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2020s

  • On vous croit (Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys, 2025)

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    La recherche du réalisme et l'illusion du temps réel pourraient rapprocher ce premier film de fiction de quelques grands documentaires sur la justice. Des confrontations chez Wiseman ou chez Depardon naît ce vertige de la difficulté, sinon de l'impossibilité, à trancher et à ajuster au mieux une décision. Ici, il nous est demandé à tout instant de juger les personnages. Sur chaque phrase ou chaque posture. Avec une caméra très concentrée et très proche des visages détachés de fonds blancs, même le dispositif nous pousse inlassablement à arbitrer. Dans sa rigidité, il nous y incite même lors de ces plans de coupe sur les avocats qui écoutent, car ce choix de montage ne peut qu'apparaître signifiant et donc directif. Le problème n'est pas, bien sûr, d'être du côté des victimes, ni de traiter un sujet de société extrêmement important, mais d'épuiser ainsi le spectateur entre crises émotionnelles et sommations à prendre position.

  • L'Etranger (François Ozon, 2025) & L'Etranger (Luchino Visconti, 1967)

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    Hyper-chiadé et parfaitement lisse, modernisé juste comme il faut (touche de solidarité féminine et un peu plus de place laissée aux personnages arabes), le film d'Ozon m'a laissé indifférent. L'interprétation va du mauvais (Lottin) au terne (Voisin) en passant par le convenu (Lavant qui engueule puis pleure son chien). Comme Ozon tient à son image pop-rock, il s'offre Killing an Arab en générique de fin sans se soucier du fait que cela entre en contradiction avec la manière illustrative qui précède. Le seul avantage est de m'avoir donné envie de découvrir le Visconti malgré sa faible réputation.
    Au moins celui-ci est un film vivant. Par la couleur, par les zooms et autres mouvements presque fébriles, par le montage parfois brutal. La partie consacrée au procès est visuellement dynamisée par la pertinente idée des éventails agités par le public. Trouvaille nullement gratuite puisque la chaleur est ressentie tout au long du film, la sueur dégoulinant sur chaque visage. Même si, à l'exception du principal, les rôles sont tenus par des français (Anna Karina, Georges Géret, Bernard Blier, Georges Wilson, Bruno Cremer...) privés de leur voix dans la version italienne, tout le monde est meilleur dans cette adaptation-là. Reste le cas Mastroianni. Il est vrai que, démarrant avec son peps et son sourire habituels, il ne peut empêcher que ça coince ensuite par endroits, lorsqu'il s'agit de montrer la passivité, l'indifférence ou l'indécision du personnage. Celles-ci paraissent alors en décalage, comme le geste fatal, sauf peut-être à y voir une sorte de schizophrénie, non-conforme au roman même si c'est une autre façon d'envisager l'inexplicable. Évidemment, le film aurait été tout autre si Delon avait pu jouer Meursault, comme prévu initialement par Visconti.
  • La Disparition de Josef Mengele (Kirill Serebrennikov, 2025)

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    Déçu, même si j'avais été l'un des rares à ne pas avoir succombé au charme de "Leto". La première partie possède sa force, à la fois dynamique et plastique, avec pour points d'orgue les étonnants plans séquences de la fuite dans la rue puis du mariage entre amis nostalgiques du Troisième Reich. Puis il y a la séquence-choc d'Auschwitz. Si l'on pense immédiatement à "La Zone d'intérêt", ce n'est pas vraiment, à mon sens, par opposition (l'un montrerait ce que l'autre masque) mais parce que, tout simplement, l'ouverture s'effectue de la même façon, par une scène intimiste et douce en bord de rivière. Ensuite, l'horreur arrive mais Serebrennikov maintient (heureusement) une certaine distance par plusieurs partis pris. Mais cette séquence n'est pas une bascule, juste une entaille douloureuse dans le récit. Car on reprend ensuite le fil, ou plutôt la ronde, avec les mêmes procédés, le même régime. J'ai alors décroché devant ce qui m'est apparu comme du ressassement plus monotone que vertigineux, l'impression que, à suivre la longue deuxième heure, on n'est pas plus avancé.

