Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

seidl

  • Sparta (Ulrich Seidl, 2022)

    ***

    Moins répétitif que "Rimini" et s'aventurant sur un terrain beaucoup plus glissant, "Sparta" consolidera les jugements des uns et des autres sur le cinéma d'Ulrich Seidl, que l'on aime ou que l'on déteste, depuis "Dog Days", sans pouvoir changer de camp d'un film à l'autre, tant le réalisateur reste fidèle à ses principes. Il donne ici à voir la transmission d'un héritage fasciste en parasitant ce thème par celui de la pédophilie, abordée de façon très particulière, à travers un personnage qui aurait grandi trop vite, qui aurait voulu pouvoir refuser de passer à l'âge adulte, qui ne s'y retrouve pas. Sujet plus fort, donc, que celui du film précédent et qui rend d'autant plus évidente la singularité de la mise en scène, rigoureuse mais ouverte, jouant des limites, laissant dans les cadres, malgré tout, des possibilités de sorties ou de fuites, finissant toujours par désamorcer, d'une manière ou d'une autre (humour, grotesque, ellipse, collage immédiat d'un plan plus "rassurant"...), la tension et donc le malaise.

  • Retour de La Rochelle (7/12) : Paradis : Amour

    Film présenté en avant-premère au 40e Festival International du Film de La Rochelle, sortie en salles prévue le 9 janvier 2013.

    ****

    Seidl,Autriche,2010s

    C'est l'histoire d'un rapport vicié, celui existant entre le Sud et le Nord. Il est exposé, dans Paradis : Amour, à travers le séjour touristique et sexuel d'une femme autrichienne au Kenya.

    L'espace du club de vacances dans lequel elle s'installe est bien délimité, ordonné, gardé. La mise en scène y est ostensiblement symétrique, Ulrich Seidl se servant de ce type de composition pour y glisser toute son ironie et dénoncer par la seule puissance formelle un lieu dont la vie ne cesse de s'absenter. Ecrasés, momifiés, les corps rougis sur les transats ne bougent jamais. Dans les plans larges, seuls ceux des quatre ou cinq protagonistes identifiés au cours du récit, touristes ou animateurs locaux, arrivent à se mouvoir mollement à l'occasion.

    Voilà pour le Paradis. L'Amour, c'est celui que cherche ces femmes occidentales, déjà relativement agées pour la plupart, auprès des Noirs (des "Nègres") du coin. Mais pour effleurer cette illusion, il leur faut tout de même, de temps à autre, franchir les limites du complexe hôtelier. Et au-delà, la symétrie et l'asepsie ne sont plus de mise. Seidl abandonne quasiment les plans fixes, même si ceux-ci restent généralement longs afin de déstabiliser, encore et toujours, le spectateur, de pousser chaque situation aussi loin que possible, avec l'appui de ses acteurs. Découle une certaine idée du malaise, sans doute, de cet entêtement à filmer les corps peu attrayants, comme celui de la courageuse Margarete Tiesel, sous les caresses des mains de beaux jeunes gens noirs.

    La mise en scène de Seidl est ici un peu moins impressionnante, moins coupante, moins oppressante que dans ses deux autres longs métrages de fiction, Dog days et Import Export, mais elle n'en apparaîtra pas plus supportable à certains. Personnellement, il me semble pourtant qu'on peut très bien la supporter, que si une évidente tension parcourt certains plans séquences comme ceux accompagnant la recherche nocturne de Klara dans des quartiers agités (tension qui, alors, nous renvoie peut-être, dans ce cas précis, à un réflexe conditionné peu avouable), on sent qu'il n'y a pas trop à craindre non plus. Car Ulrich Seidl n'est pas un preneur d'otage, ni un manipulateur, comme peut l'être son plus illustre et palmé compatriote Michael H. C'est seulement qu'il ne ferme pas les yeux (sur le scandale que représente le corps humain) et qu'il ne se bouche pas les oreilles (sur l'aberration raciste que peuvent véhiculer des propos "innocents").

