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2020s - Page 6

  • Trenque Lauquen (Laura Citarella, 2022)

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    Une femme disparaît. Plusieurs histoires, liées à cette fuite, sont racontées à la suite les unes des autres ou encastrées les unes dans les autres. Contrairement à ce que l'on croit au début, ce n'est pas tellement de variation des points de vue qu'il est question. Au lieu de se confronter, les différents récits semblent plutôt se déposer en couches, et plus précisément en calques. Avec cette succession qui devient superposition (on trouve logiquement quelques compositions en reflets et quelques fondus enchaînés), on observe d'étranges phénomènes de révélation ou d'opacification, de décalage ou de transposition, d'effacement ou de mise en avant, de transformation spectrale ou de consolidation, tout cela concernant les personnages principaux mais aussi des objets, des détails. Petite (longue) merveille.

  • Sparta (Ulrich Seidl, 2022)

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    Moins répétitif que "Rimini" et s'aventurant sur un terrain beaucoup plus glissant, "Sparta" consolidera les jugements des uns et des autres sur le cinéma d'Ulrich Seidl, que l'on aime ou que l'on déteste, depuis "Dog Days", sans pouvoir changer de camp d'un film à l'autre, tant le réalisateur reste fidèle à ses principes. Il donne ici à voir la transmission d'un héritage fasciste en parasitant ce thème par celui de la pédophilie, abordée de façon très particulière, à travers un personnage qui aurait grandi trop vite, qui aurait voulu pouvoir refuser de passer à l'âge adulte, qui ne s'y retrouve pas. Sujet plus fort, donc, que celui du film précédent et qui rend d'autant plus évidente la singularité de la mise en scène, rigoureuse mais ouverte, jouant des limites, laissant dans les cadres, malgré tout, des possibilités de sorties ou de fuites, finissant toujours par désamorcer, d'une manière ou d'une autre (humour, grotesque, ellipse, collage immédiat d'un plan plus "rassurant"...), la tension et donc le malaise.

  • Sur l'Adamant (Nicolas Philibert, 2023)

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    Plutôt saisi par le nouveau doc de Nicolas Philibert, "Sur l'Adamant", qui oscille entre directif et non directif comme entre folie et normalité, et qui s'appuie joliment sur l'idée de perméabilité à partir du lieu lui-même, ouvert, et de sa situation dans la ville, pour la prolonger notamment par le maintien des bruits extérieurs.

  • The Quiet Girl (Colm Bairead, 2022)

    **

    Film qui calcule un peu trop (un peu trop formaliste et un peu trop artificiellement cachotier sur le secret qu'il recèle) mais qui donne à voir d'un bout à l'autre de très beaux plans, tirant parti d'un cadre presque carré qui concentre l'attention sur le sujet sans disperser et qui fait tenir à l'intérieur les personnages de façon très singulière, en premier lieu bien sûr l'épatante petite Catherine Clinch.

  • Désordres (Cyril Schaüblin, 2022)

    ****

    Magnifique "Désordres", qui emmène autre part, dans un autre temps, d'une autre façon. Son principe d'alternance entre deux échelles, vues éloignées (et décadrées) et vues très rapprochées, donne un rythme envoûtant à des scènes toujours très simples. Le petit miracle est que cela n'apparaisse jamais rigide ni contraignant. D'ailleurs, une troisième échelle est admise, avec des plans "intermédiaires" de visages aussi admirables que les autres, notamment parce que la mise en scène a l'intelligence de ne jamais rester uniquement sur celle ou celui qui parle et d'aller régulièrement voir celle ou celui qui écoute, ce qui donne cette impression forte (avec le travail sur le son et l'absence de personnage principal) d'une vie fourmillant tout autour, malgré le cadre restreint. Sans parler de l'intérêt historique, de l'humour étrange, du mélange des langues, du côté méta-cinématographique via la photographie... Grande découverte.

  • Esterno Notte (Marco Bellochio, 2022)

    ***
     
    Toujours la politique, les fantômes, la folie, et puis cette idée de ressassement, très bien exprimée à travers ce choix du passage d'un personnage central à un autre au fil des épisodes, provoquant des retours d'images jamais tout à fait identiques, un glissement général qui caractérise aussi les scènes elles-mêmes presque toutes étonnantes dans leur déroulement et une véritable incarnation de toutes les figures, un travail sur le jeu, un approfondissement, alors qu'un récit linéaire et choral aurait pu donner l'impression d'une simple succession de numéros d'acteurs.

