Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2020s

  • The Phoenician Scheme (Wes Anderson, 2025)

    ***

    Miracle. Il m'aura fallu attendre la septième tentative pour aimer absolument un film live action de Wes Anderson (ses deux animés m'avaient bien/beaucoup plu), de l'explosive première séquence à la dernière, plus simple. La violence du monde s'est immiscée dans son univers protégé et même la musique s'est (favorablement) alourdie, sans sucre pop. Les épisodes de cette aventure exotique sont suffisamment variés, les apparitions des vedettes disséminées, les figures de style convoquées à bon escient (oubliée l'insupportable monotonie des travellings latéraux d'Asteroid City). Le segment presque final où Benedict Cumberbatch s'est fait la tête de Fantômas, c'est beau comme du Feuillade. Michael Cera est deux fois très bon en agent démasqué. Je découvre Mia Threapleton, toute de blancheur, face au bloc noir Benicio Del Toro, en Citizen Kane blessé, le point fort du film, l'élément le plus déterminant. Il apporte une épaisseur, une vibration remontant de loin, une présence directe sans second degré redondant. Ces personnages, qui n'ont pourtant au départ pas grand chose pour eux, m'ont paru pour une fois incarnés et sensibles, finalement très émouvants.

  • Le Répondeur (Fabienne Godet, 2025)

    **
     
    Bien aimé cette comédie sans prétention qui, à partir d'une situation invraisemblable, se développe assez finement, en évitant pas mal de pièges (évidemment quelques quiproquos mais sans avalanche). Le rythme peut paraître inégal mais c'est aussi parce que le temps est laissé à chaque scène (on aime ou pas les moments d'imitations en stand-up mais, au moins, la durée leur confère une certaine vérité). J'aime bien aussi l'approche des personnages : la satire du milieu parisien de la culture ne frappe pas aveuglément car chacun a sa chance, ne serait-ce qu'un court instant, et les seuls personnages entièrement désagréables sont laissés hors-champ, au bout du téléphone, ce qui m'a paru être un principe intéressant.

  • Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu, 2024) & Libertate (Tudor Giurgiu, 2023)

    * / ***
    Deux films roumains qui traitent de la révolution de 1989 et de la date pivot du 21 décembre, l'un racontant les prémices, l'autre les conséquences. Pas de révélation du niveau Porumboiu-Mungiu-Puiu de la grande époque mais ma préférence va nettement au second, qui pourtant, je crois, a été moins mis en avant.
    "Ce nouvel an..." est un film choral qui, au-delà de ce principe de départ, ne m'a guère semblé aventureux, ni dans sa forme, ni dans son contenu. Le placement de tous ses personnages dans un état de fébrilité permanent est assez artificiel et chaque trajectoire plutôt convenue, avec beaucoup de choses prévisibles, à l'image de la demande de la vieille dame, rechignant à abandonner son appartement, qu'on l'aide à colmater ses fenêtres de chambre. Le choix du "Boléro" de Ravel pour mener le dernier mouvement me semble symptomatique : créer de l'émotion et de l'unanimisme à peu de frais.
    L'agitation et la tension sont bien plus justifiées par la situation dans "Libertate" qui, d'ailleurs, choisit avec beaucoup moins de facilités et plus d'audace le decrescendo pour aller à son terme. Son côté thriller, ou film de guerre, ne l'empêche pas de prendre des petits détours, de s'octroyer des pauses, au fil d'une mise en scène habile et prenant consciemment le risque de laisser pendant longtemps très peu de repères au spectateur. La choralité du récit prend cette fois l'allure du hasard et ne dégage que tardivement une hiérarchie parmi les personnages, sans que l'on puisse la prévoir au début. En recréant dans une piscine vide un microcosme où se retrouvent, sous la menace de l'armée, policiers, membres de la Securitate, révolutionnaires de la première heure et simples passants, sa principale qualité est de toujours laisser la place au doute sur chacun et de démontrer courageusement combien il est difficile, impossible même, de juger les gens à chaud, sur l'instant.

  • The Insider (Steven Soderbergh, 2025)

    ***

    Retourné comme un gant. D'abord un peu agacé par le glacis, par le cynisme, par les bavardages, par la déshumanisation. Puis la mécanique s'emballe, merveilleusement perturbée ("to disrupt", formule de Fassbender en réaction). Et surtout, le facteur humain finit par émerger, enfin (notamment, avec "éclat", dans cette grande scène de retour autour de la table), préservant ce couple singulier. Bravo Steven.