    Alors sans doute Paradis : Amour s'arrête-t-il au constat (est-ce sa limite ?) mais celui-ci est implacablement dressé. Margarete a beau enjamber la cordelette séparant l'espace des vacanciers de celui des vendeurs de la plage et pénétrer cet autre monde (là où la caméra avance à sa suite, alors qu'elle est contrainte, dans le club, à ne montrer que surfaces et aplats), tout ce qu'elle désire construire comme relation est voué à l'échec. Le Nord veut qu'on l'aime pour ce qu'il croit être vraiment, qu'on le remercie. Le Sud veut bien jouer le jeu à condition que les compensations viennent avec. Margarete essaye avec un autre, puis un autre, sans plus de succès sur la durée. La spirale est sans fin. L'écart est devenu trop important. Il faudrait tout remettre à plat mais cela semble absolument impossible.

    Vous entendrez à nouveau parler de Paradis : Amour en janvier prochain, lors de sa sortie en salles. D'après les réactions outrées qu'il a suscité à Cannes, nous ne devrions pas être beaucoup plus que deux à le défendre : Positif et moi.

     

    ****

    Seidl,Autriche,2010sPARADIS : AMOUR (Paradies : Liebe)

    d'Ulrich Seidl

    (Autriche - France - Allemagne / 120 min / 2012)

  • Import Export

    (Ulrich Seidl / Autriche / 2007)

    ■■■□

    importexport.jpgPrès de deux ans après sa séléction officielle au festival de Cannes, où il fut plutôt mal reçu (ce qui explique assurément ce décalage), nous pouvons enfin nous frotter depuis janvier au deuxième long métrage de fiction d'Ulrich Seidl, cet Import Export qui vient après un Dog days déjà peu consensuel.

    Import : Olga, infirmière en Ukraine, ne s'en sort pas avec son bébé, sa mère, son salaire de misère et son appartement sans eau courante. Après avoir tenté une expérience d'hôtesse sexuelle par webcam, elle a enfin l'opportunité de rejoindre une amie en Autriche. Là-bas, elle accumule les petits boulots de femme de ménage, jusqu'à être employée, pour ce même poste, dans un service de gériatrie. Malgré le profond mépris qu'éprouve à son encontre l'infirmière en place, elle se lie fortement aux différents patients.

    Export : A Vienne, Pauli, toujours à court d'argent, perd son job d'agent de sécurité après s'être fait tabassé par un petit gang de Turcs. Il vit chez sa mère et son père (ou son beau-père ?), Michael, avec qui il s'engueule régulièrement. Eux deux se voient chargés de livrer des jeux et des distributeurs de bonbons, avec leur camionnette, jusqu'en Slovaquie et en Ukraine. Tout au long du voyage, le père n'aura de cesse de provoquer son fils, l'envoyant seul dans un immeuble coupe-gorge, le poussant à draguer avec lui les filles de bars et lui imposant enfin d'assister à un petit jeu pervers avec une prostituée.

    A travers ces deux histoires, que l'on suit en parallèle, Seidl peint de manière impressionnante un univers sordide qui englobe aussi bien les pays de l'Est que nos contrées occidentales car, que l'on se place d'un côté où de l'autre, que l'on fasse le trajet de gauche à droite ou de droite à gauche, le constat est le même, terrifiant : paysages hivernaux, habitats insalubres, chambres d'hôtels tristes, pavillons de mauvais goût et surtout, humiliations continuelles... Les deux récits croisés avancent mais les trajectoires semblent s'annuler et au final, nous resterons bloqué dans la pénombre de cette chambre d'hôpital, au milieu de ces vieilles femmes clouées au lit, entendant l'une d'elles répéter inlassablement "Ca pue... Mort... Mort...". Le monde, vu par Seidl, est en train de crever. Son film est cru, affreux, désespérant... et assez fascinant.

