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2020s

  • Perfect Days (Wim Wenders, 2023)

    ***

    Scènes de la vie quotidienne d'un agent d'entretien des toilettes publiques de Tokyo, grand-petit film. Petit au sens modeste, comme le cadre de vie du personnage et le cadre serré du film, comme les lieux qu'il habite et nettoie, comme les plaisirs qu'il s'autorise. Avec calme, simplicité et bienveillance, Wenders nous parle du lien social, du rapport avec les autres mais aussi de la nécessité à être en accord avec soi-même. Un beau film-hommage à un pays, une ville, un quartier, un acteur, le magnifique Koji Yakusho.
     
  • The Survival Of Kindness (Rold de Heer, 2023)

    ***

    Bien aimé "The Survival of Kindness" de Rolf de Heer (dont je n'avais rien vu depuis 15 ans), traversée de l'espace et du temps australiens en très beaux plans, et surtout conte cruel post-apocalyptique, registre qui permet d'alléger le poids des messages, de garder originalité et mystère sans avoir à trop resserrer les boulons du récit. Grâce au respect d'un unique point de vue, la violence y est mise à distance sans paraître aseptisée et l'histoire bouclée logiquement et fatalement.

  • X (Ti West, 2022)

    **

    J'avais un peu perdu l'habitude de me faire bousculer avec de l'horreur mais c'est pas mal "X" de Ti West. Enfin surtout la première heure, avec des personnages bien campés, une ambiance 1979 recréée sans effort, plusieurs plans très larges en belles ponctuations, une petite astuce de montage efficace pour certaines transitions. Après, malheureusement, entre renouvellement et simple reconduction de tous les codes du slasher, je ne vois pas trop la différence. Il me semble qu'on retombe dans le cahier des charges des exécutions successives. Travail intéressant sur les différents corps et les différents âges, dans la perspective du désir sexuel, mais pourquoi ne pas avoir filmé de vraies personnes âgées plutôt que de grimer et truquer, et donner par conséquent un côté "créature fantastique" au vieux couple ?

  • Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese, 2023)

    ***

    Martin Scorsese remet à jour inlassablement les racines du mal en racontant une histoire singulière, un renversement apparent des positions habituelles (entre Indiens et "Blancs", entre femmes et hommes) inadmissible pour certains qui useront rapidement de la violence. Un passionnant détour par l'Histoire qui permet d'aborder habilement les problématiques actuelles.
    Le film est long (3h26) parce que Scorsese prend le temps d'aller au fond de chaque scène et de diriger au mieux ses interprètes, tous remarquables.
  • Le Garçon et le Héron (Hayao Miyazaki, 2023)

    ***

    Dès les premières minutes, la beauté d'une animation sans égale par son inventivité et sa vibration interne, nous saisit à nouveau sur grand écran. 
    Miyazaki nous éblouit encore avec ce film-somme à la fois universel, intemporel et aux couches de plus en plus complexes et libres.
    L’œuvre, réflexion sur le deuil, est hantée par la guerre, la guerre des hommes qui semble se reporter à l'intérieur de la nature elle-même et entre les créatures visibles ou invisibles qui la peuplent.
    Avec son jeune héros au regard si sérieux et si intense, on traverse les espaces, on s'enfonce dans le temps, on va au plus profond... dans l'esprit lumineux du grand créateur Hayao.

  • Divers

    Films vus ces jours-ci, du décevant à l'inattendu :
    - "Le Règne animal" (*) m'a semblé bien en-dessous des "Combattants", qui se développait de manière beaucoup plus harmonieuse. Le nouveau Cailley est plus un film de "visions", parfois convaincantes, d'idées de plans, parfois réussis, mais son déroulement est trop heurté et trop troué pour pouvoir emporter.
    - "Les Feuilles mortes" et "L'Eté dernier" (***) sont tels que la plupart les décrivent et les analysent, deux beaux films.
    Kaurismäki parvient à nouveau à faire passer l'étincelle dans les regards malgré l'immobilisme, et à réactiver des figures de style cinématographiques oubliées. Dans cet univers décalé, on en vient à sursauter quand déboulent deux jeunes filles dans un supermarché ou des plans de "The Dead Don't Die" là où l'on attendait Bresson ou Chaplin. Et c'est toujours assez passionnant de voir comment le contemporain s'infiltre dans ce monde a priori si hermétique.
    Breillat ne déroule pas le tapis rouge à l'entrée de son film, qui demande du temps pour l'appréhender et l'apprécier. La bascule se fait peut-être au moment, magnifique, où "Dirty Boots" de Sonic Youth se fait entendre (mais c'est dommage qu'elle le reprenne en sourdine dans le bar quelques minutes plus tard). A partir de là, le film devient plus souple, jusque, bien sûr, aux tensions du dernier tiers. C'est très fort sur les cadrages (le premier baiser !), les positions des corps, les regards (l'insistance sur le regard par en-dessous du garçon, qui n'a plus la même signification dans la dernière partie).
    - Du "Consentement" (***), de Vanessa Filho, j'avais un peu peur et mes craintes se sont aussitôt envolées (pas lu le livre). JP Rouve m'a tout à fait étonné en Matzneff-Nosferatu. En partie grâce à lui, la réalisatrice a pu trouver la bonne distance pour filmer cette histoire d'emprise, pour styliser juste ce qu'il faut et empêcher que la contrainte soit aussi celle sordidement imposée au spectateur. La mise sous pression par la réputation, les mots, la voix, puis par le corps, la manipulation et le terrible renversement (l'abuseur se disant abusé), tout est très bien montré. Il y a même le recours très risqué à deux éléments (le fameux extrait d'"Apostrophes" et une chanson de Barbara) qui donne en fait deux scènes très réussies (avec Laetitia Casta, très bien dans le rôle de la mère).