  • Vermiglio ou la mariée des montagnes (Maura Delpero, 2024)

    ***
     
    Vermiglio est un village isolé des Alpes italiennes. Quand débute l'histoire, sa population attend la fin de cette seconde guerre mondiale qui s'éternise.
    Le sous-titre du film pourrait indiquer un conte, avec une héroïne. Mais c'est bien d'une chronique familiale qu'il s'agit, à laquelle chacun, chacune surtout, contribue. Le scénario tisse les relations d'une dizaine de personnages, relations étroites, presque magiques, avant de les éloigner mais tout en maintenant un lien invisible.
    Les séquences elles-mêmes sont à la fois autonomes, dans leur beauté plastique, et reliées par la musicalité de la mise en scène et par celle des voix. Ces voix singulières d'enfants, de femmes, d'hommes, traversent le film en débordant souvent d'un plan à l'autre. C'est dire l'importance de la parole (dite, donnée, écrite).
    Voix et images. La réalisatrice Maura Delpero signe une œuvre austère mais sensible, un mélodrame épuré, une succession de tableaux vivants à la photographie sublime.

  • Mickey 17 (Bong Joon-ho, 2025)

    ***
     
    Passé un bon moment. Peut-être y a-t-il un petit ventre mou, après l'hyper-dynamisme de la première demi-heure, mais le dénouement miyazakien m'a plu. Bong Joon-ho retrouve sa veine science-fiction, ses projections vers un futur peu rassurant, ses créatures étranges, ses récits emberlificotés. De la Corée du Sud aux Etats-Unis, il n'a rien perdu de son brio ni de son imaginaire, n'a rien cédé non plus sur ses préoccupations. Au contraire, le message n'en est que plus clair lorsqu'il met en scène un politicien-industriel autoritaire et lorsqu'il alerte sur les désastres écologiques et les risques de guerre.
    Par ailleurs, sans en faire un film subversif, il me semble qu'il réussit suffisamment à grignoter les fils à l'intérieur de la machine pour tenter de réajuster le système. Et rire des multiples morts de Robert Pattinson, comme de son dédoublement, c'est aussi s'effarer de voir comment notre monde court à sa perte, à toute vitesse, tout en espérant qu'il se ressaisisse in extremis.

  • Tardes de soledad (Albert Serra, 2024)

    ***
     
    Le film est un peu le "Zidane, un portrait du XXIe siècle" de la tauromachie, avec cette approche expérimentale à la fois fragmentaire (la caméra n'est concernée que par le torero et par le taureau, à la limite par les accompagnants mais à l'exclusion de tout le reste) et immersive (grâce au son d'ambiance et à la durée des plans). La supériorité sur le doc/essai consacré à Zizou vient de la variété (un peu) plus grande des lieux (deux de plus que l'arène : le van et la chambre d'hôtel), de la dramaturgie forcément plus poussée (un coup de corne n'est pas un tacle) et surtout des réactions et des questions que la corrida ne peut manquer de soulever. Certes, la démarche est non-interventionniste, et Serra dit que le reste n'est "pas son problème". Soit. L'insistance sur les agonies taurines, ainsi que, ce que l'on n'entend pas d'habitude, les insultes sans cesse balancées par les toreros aux animaux pendant le combat, me semblent pourtant assez claires. Normalement, cet "art" devrait être amené à disparaître. Normalement. Mais va savoir ce que nous réservent tous les "couillus", les "guerriers", les obsédés de la "vérité" et des "sommets".

  • Prima la vita (Francesca Comencini, 2024)

    ***

    Récit d'une relation père-fille intense et complexe en forme d'auto-biographie élevée en fiction par le brouillage des souvenirs, qui embellissent ou qui retranchent (parti-pris fort du film : toutes les autres figures familiales disparaissent du cadre pour se concentrer exclusivement sur les deux personnages). Ces deux personnes ne sont pas n'importe qui. Le père, c'est Luigi Comencini, l'un des maîtres de la comédie italienne et génial observateur de l'enfance ("L'Incompris", "Un enfant de Calabre" et la meilleure adaptation jamais réalisée de "Pinocchio" dont le tournage est fabuleusement reconstitué ici). Il a les beaux traits de Fabrizio Gifuni, qui fut Aldo Moro pour Marco Bellocchio. La fille, c'est Francesca Comencini, réalisatrice depuis les années 80, époque bien plus difficiles que les précédentes pour le cinéma italien. La petite Anna Mangiocavallo puis Romana Maggiora Vergano l'incarnent successivement avec la même étincelle dans le regard. Le film est un vibrant hommage au pouvoir du cinéma mais dans un second temps. Il ne s'agit pas d'un discours convenu sur la magie du 7ème art. La profession du père n'est d'ailleurs pas donnée tout de suite. Avant toute chose, c'est l'émouvante histoire d'un amour filial qui est présentée, avec quelques percées oniriques, dans une approche toujours sensible et dans une mise en scène parfois austère mais palpitante. Comme le dit le cinéaste sur son plateau : "Prima la vita, poi il cinema", "d'abord la vie, après le cinéma".
  • Black Dog (Guan Hu, 2024)

    ***
     
    Belle fable canine, ce "Chien noir" chinois où l'idée d'une ville perdue et promise au nettoyage est remarquablement prolongée par la mise en scène horizontale, où, malgré la date précise (2008, les JO de Pékin), on pourrait être dans une ère post-apocalyptique, où le temps s'étire plus pour surprendre que pour engourdir, où la question de la violence est surtout abordée à travers les possibilités de désamorçage.