    Tout d'abord, la construction est absolument imparable : d'une part, le montage, très sec, rend le sentiment de l'inéluctable dans le va-et-vient régulier entre les histoires d'Olga et de Pauli et d'autre part, l'alternance permet la mise en place d'un subtil système d'échos d'un récit à l'autre (des situations ou des postures qui se répondent ou s'opposent malicieusement mais jamais mécaniquement). Les cadrages sont souvent fixes et frontaux mais savent aussi se libérer lorsqu'il le faut et Seidl gère précisément la durée de ses plans, jamais ennuyeux. Bien des choses difficiles sont enregistrées par la caméra, mais la puissance de ce cinéma n'est peut-être nulle par ailleurs aussi évidente que dans la très brève scène où Pauli laisse son chien déchiqueter un ours en peluche. L'image vient au terme d'une séquence dans laquelle le jeune homme débarque sans prévenir avec son nouveau molosse chez sa copine qui, craignant beaucoup les chiens, commence à paniquer totalement. A la fin, donc, Seidl coupe court au dialogue et raccorde sur un plan où il ne laisse dans le cadre que Pauli et son chien s'excitant sur le nounours. On ne voit ni n'entend plus la fille. Où est-elle passée ? Fin de la séquence, on passe à autre chose, on n'entendra plus parler d'elle.

    Le parcours suivi par les deux protagonistes, qui ne se rencontrent jamais, est jalonné d'étapes humiliantes. Si éprouvantes qu'elles soient, ces épreuves traduisent surtout une chose : la résistance des corps et de l'esprit à la barbarie. Jamais nous ne voyons Olga ou Pauli s'effondrer réellement. Aucun pathos, aucun apitoiement. Même au coeur de la violence et du sordide, il y a cette force inébranlable des deux personnages. Voilà l'une des raisons de l'absence de complaisance et de spectaculaire malsain dans Import Export. De plus, si Seidl compose des plans élaborés et filme un environnement oppressant, il semble nous laisser toujours une certaine liberté, une échapatoire, une lueur, par ces cadrages qui laissent beaucoup d'espace au dessus des personnages, par ce rire jaune qui naît du grotesque, par l'attachement indéfectible qui finit par nous lier à Olga et Pauli, toute latitude que nous refusait récemment Steve McQueen avec Hunger, autre film-choc bien mieux reçu lui, puisque là, la cause à défendre était indiscutable. Les rares critiques enthousiasmés par Import Export insistent assez sur la dimension politique du film. Mais il faut préciser que Seidl ne vise pas le Cyber-Sex, la Prostitution, le Marché Noir, le Gangstérisme, le Capitalisme ou que sais-je encore avec des majuscules. Non, il pointe des actes précis et personnalisés qui traduisent les penchants de la plupart des êtres humains pour l'humiliation de l'autre, se gargarisant ainsi de leur illusion de toute puissance. Le fait qu'une partie de ces actes ouvertement violents ou plus insidieux soit perpétrée par des personnes sensées être responsables ou protectrices (pères et mères de famille, patron d'entreprise, consultant pour chômeurs, infirmière) ne fait qu'accentuer le sentiment de fin du monde.

    Les gestes d'Olga et de Pauli ne sont peut-être que des gestes de retrait, mais dans cet univers-là, ils prennent presque valeur de révolte, d'espoir en tout cas. Ulrich Seidl est décidément un sacré cinéaste.

  • Dog days

    (Ulrich Seidl / Autriche / 2001)

    ■■■□

    80283fbe8e52ec35cb2a2ac1c8616a80.jpgBienvenue dans le riant pays autrichien. Je connaissais la radicalité et la noirceur du cinéma de Michael Haneke. Je ne me doutais pas que cette sombre vision était si partagée par ses compatriotes. En 2001, Lovely Rita de Jessica Hausner suivait la route tracée par l'auteur du toujours dérangeant Funny games. Malheureusement, la description désespérée de la société n'était portée que par un réalisme glauque, une image d'une laideur absolue et un scénario gardant forcement pour la fin l'explosion attendue (et le regard caméra de l'héroïne au dernier plan, au cas où nous n'aurions pas compris la gravité de la situation). La même année, Ulrich Seidl, documentariste aguerri proposait sa première fiction Dog days (oui, apparemment, un film autrichien doit être distribué en France avec un titre anglais).

