Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

nichols

  • Take shelter

    nichols,etats-unis,2010s

    ****

    Au moment de sa sortie, j'avais pris Shotgun stories pour un film trop ostensiblement renfrogné. Take shelter, deuxième long métrage de Jeff Nichols, n'est guère plus avenant mais il m'amène à penser que mon jugement sur le précédent était peut-être trop réservé. Il m'apparaît en effet aujourd'hui que ce jeune cinéaste (33 ans) n'est sans doute pas un poseur consciencieux mais bien un auteur réellement anxieux, un réalisateur inquiet. De là vient l'aspect bourru de ses films. Néanmoins, Take shelter me semble clairement supérieur à Shotgun stories. Je le trouve moins buté, moins programmé et, sur la longueur, assez souvent impressionnant.

    Jeff Nichols se penche sur l'évolution d'un esprit en souffrance, celui de Curtis (Michael Shannon, imposant), un mari et un père qui sombre dans une paranoïa apocalyptique au point d'halluciner sur des tempêtes de fin du monde et de vouloir en protéger sa famille en construisant un coûteux abri sous son jardin.

    Les visions cauchemardesques, à peine distinguées de la réalité au moment où elles s'activent, donnent à la première partie de Take shelter son efficacité et permettent de scander la montée de l'angoisse. Elles se font plus rares par la suite, sans que l'ambiance en devienne moins anxiogène pour autant. Si elles marquent forcément le spectateur, elles ne sont donc pas la qualité principale du film. Ce n'est pas cela qui fait son prix. Sa force tient avant tout à ce qui se joue entre ces scènes-là, dans le quotidien, dans les discussions et les actions.

    La mise en scène de Jeff Nichols est calmement inquiète. La sensation d'oppression se transmet par les cadrages, composés par en-dessous du regard de Michael Shannon, pour des contre-plongées à peine perceptibles qui donnent tout leur poids au décor mais surtout au ciel. Car le danger vient de là. La façon qu'a le cinéaste de filmer le jardin et l'abri toujours du même côté afin d'ouvrir le champ  vers un horizon menaçant est particulièrement frappante.

    Le sentiment du danger imminent et cataclysmique entraîne Curtis vers la folie. Sa dérive mentale est décrite. Mais plus que les symptômes, c'est la lutte pour y échapper qui rend le film passionnant. Tout d'abord, de cette folie, faut-il que Curtis en parle ou pas ? Il finit par le faire et de s'apercevoir alors que verbaliser la catastrophe, c'est déjà l'affronter avec plus d'efficacité et plus de chances d'en sortir entier. Dire les choses, communiquer, voilà l'un des nombreux enjeux qui traversent Take shelter et qui le maintiennent très solidement. La fille du couple est sourde et muette et plusieurs séquences nous montrent la famille en train d'apprendre et d'utiliser la langue des signes. Ainsi, dès le début, avant même que soit mieux éclairée la "généalogie à problèmes" de Curtis (il y a comme un report des troubles vers sa fille et "depuis" sa mère), ce redoublement du thème de la communication indispensable scelle la relation forte père-fille.

    Le lien conjugal se révèle lui aussi indéfectible. Si Jeff Nichols parie sur l'intelligence du spectateur, il parie surtout sur celle de ses personnages. Intelligence du comportement et de la réaction. La folie gagnant l'esprit de Curtis est bien sûr source de stupeur mais elle n'est pas à l'origine d'une succession d'oppositions de caractères (fou/normal) qui sous-tendent trop souvent la dramaturgie de ce type de fiction. Plus que les scènes de crises s'imposent alors celles, très belles, de "confessions" : au médecin, à la psychologue, à l'épouse. La dérive touche parce qu'elle ne débouche pas sur le conflit simpliste et parce que celui qui en souffre est tout à fait conscient, tiraillé entre deux forces, l'une positive (la raison, la famille), l'autre négative (le pressentiment de l'apocalypse). Dès lors, peut être proposée sans compromis ni sensiblerie cette (presque) fin qui figure un admirable accompagnement vers la sortie de crise, point d'orgue d'un dernier quart d'heure poignant dans lequel l'amour prend tout à coup une place considérable.

