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2020s - Page 8

  • The Quiet Girl (Colm Bairead, 2022)

    **

    Film qui calcule un peu trop (un peu trop formaliste et un peu trop artificiellement cachotier sur le secret qu'il recèle) mais qui donne à voir d'un bout à l'autre de très beaux plans, tirant parti d'un cadre presque carré qui concentre l'attention sur le sujet sans disperser et qui fait tenir à l'intérieur les personnages de façon très singulière, en premier lieu bien sûr l'épatante petite Catherine Clinch.

  • Désordres (Cyril Schaüblin, 2022)

    ****

    Magnifique "Désordres", qui emmène autre part, dans un autre temps, d'une autre façon. Son principe d'alternance entre deux échelles, vues éloignées (et décadrées) et vues très rapprochées, donne un rythme envoûtant à des scènes toujours très simples. Le petit miracle est que cela n'apparaisse jamais rigide ni contraignant. D'ailleurs, une troisième échelle est admise, avec des plans "intermédiaires" de visages aussi admirables que les autres, notamment parce que la mise en scène a l'intelligence de ne jamais rester uniquement sur celle ou celui qui parle et d'aller régulièrement voir celle ou celui qui écoute, ce qui donne cette impression forte (avec le travail sur le son et l'absence de personnage principal) d'une vie fourmillant tout autour, malgré le cadre restreint. Sans parler de l'intérêt historique, de l'humour étrange, du mélange des langues, du côté méta-cinématographique via la photographie... Grande découverte.

  • Esterno Notte (Marco Bellochio, 2022)

    ***
     
    Toujours la politique, les fantômes, la folie, et puis cette idée de ressassement, très bien exprimée à travers ce choix du passage d'un personnage central à un autre au fil des épisodes, provoquant des retours d'images jamais tout à fait identiques, un glissement général qui caractérise aussi les scènes elles-mêmes presque toutes étonnantes dans leur déroulement et une véritable incarnation de toutes les figures, un travail sur le jeu, un approfondissement, alors qu'un récit linéaire et choral aurait pu donner l'impression d'une simple succession de numéros d'acteurs.

  • Divers, mars 2023

    Des trois films actuellement en salles vus cette semaine, celui que j'ai le plus apprécié était évidemment celui non prévu au programme. "En plein feu" (Quentin Reynaud, 2023) ** est en effet plutôt bon, dans le genre film-catastrophe de chambre, ou d'habitacle, et même lorsqu'il s'agit d'en sortir. En équilibre entre cadre étroit et extérieur vaste, entre réalisme et fantastique, il n'est pas totalement abouti mais en tout cas étonnamment prémonitoire. Dussolier et Lutz, ça fonctionne (si bien que ça me donne envie d'aller voir en amont de la carrière de Lutz).
    A part ça, trouvé "Goutte d'Or" (Clément Cogitore, 2023) ** intéressant mais très inégal, exactement à l'image de la performance de Karim Leklou, assez convaincant dans le désarroi mais insuffisant pour faire croire à une réelle emprise de son personnage de charlatan sur les gens qu'il arnaque (les séances de voyance sont du coup trop longues et redondantes).
    Quant à "Empire of Light" (Sam Mendes, 2022) *, c'est très beau pendant dix minutes, puis ça croule de plus en plus sous les clichés du mélo inter-racial dans lequel aucun personnage secondaire ni aucun lieu ne vivent en dehors du couple chargé de délivrer le discours plombant du réalisateur, celui-ci ne manquant pas, cerise sur le gâteau, de nous bassiner avec la sempiternelle magie-du-cinéma. Aussi léché que pénible.

  • Tar (Todd Field, 2022)

    ***

    Lignes de portée et lignes architecturales de "Tar" qui aident à mieux écouter et à mieux regarder... Et une fois installée cette mise en scène des sons et de l'espace, les pincées de fantastique peuvent produire leurs effets sans perdre en cohérence. Cate Blanchett saisissante.

  • La Sorcellerie à travers les âges (Benjamin Christensen, 1922) & Les Sorcières d'Akelarre (Pablo Aguero, 2020)

    ****/*

    Après avoir regardé "Les Sorcières d’Akelarre" dans l’optique de quelques présentations aux lycéens, j’ai eu la furieuse envie de revoir "La Sorcellerie à travers les âges". Évidemment, tout est déjà dans ce film "total" sinon définitif, entre documentaire et fiction. Plutôt que des images scandaleuses, on perçoit aujourd’hui des visions surréalistes et des réminiscences des diableries de Méliès, alors que la démarche est vraiment historique. Aussi étonnants : la construction, l’emploi du"je" et l’idée de représentation qui tient tout le film. Représentations picturales à travers l’histoire, représentation cinématographique et mise en abyme, avec d’une part, la vieille femme qui raconte le sabbat à l’inquisiteur tel qu’il veut l’entendre et nous le voir (pour stopper la torture et non, comme chez Aguero, pour gagner du temps et séduire le tortionnaire, comportement si peu crédible) et d’autre part, l’une des actrices du film, désignée ainsi, qui "teste" devant la caméra l’un des instruments de torture. Christensen modernise le sujet et se place tout aussi clairement du côté des femmes victimes de l’oppression insensée. On est loin de l'histoire de sororité facile, esthétisante, artificielle et sans doute anachronique du film de 2020.

