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2020s - Page 4

  • In Water (Hong Sang-soo, 2023)

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    Je craignais un peu la mauvaise idée de dispositif, à tort car c'est, à mon sens (sans avoir tout vu), paradoxalement, l'un des HSS les mieux tenus et l'un des plus stimulants esthétiquement. Notamment parce que le flou est utilisé avec de nombreuses variantes, et pas pour la totalité des plans (de plus, ça dure à peine une heure, pas le temps de se lasser). Surtout, l'idée a priori saugrenue "fait sens" (comme le dit l'actrice à propos d'une autre chose, mais pas si éloignée ; le côté "méta" du film est d'ailleurs agréablement simple et direct). Et elle fait sens à plusieurs niveaux : la concentration sur les sons et les paroles, l'humour des détails que seuls les personnages distinguent, le flottement des intentions, la difficulté à accéder au monde extérieur, la séparation sociale des espaces (les touristes et la femme qui nettoie), l'évocation de fantômes, la disparition finale, etc.

  • Le Deuxième Acte (Quentin Dupieux, 2024)

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    Trouvé plaisant et assez drôle (tout ce qui tourne autour de l'IA notamment). En revanche, j'ai lu ici ou là "vertigineux", alors que ça ne l'est pas, en tout cas, pas sur un plan fiction/réalité qui concernerait les quatre vedettes, et le fait qu'ils portent des prénoms différents des leurs me semble suffisamment clair. Les "décrochages", je les ai vus seulement comme une conséquence du processus d'étagement cher à Dupieux. On reste dans sa fiction malgré les évocations directes des problématiques contemporaines (qui ne sont pas dépourvues d'une certaine facilité, même si elles peuvent être percutantes). Le vertige, ou le trouble, je l'ai plutôt éprouvé avec le coup du suicide par exemple, donc grâce au jeu habituel de Dupieux sur les niveaux de fiction, qui n'ont jamais beaucoup à voir avec la réalité.
  • Chers Camarades ! (Andreï Konchalovsky, 2020)

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    Récit d'une sanglante répression de manifestation ouvrière sous Khrouchtchev. Les efforts de reconstitution et de contextualisation commencent par donner des dialogues chargés d'explications et l'esthétique ligne claire choisie (noir et blanc net, format resserré) fait paraître les scènes de violence un peu datées. Cela a au moins le mérite de rendre la peur hiérarchique et la féroce compétition des services et des sections. A mi-chemin, le film gagne à creuser un cas particulier, sans revirement de conscience trop facile (malgré un dénouement trop heureux, bien que non dénué d'ironie). Ces derniers temps, malheureusement, Konchalovsky a semble-t-il, comme son frère, décidé de serrer plus que jamais Poutine dans ses bras...
  • Les Carnets de Siegfried (Terence Davies, 2022)

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    Film qui "transperce le cœur" en retraçant la trajectoire accidentée du poète anglais Siegfried Sassoon, de la boucherie de 14-18 au crépuscule des années 60. Images d'archives guerrières, lumières de l'aristocratie, ombres du théâtre, envolées de la littérature, tout s'entremêle. Dans les plans, souvent longs, souvent fixes ou gracieusement circulaires, des fantômes semblent constamment naître du regard des personnages. "J'ai vécu parmi les morts" dit Siegfried, pensant sûrement aux hommes qui sont tombés autour de lui : camarades combattants ou amants passagers. A la réalisation, Terence Davies, décédé à 77 ans, juste après l'avoir terminé, au bout d'une singulière carrière dans le cinéma britannique.
  • L'Empire (Bruno Dumont, 2024)

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    Le Père Dumont n'a pas fini de nous bousculer, mais c'est pour notre bien. Il nous livre son film en pièces détachées : à nous de recoller les morceaux de son drame mystique - space opera - comédie loufoque, d'accepter l'assemblage des éléments les plus hétéroclites qu'on puisse imaginer (de la ferme au vaisseau spatial, hop, sans prévenir), de trouver ce qu'il veut nous dire sur le monde d'aujourd'hui en y faisant remonter des notions moyenâgeuses. Le Bien lutte contre le Mal et on se demande, avec le réalisateur sans doute, si on doit encore et toujours recourir à cette opposition pour mener nos vies actuelles. C'est peu dire que le film est décalé. Et en plus, c'est à nous de combler nous-même ce décalage, d'effectuer les raccords, de trouver les équivalences. Il est sacrément confiant dans son spectateur, Dumont. Tant mieux. Au moins, ça fait vivre une expérience hors du commun.
  • Daaaaaali! (Quentin Dupieux, 2023)

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    La biographie, très peu pour lui. Quentin Dupieux tente plutôt, et réussit en beauté, l'évocation drôlatique et onirique (lire en accentuant les syllabes, comme le fait Dalí). Quatre, cinq ou six comédiens différents interprètent selon les scènes l'artiste mégalomane au carré qui se perd dans les méandres d'un récit-gigogne. Dupieux reprend l'idée de Luis Buñuel des rêves enchâssés et la multiplie à l'infini (l'infini qui a l'élégance de durer 1h18, un sublime condensé). Face aux Dalí, une journaliste ne parvient pas à mener un entretien (oui, le résumé du film tient dans cette phrase). Face aux orgueils stratosphériques, Anaïs Démoustier se tient en femme merveilleusement normale. Elle est notre point d'attache dans l'exploration d'un monde de fous où la vie se confond avec l'art, où l'art ne cesse de se confondre avec lui-même. La comédie française peut dire merci à Quentin Dupieux.
  • May December (Todd Haynes, 2023)

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    On regarderait pendant des heures Julianne Moore être regardée par Nathalie Portman, tout cela devant un miroir invisible, c'est-à-dire face à la caméra et donc face à nous. Mais on a beau enquêter, pour s'imprégner d'un rôle ou percer un mystère, poser toutes les questions imaginables, fouiner partout, manipuler son monde, on n'arrive jamais à saisir toute la vérité. L'un des meilleurs films de Todd Haynes, qui s'y connaît pour filmer les actrices, et qui nous montre les attraits et les dangers du cinéma s'acharnant à imiter la vie. Derrière les sourires affichés même quand tout va mal, même quand la folie est contagieuse, l'Amérique reste insondable.
  • La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer, 2023)

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    On croyait avoir tout vu, tout entendu, sur le sujet, et voilà que Glazer trouve un nouveau moyen de représentation sidérant. La vie paisible de la famille du commandant Höss se déroule en mur mitoyen avec le camp d'Auschwitz. Ce mur, on ne le passera jamais, mais le moindre signe nous maintiendra en alerte : un cri, un claquement, une cheminée, une fumée. Ici, ce sont les bourreaux qui sont placés sous surveillance par la mise en scène. Une mise en scène qui semble tout réinventer : le son, le cadrage, la perspective, le hors-champ, la netteté, la vision de l'histoire depuis aujourd'hui. L'Histoire nous regarde, à tous les sens du terme. Ça glace et ça stimule. C'est du jamais vu, jamais entendu.
  • L'Innocence (Hirokazu Kore-eda, 2023)

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    Quand on regarde quelqu'un, on n'en voit toujours que la moitié... Plus qu'un film choral sur les différences de points de vue, c'en est un sur la vision toujours partielle que l'on a de la réalité des choses et des gens, sur le danger des non-dits, sur les conséquences des malentendus et des préjugés. Prix du scénario mérité à Cannes et, derrière la caméra, un Hirokazu Kore-eda qui étale encore son savoir-faire entre le rendu des petits mystères de la vie quotidienne et la description plus ample et dramatisée des destinées individuelles.