  • Le Gang des Bois du Temple (Rabah Ameur-Zaïmeche, 2023)

    ***

    Bien aimé "Le Gang des Bois du Temple" de Rabah Ameur-Zaïmeuche. N’ayant vu jusque là, sans grande passion, que deux de ses films précédents, j’ai apprécié ici le resserrage de boulons consécutif à l’inscription franche dans le genre criminel. L’équilibre est bien trouvé entre moments de stase, en dialogues (qui semblent) improvisés ou en observation calme, et emballements dramatiques qui, dans un engrenage attendu, restent surprenants quand ils adviennent. C’est dû aussi à l’intéressante "choralité", à la diversité des points de vue qui fait mine de provoquer des détours pour mieux se recentrer. Encadré par le genre (il l’est aussi par deux beaux moments musicaux), le récit tient bien et on peut profiter des singularités de la mise en scène de RAZ.

  • Moonage Daydream (Brett Morgen, 2022)

    ***

    Le film de Brett Morgen, est vraiment "immersif", par ses qualités enveloppantes, ce qui en fait un documentaire "avec" Bowie plutôt que "sur" Bowie. Spectaculaire montage d'archives uniquement guidé par les propos du chanteur (et quelques relances de journalistes), "Moonage Daydream" donne l'impression rare d'entrer dans sa tête, de partager ses visions et intuitions, d'apprendre vraiment comment il se voyait lui-même à chaque étape de sa carrière. Ce montage est tellement vif qu'il faut tout de même un moment pour s'y habituer. Par ailleurs, il vaut mieux bien connaître les différentes étapes de cette trajectoire artistique pour se repérer car même si l'avancée est chronologique, elle est surtout "thématique", fixant des époques successives en fascinants déluges d'images et de sons, sans quasiment donner aucun titre d’album, film ou chanson. Comme on se tient loin du didactisme conventionnel, cette précieuse proximité avec l’œuvre a un prix : il faut accepter que tout ne soit pas abordé, que tel morceau ne remonte pas sur la bande son, que telle image ne soit pas insérée ("Twin Peaks" ? mais le montage de Morgen est déjà, en quelque sorte, lynchéen), que des périodes soient survolées ou réduites à un thème (celle de "Outside"/"Earthling" à celui du chaos en une seule et longue séquence construite sur "Hallo Spaceboy"). Les créations visuelles et sonores de Bowie sont de toute façon si nombreuses qu'une heure de plus n'aurait pas suffi. Les 2h15 passent très vite et derrière le parti pris s'apprécie la fidélité envers l'univers ainsi transposé/remodelé.

  • Fairytale (Alexandre Sokourov, 2022)

    ***

    D'une idée folle (Churchill, Hitler, Mussolini, Staline et leurs nombreux doubles errent, discutent et s’asticotent au purgatoire en attendant de savoir si Dieu leur accordera l'entrée au paradis), Sokourov tire une expérience cinématographique incroyable, qui interroge autant qu'elle fascine. "Fairytale" est certes bavard, voire radoteur, mais sa relative brièveté (1h20) fait que ce handicap reste surmontable, la quantité de textes s'accordant d'ailleurs plutôt bien à la lenteur des gestes et déplacements obtenue par le ralentissement des images (le fait que chacun parle dans sa langue contribue aussi à contrer la monotonie). En deepfake ou pas (Sokourov récuse le terme, sans doute en partie pour garder sa position d'artiste, loin des bidouilleurs de l'internet, mais la technique semble au moins proche), des images sidérantes sont créées, particulièrement lors des séquences où les "personnages" sont confrontés aux masses qui les ont vénérés, formes mouvantes, liquides. Des séquences d'une texture audio-visuelle que l'on n'a jamais vue ailleurs. Gris, le film donne une idée de l'enfer, de l'éternel et tragique recommencement de l'Histoire, de la folie des maîtres du monde et de celle des foules hypnotisées. Grand film d'horreur.

  • Les Herbes sèches (Nuri Bilge Ceylan, 2023)

    ***

    Film long, beau et rude comme l'environnement de ce village reculé d'Anatolie, presque entièrement fait de conversations qui font mine d'épuiser les sujets mais ne lèvent jamais toutes les ambiguïtés, qui sont admirablement construites sur des oppositions pour mieux approfondir chaque caractère, qui échappent à la théorie par les simples sons d'ambiance (neige qui tombe, eau de source qui coule) ou par les éclairages intérieurs révélant les personnages. Il est parfois dur d'escalader un relief mais une fois arrivé au sommet, quel point de vue sur le monde !