  • Ce que cette nature te dit (Hong Sangsoo, 2025)

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    Bizarre bizarre ce on-ne-sait-plus-combien-tième film de HSS. Il est à la fois transparent, direct, évident, dans la qualité de son interprétation, dans sa narration et dans ses thèmes, critique de la bourgeoisie éclairée, interrogations sur la pratique poétique, sur l'indépendance de l'artiste, sur le confort matériel. Mais dans l'extrême longueur des séquences se produisent des renversements, des changements de point de vue sur les personnages, phénomènes culminant évidemment dans la bascule alcoolisée au moment du dîner. Par ailleurs, il y a ces hésitations étonnantes au début, ces personnages dont on parle longtemps avant leur apparition, ces instants d'attente fébrile pour l'invité, cet étrange circuit nocturne avec chute, ces mêmes cadrages qui reviennent... Sans que rien ne soit changé des procédés habituels (si je comprends bien, le cinéaste est maintenant quasiment tout seul avec ses comédien(ne)s), j'ai vu, en creux, plutôt qu'une comédie familiale, un terrible film d'horreur, un sanglant survival, le grand slasher de HSS.

  • Nouvelle Vague (Richard Linklater, 2025)

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    C'est globalement amusant et plaisant parce qu'assez vif (alors même qu'il n'y a pas d'enjeu dramatique, juste le déroulement des jours de tournage). Le soin apporté à la reconstitution (+ le format et le noir et blanc) fait qu'il n'y a pas de gêne à ce niveau-là. On sent le besoin de Godard de tourner à tout prix et, ce qui m'a paru au début l'angle le plus original du film, malheureusement pas trop développé ensuite, le mélange d'amitiés et de jalousies parcourant (et poussant) le groupe des Cahiers. C'est un bon making-of mais son principe de reproduction l'empêche d'être un grand film car on n'y voit pas (moi en tout cas) ce qui appartient à son auteur. L'inventivité d'un geste, d'une situation ou d'un dialogue semble toujours due à Godard, à ses collaborateurs ou à son époque, mais pas aux responsables de "Nouvelle Vague", qui est une sorte d'agréable capsule.

  • Une bataille après l'autre (Paul Thomas Anderson, 2025)

    ***

    Comme toujours, il est impossible de savoir à l'entrée du film où l'on en sera à la sortie, alors même qu'Anderson a choisi d’œuvrer dans le cadre, souvent contraignant, du thriller. L'étirement est l'une des manières de s'affranchir des codes (la gestion du temps long n'a jamais été un problème pour lui). Pour ce qui est du début, à ce stade-là, doit-on parler d'introduction, de préambule ou de première partie ? Combien de temps dure réellement la fuite de DiCaprio et le morceau "frappé" au piano qui l'accompagne ? Quel est le nombre de bosses que doivent passer les trois voitures qui se poursuivent (ou plutôt le nombre de vagues puisqu'on se rappelle alors un dialogue précédent) ? Comme d'habitude, les repères disparaissent, en tout cas ceux que le cinéaste n'estime pas nécessaires. Ainsi le film n'est pas daté et nous laisse le choix en quelque sorte de le faire à sa place, avec ce seul écart de "16 ans plus tard". Bien sûr, cette histoire, à quelques années près, est contemporaine, ce qui prouve entre parenthèses que PTA peut aussi filmer au présent (ce qu'il n'avait pas fait depuis Punch-Drunk Love). Et comment ! Si les premières minutes peuvent laisser penser qu'un parallèle sera établi (la fameuse "menace des extrêmes", brrrr) ou que seront interrogés les moyens de l'action révolutionnaire, la suite indiquera très clairement la direction : l'indispensable résistance au fascisme. La fin doublement positive, dans l'intimité et dans l'engagement, est porteuse d'un autre mince espoir qui repose sur l'idée que ce fascisme s'affaiblit à la fois des coups portés et de ses propres tensions internes, résolues dans l'absurdité et la bêtise. Il y a en effet une part de grotesque dans l'aventure, l'une des façons de vivifier et de déborder du cadre (de même la lubricité peu glorieuse). Le film est imprévisible quelle que soit la hauteur d'observation car il l'est au niveau des séquences, voire des plans. C'est l'une des forces du cinéma d'Anderson depuis toujours : surprendre alors même que tout semble maîtrisé. On ne peut jamais deviner ce que sera l'instant suivant, alors que, souvent, des signaux imperceptibles sont disposés avant : les "vagues" évoquées plus haut, ou encore la façon dont la chute du toit, stupéfiante, est "préparée" par le retard pris par le personnage dès le début. La dérive, ce n'est pas le n'importe quoi. Le film est tellement riche qu'il faudra y revenir (l'ampleur du tableau tient à la multiplicité des lieux et des personnages, qui s'imposent à l'écran quelle que soit la durée de leur présence, parfois brutalement écourtée - coucou Alana Haim !). Y revenir la tête froide et en connaissance de cause pour mieux le situer, notamment dans la filmographie de PTA, en dehors de la faible concurrence états-unienne actuelle qu'il domine forcément de la tête et des épaules, Eddington compris.