    J'ai rarement le réflexe de ceux qui croient voir dans le moindre film un geste politique irréfutable. Toutefois, il est difficile de ne pas placer Take shelter sur ce terrain-là. Cette menace qui pèse sur les épaules voutées de Curtis apparaît assez clairement comme métaphore d'une crise de civilisation. Le discours n'est jamais direct mais le soin apporté à la description des difficultés financières du couple, qui plus est parfaitement intégré au monde et à la communauté, est significatif (je précise que ce qui est remarquable ici, c'est la manière qu'a Nichols de mêler ces différents éléments pour donner naissance à un faisceau de causes dont aucune ne domine les autres). Dès lors, arrivés au bout du chemin, nous avons bel et bien l'impression que ce n'est pas seulement Curtis qui se sent aspiré mais nous, tous ensemble, qui contemplons la tempête s'apprêtant à tout dévaster. On sort vraiment de Take shelter en sueur.

     

    takeshelter00.jpgTAKE SHELTER

    de Jeff Nichols

    (Etats-Unis / 120 min / 2011)

  • Shotgun stories

    (Jeff Nichols / Etats-Unis / 2007)

    ■■□□

    1848688301.jpgShotgun stories est un film qui fait la gueule, Shotgun stories n'est pas un film aimable. Ce n'est pas forcément un défaut, comme le montre parfois le cinéma de Breillat, de Dumont ou de Haneke. Ici pourtant, quelque chose me gêne.

    Dès les premiers plans, une chape de plomb pèse sur chaque personnage. Le poids de la tragédie ne semble jamais devoir s'alléger. La ligne, le ton, ne dévient pas. Les dialogues sont rares mais chargés eux aussi (amour, haine, vengeance, famille). Un engrenage répétitif, opposant deux fratries, se met en marche à partir d'un éclat lors d'un enterrement, celui d'un père ayant eu deux vies de famille successives. Le conflit est montré du point de vue des trois frères abandonnés au terme du premier mariage. Leurs prénoms résonnent lourdement du manque d'amour parental : Son, Boy et Kid. L'interprétation, par des visages peu ou pas connus, est intéressante sans être transcendante (Michael Shannon était plus à l'aise l'an dernier dans le Bug de Friedkin).

    L'histoire n'est pas située clairement dans le temps. Elle pourrait dater des années 70. De fait, c'est tout un pan du cinéma américian de cette periode qui est convoqué : Malick et Badlands pour la violence dans le cadre d'une petite ville de campagne filmée en scope et pour le montage "musical", Monte Hellman pour ces moments du quotidien où rien ne se dit de spécial, rien ne se passe d'important, et enfin tous ces films d'horreurs du genre Massacre à la tronçonneuse, faisant naître le pire du calme paysage champêtre. L'ambiance est à la menace sourde. Chaque nouveau plan nous voit guetter avec inquiétude telle voiture entrant dans le champ. Régulièrement annoncée, la violence est, passés les prémisses, maintenue hors-champ ou désamorcée.

    Pas de doute, Jeff Nichols sait y faire et sait ce qu'il veut. Seulement, si maîtrisé que soit son film, les intentions sont toujours évidentes (un seul exemple : le thème musical passe insensiblement du folk au lamento, suivant en cela la montée dramatique, pour repasser sur la fin des violons à la guitare quand une lueur d'espoir se fait enfin sentir). Il y a peu de latitude laissée aux sentiments du spectateur. Une légère impression de manipulation flotte. Il serait idiot de nier que Shotgun stories soit un bon film et un début de carrière plus qu'honorable, mais le volontarisme de l'ensemble génère comme un picotement désagréable.