  • Divers, mars 2023

    Des trois films actuellement en salles vus cette semaine, celui que j'ai le plus apprécié était évidemment celui non prévu au programme. "En plein feu" (Quentin Reynaud, 2023) ** est en effet plutôt bon, dans le genre film-catastrophe de chambre, ou d'habitacle, et même lorsqu'il s'agit d'en sortir. En équilibre entre cadre étroit et extérieur vaste, entre réalisme et fantastique, il n'est pas totalement abouti mais en tout cas étonnamment prémonitoire. Dussolier et Lutz, ça fonctionne (si bien que ça me donne envie d'aller voir en amont de la carrière de Lutz).
    A part ça, trouvé "Goutte d'Or" (Clément Cogitore, 2023) ** intéressant mais très inégal, exactement à l'image de la performance de Karim Leklou, assez convaincant dans le désarroi mais insuffisant pour faire croire à une réelle emprise de son personnage de charlatan sur les gens qu'il arnaque (les séances de voyance sont du coup trop longues et redondantes).
    Quant à "Empire of Light" (Sam Mendes, 2022) *, c'est très beau pendant dix minutes, puis ça croule de plus en plus sous les clichés du mélo inter-racial dans lequel aucun personnage secondaire ni aucun lieu ne vivent en dehors du couple chargé de délivrer le discours plombant du réalisateur, celui-ci ne manquant pas, cerise sur le gâteau, de nous bassiner avec la sempiternelle magie-du-cinéma. Aussi léché que pénible.

  • Tar (Todd Field, 2022)

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    Lignes de portée et lignes architecturales de "Tar" qui aident à mieux écouter et à mieux regarder... Et une fois installée cette mise en scène des sons et de l'espace, les pincées de fantastique peuvent produire leurs effets sans perdre en cohérence. Cate Blanchett saisissante.

  • La Sorcellerie à travers les âges (Benjamin Christensen, 1922) & Les Sorcières d'Akelarre (Pablo Aguero, 2020)

    ****/*

    Après avoir regardé "Les Sorcières d’Akelarre" dans l’optique de quelques présentations aux lycéens, j’ai eu la furieuse envie de revoir "La Sorcellerie à travers les âges". Évidemment, tout est déjà dans ce film "total" sinon définitif, entre documentaire et fiction. Plutôt que des images scandaleuses, on perçoit aujourd’hui des visions surréalistes et des réminiscences des diableries de Méliès, alors que la démarche est vraiment historique. Aussi étonnants : la construction, l’emploi du"je" et l’idée de représentation qui tient tout le film. Représentations picturales à travers l’histoire, représentation cinématographique et mise en abyme, avec d’une part, la vieille femme qui raconte le sabbat à l’inquisiteur tel qu’il veut l’entendre et nous le voir (pour stopper la torture et non, comme chez Aguero, pour gagner du temps et séduire le tortionnaire, comportement si peu crédible) et d’autre part, l’une des actrices du film, désignée ainsi, qui "teste" devant la caméra l’un des instruments de torture. Christensen modernise le sujet et se place tout aussi clairement du côté des femmes victimes de l’oppression insensée. On est loin de l'histoire de sororité facile, esthétisante, artificielle et sans doute anachronique du film de 2020.

  • Babylon (Damien Chazelle, 2022) & Othon (Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, 1970)

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    Hier, j'ai fait un babylonothon. C'est très particulier : il s'agit de voir le même jour "Babylon" de Damien Chazelle et "Othon" de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. C'est usant mais ça fait du bien au corps et à l'esprit. Le but, c'était de tenir le plus grand écart possible, entre le trop-plein et le trop-vide, avec deux films qui plongent dans le passé mais en insistant sur leur réalisation au présent et en affrontant bravement l'anachronisme (les thèmes, le style, la caractérisation des personnages de "Babylon", l'environnement et les accents d'"Othon"), deux films qui posent le problème du décor autour des personnages, à admirer ou dont il faut faire parfois abstraction (les figurants dénudés qui gesticulent dans les fêtes ou la circulation automobile dans Rome). L'un veut tout dire, au risque de frustrer sur certains points aussitôt abandonnés, l'autre ne veut donner que le texte de Corneille mais en laissant penser que beaucoup plus de choses se jouent là, dans son déplacement en 1969. L'un est strié de "fuck", "dick", "pussy" significatifs, l'autre perd régulièrement son intelligibilité à cause de l'environnement, la monotonie, le débit, les accents. J'ai vraiment bien aimé le premier, qui cueille d'entrée et qui tente d'agripper jusqu'au bout son spectateur par un régime de courtes pauses et de longues accélérations (parfois avec des coups en-dessous de la ceinture mais, parmi de nombreux moments excessifs, difficile par exemple de ne pas être ému par les dix dernières minutes), et je n'ai pas du tout détesté le second, qui demande beaucoup de temps d'adaptation pour y trouver sa place. Ce qui me fait rire, en revanche, c'est le récent "Conseil des Dix" des Cahiers avec la farandole d'étoiles offertes à "Othon" (comme le diadème de l'Empereur, sans doute) et la pluie de points noirs jetés sur "Babylon" (comme le caca de l'éléphant, probablement).