  • Sirat (Oliver Laxe, 2025)

    ***

    Je suis reconnaissant à Oliver Laxe d'avoir donné dès le début la définition de Sirat, le pont entre paradis et enfer, et d'avoir placé ainsi son film sur un autre plan que celui du pur réalisme (alors qu'il reste toujours concret, ce qui était déjà le cas, et plus encore, pour Viendra le feu). Cela m'a permis d'encaisser la série de chocs de la deuxième moitié, qui m'auraient paru sans cela intolérables. On se dirige vers l'enfer, ok, même si cette violence n'est pas ce que je "préfère", c'est "représentable" dans ce cadre. Réussite du film dans cet équilibre-là, déjà. Maîtrise aussi dans la conduite, où les multiples réminiscences cinématographiques ne font qu'affleurer, n'en viennent jamais à encombrer, oubliées aussitôt sous la tension. Intéressant enfin de filmer la techno comme ça, d'en faire surtout ressentir les basses et leur propagation. Les ondes se cognent aux montagnes ou se perdent dans l'étendue. Il me semble que ça "résonne" bien avec l'idée de la fuite face au réel qui finit par rattraper violemment.

  • La Voie du serpent (Kiyoshi Kurosawa, 2025)

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    Quelque chose se perd dans la translation, sans doute, mais l'opération de Kurosawa provoque aussi un dépaysement à domicile pas désagréable, ce qui n'était guère le cas avec Le Secret de la chambre noire, première expérience française dont j'ai tout oublié. Invraisemblable, la sombre histoire se suit bien parce que la qualité de la réalisation persiste (au-delà d'une baston un peu laborieuse et de quelques échanges manquant de justesse) et parce que le maintien des figures de style ici et avec "nos" acteurs donne des séquences insolites et plaisantes (malgré la noirceur et la violence, cela ne manque pas d'humour).

  • Valeur sentimentale (Joachim Trier, 2025)

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    Je l'ai regardé de manière détachée, extérieure, comme devant la façade de cette belle maison qui a tant d'importance. Comme ensemble, j'apprécie plutôt le film, ses interprètes, sa progression heurtée (les coupes très franches en fin de séquences, accentuées par le noir silencieux de quelques secondes), son point de vue intéressant sur l'art comme un travail, un effort, une autre dimension que l'on atteint difficilement, en opposition à d'autres, comme Altman, qui font tomber les obstacles pour en faire le prolongement très simple de la vie (mais, d'une part, peut-être est-ce dû au fait que Trier s'intéresse exclusivement au Grand Art, et d'autre part, soudain, la continuité caractérise au contraire la dernière séquence, si convenue, si attendue, comme si tout était résolu en même temps). Dans les détails, c'est une autre histoire et pas mal de choses ne m'ont pas convaincu, en particulier celles qui se rapportent au cinéma, avec une approche assez didactique. Trier filme le génie. Il le filme au travail, c'est bien. Mais montrer le résultat, c'est très risqué. Les deux passages en question, projection de l'un des anciens chefs d’œuvre de Borg et tournage du primordial plan-séquence, n'ont rien de probant. Et Trier choisit, au démarrage de ces deux séquences, de les faire siennes, de ne pas les signaler immédiatement comme "extérieures" à sa propre mise en scène, ce qui me semble relever moins du rapport ludique au spectateur que du manque d'humilité. Détail aussi, mais agaçant : l'insert onirique en forme de variation sur le plan-fusion de Persona, au cas où l'on n'aurait pas encore perçu l'ombre de Bergman sur son film.

  • Pris au piège (Darren Aronofsky, 2025)

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    Pas mal dans le sous-genre "nuit de galère", même si ça dure ici plusieurs jours pour le héros qui n'avait rien demandé (porteur cependant d'une culpabilité lointaine). C'est bien mené par Aronofsky et agréablement rythmé par Idles. En revanche, c'est un véritable jeu de massacre, parfois comique mais très brutal envers les personnages secondaires. Totalement inattendu pour moi, le caméo au moment du générique de fin, apparition surprise tant elle est retardée de la mère, m'a fait quitter la salle sur une bien belle note.