    Avec Seidl, nous ne suivons pas deux jeunes gens partis torturer une famille bourgeoise, ni une ado poussée au meurtre, mais la trajectoire sur un week end d'une dizaine de personnages : une auto-stoppeuse folle qui agresse tous ses conducteurs, une femme ne communiquant plus avec son mari depuis la mort de leur petite fille et multipliant les expériences sexuelles, un amateur de tuning violemment jaloux de sa petite amie, un retraité très attaché à son chien et à son aide ménagère, un représentant en systèmes d'alarme menacé par des clients et enfin une institutrice malmenée par son mec et un invité. Il sera beaucoup question d'intrusion, de menaces physiques et d'humiliations : alléchant programme. Ces six histoires ne se croisent pas, ou rarement, ce qui nous épargne l'aspect film choral, parfois agréable mais tellement répandu de nos jours qu'il laisse toujours le spectateur avec la nostalgie du Short Cuts d'Altman. Seidl passe ainsi d'une scène à l'autre sans crier gare, démarrant ses séquences de manière très abrupte, créant par le montage des collages déroutants. Il filme principalement de deux manières différentes, alternant les deux sans que rien ne soit systématique : d'une part en caméra à l'épaule, d'autre part en plans fixes et très composés. Ces derniers cadrent notamment quelques habitants de la cité en train de bronzer dans leur jardin ou sur leurs balcons, vignettes entre l'absurde et le kitch.

    Tout le monde bronze car la chaleur de ces jours est aussi étouffante qu'exceptionnelle, rendant les rues désertes et l'ambiance très étrange. Les conditions climatiques extrêmes poussent les corps à se dévoiler. Chacun se met à un moment ou un autre en sous vêtements ou entièrement nu. Le corps que l'on ne voit pas d'habitude est celui qui intéresse Seidl : celui des personnes âgées, celui qui prend des postures inesthétiques (s'épiler le pubis, chercher une position confortable et excitante pour faire une surprise à son homme), celui qui déborde. Autre recherche pour créer le malaise : tout ce qui a trait à l'humiliation. Plus sociale et purement violente envers les hommes et plus sexuelle envers les femmes, elle semble caractériser la plupart des rapports. Ces thématiques ne paraissent guère engageantes. Pourtant, on ne cesse de s'intéresser au film, on s'y attacherait presque. Seidl va loin, mais il y va avec humour, avec un sens du grotesque très sûr. Dans les moments les plus violents, on sent que quelque chose va faire retomber la tension avant qu'elle ne devienne insoutenable : un trait ridicule, une coupe adéquate. La scène la plus éprouvante du film offre ainsi, en même temps qu'un sentiment de malaise, une impression de jeu : plaisir des trois acteurs, jubilation du cinéaste à flirter avec les limites. Précisons que cette scène culmine avec le mari de l'institutrice obligé de chanter l'hymne national autrichien à genoux, une bougie allumée coincée entre les fesses.

    Dernier point : l'oeuvre a une vraie force politique. Je l'ai dit, l'hymne national est assez bousculé et la victime traite son bourreau de "patriote" (l'Autriche sortait à peine de l'épisode Haider). Plus profondément, si je peux m'exprimer ainsi, Seidl pointe le refus de communiquer avec les étrangers, l'obsession sécuritaire, la recherche de boucs émissaires (ce sera la folle, celle qui aura dit ce qu'elle pensait trop haut). Chez Lynch ou Burton, on dit que le mal se terre derrière les belles façades des petites villes américaines. En Autriche, la cruauté et le désastre sont partout et les jardins entretenus et les maisonnettes repeintes n'offrent même pas l'illusion du bonheur.

    Je conseille, avec les précautions d'usage, de se frotter à ce film ovni d'un Ulrich Seidl qui n'a pas l'air de s'être calmé depuis, vu l'accueil houleux qu'a reçu Import-Export, sa deuxième fiction, au dernier festival de Cannes et bientôt sur nos écrans.