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Import Export

(Ulrich Seidl / Autriche / 2007)

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importexport.jpgPrès de deux ans après sa séléction officielle au festival de Cannes, où il fut plutôt mal reçu (ce qui explique assurément ce décalage), nous pouvons enfin nous frotter depuis janvier au deuxième long métrage de fiction d'Ulrich Seidl, cet Import Export qui vient après un Dog days déjà peu consensuel.

Import : Olga, infirmière en Ukraine, ne s'en sort pas avec son bébé, sa mère, son salaire de misère et son appartement sans eau courante. Après avoir tenté une expérience d'hôtesse sexuelle par webcam, elle a enfin l'opportunité de rejoindre une amie en Autriche. Là-bas, elle accumule les petits boulots de femme de ménage, jusqu'à être employée, pour ce même poste, dans un service de gériatrie. Malgré le profond mépris qu'éprouve à son encontre l'infirmière en place, elle se lie fortement aux différents patients.

Export : A Vienne, Pauli, toujours à court d'argent, perd son job d'agent de sécurité après s'être fait tabassé par un petit gang de Turcs. Il vit chez sa mère et son père (ou son beau-père ?), Michael, avec qui il s'engueule régulièrement. Eux deux se voient chargés de livrer des jeux et des distributeurs de bonbons, avec leur camionnette, jusqu'en Slovaquie et en Ukraine. Tout au long du voyage, le père n'aura de cesse de provoquer son fils, l'envoyant seul dans un immeuble coupe-gorge, le poussant à draguer avec lui les filles de bars et lui imposant enfin d'assister à un petit jeu pervers avec une prostituée.

A travers ces deux histoires, que l'on suit en parallèle, Seidl peint de manière impressionnante un univers sordide qui englobe aussi bien les pays de l'Est que nos contrées occidentales car, que l'on se place d'un côté où de l'autre, que l'on fasse le trajet de gauche à droite ou de droite à gauche, le constat est le même, terrifiant : paysages hivernaux, habitats insalubres, chambres d'hôtels tristes, pavillons de mauvais goût et surtout, humiliations continuelles... Les deux récits croisés avancent mais les trajectoires semblent s'annuler et au final, nous resterons bloqué dans la pénombre de cette chambre d'hôpital, au milieu de ces vieilles femmes clouées au lit, entendant l'une d'elles répéter inlassablement "Ca pue... Mort... Mort...". Le monde, vu par Seidl, est en train de crever. Son film est cru, affreux, désespérant... et assez fascinant.

Tout d'abord, la construction est absolument imparable : d'une part, le montage, très sec, rend le sentiment de l'inéluctable dans le va-et-vient régulier entre les histoires d'Olga et de Pauli et d'autre part, l'alternance permet la mise en place d'un subtil système d'échos d'un récit à l'autre (des situations ou des postures qui se répondent ou s'opposent malicieusement mais jamais mécaniquement). Les cadrages sont souvent fixes et frontaux mais savent aussi se libérer lorsqu'il le faut et Seidl gère précisément la durée de ses plans, jamais ennuyeux. Bien des choses difficiles sont enregistrées par la caméra, mais la puissance de ce cinéma n'est peut-être nulle par ailleurs aussi évidente que dans la très brève scène où Pauli laisse son chien déchiqueter un ours en peluche. L'image vient au terme d'une séquence dans laquelle le jeune homme débarque sans prévenir avec son nouveau molosse chez sa copine qui, craignant beaucoup les chiens, commence à paniquer totalement. A la fin, donc, Seidl coupe court au dialogue et raccorde sur un plan où il ne laisse dans le cadre que Pauli et son chien s'excitant sur le nounours. On ne voit ni n'entend plus la fille. Où est-elle passée ? Fin de la séquence, on passe à autre chose, on n'entendra plus parler d'elle.

Le parcours suivi par les deux protagonistes, qui ne se rencontrent jamais, est jalonné d'étapes humiliantes. Si éprouvantes qu'elles soient, ces épreuves traduisent surtout une chose : la résistance des corps et de l'esprit à la barbarie. Jamais nous ne voyons Olga ou Pauli s'effondrer réellement. Aucun pathos, aucun apitoiement. Même au coeur de la violence et du sordide, il y a cette force inébranlable des deux personnages. Voilà l'une des raisons de l'absence de complaisance et de spectaculaire malsain dans Import Export. De plus, si Seidl compose des plans élaborés et filme un environnement oppressant, il semble nous laisser toujours une certaine liberté, une échapatoire, une lueur, par ces cadrages qui laissent beaucoup d'espace au dessus des personnages, par ce rire jaune qui naît du grotesque, par l'attachement indéfectible qui finit par nous lier à Olga et Pauli, toute latitude que nous refusait récemment Steve McQueen avec Hunger, autre film-choc bien mieux reçu lui, puisque là, la cause à défendre était indiscutable. Les rares critiques enthousiasmés par Import Export insistent assez sur la dimension politique du film. Mais il faut préciser que Seidl ne vise pas le Cyber-Sex, la Prostitution, le Marché Noir, le Gangstérisme, le Capitalisme ou que sais-je encore avec des majuscules. Non, il pointe des actes précis et personnalisés qui traduisent les penchants de la plupart des êtres humains pour l'humiliation de l'autre, se gargarisant ainsi de leur illusion de toute puissance. Le fait qu'une partie de ces actes ouvertement violents ou plus insidieux soit perpétrée par des personnes sensées être responsables ou protectrices (pères et mères de famille, patron d'entreprise, consultant pour chômeurs, infirmière) ne fait qu'accentuer le sentiment de fin du monde.

Les gestes d'Olga et de Pauli ne sont peut-être que des gestes de retrait, mais dans cet univers-là, ils prennent presque valeur de révolte, d'espoir en tout cas. Ulrich Seidl est décidément un sacré cinéaste.

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