mondial, est très réussi dans la première partie qui laisse espérer une fiction égalitaire et sans crête dramatique trop évidente. Ce pari n'est malheureusement pas tenu sur la durée, les risques restant très mesurés : la vedette foudroyée en dix minutes (Gwyneth Paltrow) revient en vrais-faux flashbacks ; l'éparpillement initial subit un recentrage progressif ne donnant à voir que le traitement états-unien de la crise (entraînant vers des représentations plus familières, celles du film catastrophe, de fin du monde ou de zombies) ; enfin, les auteurs, pour dénouer tout ça, n'ont pas pu ou voulu ignorer totalement la notion d'héroïsme.