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Un cinéaste en mal d'inspiration se lie avec un jeune homme et en fait son assistant. Il l'envoie en Italie à la recherche d'une actrice s'étant retirée du métier. L'assistant la trouve, en tombe amoureux et, devant son refus de jouer à nouveau la comédie, lui propose un marché : organiser des retrouvailles avec son père parti à New-York en échange de sa participation au projet du réalisateur. En cette fin des années 80, ceux qui ont fait les nouvelles vagues des deux décennies précédentes s'interrogent sur la mort du cinéma (ou au moins son devenir incertain), sur la prolifération des images (essor de la vidéo, domination de la télévision), sur la facilité à voyager et sur l'éternelle fascination pour l'Amérique. Le film de Tanner a donc une parenté évidente avec d'autres, signés Wenders ou Godard. L'une de ses grandes qualités est de contrebalancer sa potentielle gravité par une élégante légèreté et de ne jamais discourir sur le cinéma sans auto-ironie ou sans contradiction. Le pacte entre le réalisateur et l'assistant justifie totalement que certains dialogues soient assez soutenus, qualité littéraire qui d'ailleurs s'oublie au fur et à mesure, notamment par la façon qu'a Tanner de les ancrer dans la réalité d'un bar ou d'un coin de rue. Démarrant sur la question de la création en panne, le film parvient à surprendre en progressant par déplacements narratifs, une histoire ouvrant sur une autre au fil des rencontres. Jean-Louis Trintignant est admirable en cinéaste désabusé mais continuant à avancer, Laura Morante assume avec grâce le mystère de son personnage et Jacob Berger fait d'abord craindre le cliché du minet eighties avant de nous convaincre de la nécessité d'une autre énergie et d'un autre regard sur le monde. Sorti il y a presque quarante ans sans honneurs excessifs me semble-t-il, La Vallée fantôme rend, par comparaison, le surestimé Valeur sentimentale académique et étriqué.
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(ajout 02/10)
Dans La Vallée fantôme, il y a cette séquence géniale.
Convoqué par sa production dans un studio parisien, le réalisateur incarné par Jean-Louis Trintignant apprend qu’il est là pour mener un casting de comédiennes enregistré en vidéo. Il dit tout d’abord préférer ne pas le faire sous forme d’entretiens : "faut pas leur poser des questions parce que la vidéo, ça ressemble déjà tellement à la police". N’ayant pas son scénario avec lui (ou feignant de ne pas l’avoir), il propose plutôt que l’on fasse lire aux candidates des extraits de livres. "Mais vous ne voulez pas les voir ?" demande la directrice du casting. "Si. Je vais leur dire bonjour et je les regarderai de la régie".
Le casting démarre. On voit Trintignant assis à côté du technicien à la table de commandes. Au bout de quelques secondes il lâche : "Je suis trop près là, je vais m’asseoir derrière". Une fois sur le canapé : "- Dans le fond pourquoi il y a tous ces écrans ? Vous ne voulez pas me laisser une seule image monsieur ? - Ok, si vous voulez . - Qu’est-ce que c’est le petit écran là sur la gauche ? - C’est la surveillance".
Deux plans plus loin, il est déjà dans la rue, avant la fin du casting.
A partir d’une situation concrète, Tanner nous fait ressentir un nouveau rapport aux images, de façon simple, au fil d’une séquence calme et fluide alors même qu’elle déploie une série d’oppositions (cinéma/vidéo, mouvement/statisme, parole/musique, regardeur/regardée). Superbe.