  • Babylon (Damien Chazelle, 2022) & Othon (Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, 1970)

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    Hier, j'ai fait un babylonothon. C'est très particulier : il s'agit de voir le même jour "Babylon" de Damien Chazelle et "Othon" de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. C'est usant mais ça fait du bien au corps et à l'esprit. Le but, c'était de tenir le plus grand écart possible, entre le trop-plein et le trop-vide, avec deux films qui plongent dans le passé mais en insistant sur leur réalisation au présent et en affrontant bravement l'anachronisme (les thèmes, le style, la caractérisation des personnages de "Babylon", l'environnement et les accents d'"Othon"), deux films qui posent le problème du décor autour des personnages, à admirer ou dont il faut faire parfois abstraction (les figurants dénudés qui gesticulent dans les fêtes ou la circulation automobile dans Rome). L'un veut tout dire, au risque de frustrer sur certains points aussitôt abandonnés, l'autre ne veut donner que le texte de Corneille mais en laissant penser que beaucoup plus de choses se jouent là, dans son déplacement en 1969. L'un est strié de "fuck", "dick", "pussy" significatifs, l'autre perd régulièrement son intelligibilité à cause de l'environnement, la monotonie, le débit, les accents. J'ai vraiment bien aimé le premier, qui cueille d'entrée et qui tente d'agripper jusqu'au bout son spectateur par un régime de courtes pauses et de longues accélérations (parfois avec des coups en-dessous de la ceinture mais, parmi de nombreux moments excessifs, difficile par exemple de ne pas être ému par les dix dernières minutes), et je n'ai pas du tout détesté le second, qui demande beaucoup de temps d'adaptation pour y trouver sa place. Ce qui me fait rire, en revanche, c'est le récent "Conseil des Dix" des Cahiers avec la farandole d'étoiles offertes à "Othon" (comme le diadème de l'Empereur, sans doute) et la pluie de points noirs jetés sur "Babylon" (comme le caca de l'éléphant, probablement).

  • Pacifiction (Albert Serra, 2022)

    ***

    Fiction en train de se faire, puis de se défaire (jusqu'à s'arrêter longtemps avant la fin), et acteur en train de chercher son personnage. J'ai vu dans "Pacifiction" forme et fond (indices, mystère, paranoïa) s'accompagner de façon suffisamment cohérente pour susciter, sinon une fascination totale, du moins un vif intérêt, notamment quant à l'idée de création à partir du presque rien, de signes infimes, de temps qui s'écoule.

  • Armageddon Time (James Gray, 2022)

    ***

    J'ai aimé la retenue dont fait preuve James Gray (celle-là même qui m'avait empêché d'adhérer complètement à ses deux précédents - mais je crois que nous sommes nombreux à avoir en tête des films de lui "qu'on aurait voulu aimer plus", bien que ce ne soient pas les mêmes pour chacun) et j'ai aimé surtout sa façon de placer ces souvenirs à la limite du cauchemar, par le travail sur la lumière, l'ombre enveloppante, les cadrages qui isolent les personnages, les insertions oniriques, les apparitions, le dépeuplement de certains extérieurs.

  • Les Harkis (Philippe Faucon, 2022)

    ***

    "Les Harkis" semble être construit à l'inverse de ce qu'il se fait d'habitude : en retranchant, en ôtant, en coupant, jusqu'au point limite où le récit peut encore tenir debout. Ainsi, Faucon traite d'un sujet lourd, balaye plus de 3 années de guerre et fait vivre de multiples personnages en 1h20 (et donne une leçon à tous les faiseurs de fresques historiques et autres biopics boursouflés). Le risque etait alors qu'il ne reste plus que des dates et des dialogues de contextualisation. Mais c'est aussi la beauté du film, ces sauts d'une date à l'autre, qui créent de nouvelles béances. Ce que l'on voit est fort, ce que l'on ne voit pas (ce que la mise en scène nous épargne ou nous laisse deviner, entre les séquences ou dans celles-ci) l'est autant.