Film présenté en avant-premère au 40e Festival International du Film de La Rochelle, sortie en salles prévue le 9 janvier 2013.
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C'est l'histoire d'un rapport vicié, celui existant entre le Sud et le Nord. Il est exposé, dans Paradis : Amour, à travers le séjour touristique et sexuel d'une femme autrichienne au Kenya.
L'espace du club de vacances dans lequel elle s'installe est bien délimité, ordonné, gardé. La mise en scène y est ostensiblement symétrique, Ulrich Seidl se servant de ce type de composition pour y glisser toute son ironie et dénoncer par la seule puissance formelle un lieu dont la vie ne cesse de s'absenter. Ecrasés, momifiés, les corps rougis sur les transats ne bougent jamais. Dans les plans larges, seuls ceux des quatre ou cinq protagonistes identifiés au cours du récit, touristes ou animateurs locaux, arrivent à se mouvoir mollement à l'occasion.
Voilà pour le Paradis. L'Amour, c'est celui que cherche ces femmes occidentales, déjà relativement agées pour la plupart, auprès des Noirs (des "Nègres") du coin. Mais pour effleurer cette illusion, il leur faut tout de même, de temps à autre, franchir les limites du complexe hôtelier. Et au-delà, la symétrie et l'asepsie ne sont plus de mise. Seidl abandonne quasiment les plans fixes, même si ceux-ci restent généralement longs afin de déstabiliser, encore et toujours, le spectateur, de pousser chaque situation aussi loin que possible, avec l'appui de ses acteurs. Découle une certaine idée du malaise, sans doute, de cet entêtement à filmer les corps peu attrayants, comme celui de la courageuse Margarete Tiesel, sous les caresses des mains de beaux jeunes gens noirs.
La mise en scène de Seidl est ici un peu moins impressionnante, moins coupante, moins oppressante que dans ses deux autres longs métrages de fiction, Dog days et Import Export, mais elle n'en apparaîtra pas plus supportable à certains. Personnellement, il me semble pourtant qu'on peut très bien la supporter, que si une évidente tension parcourt certains plans séquences comme ceux accompagnant la recherche nocturne de Klara dans des quartiers agités (tension qui, alors, nous renvoie peut-être, dans ce cas précis, à un réflexe conditionné peu avouable), on sent qu'il n'y a pas trop à craindre non plus. Car Ulrich Seidl n'est pas un preneur d'otage, ni un manipulateur, comme peut l'être son plus illustre et palmé compatriote Michael H. C'est seulement qu'il ne ferme pas les yeux (sur le scandale que représente le corps humain) et qu'il ne se bouche pas les oreilles (sur l'aberration raciste que peuvent véhiculer des propos "innocents").
Alors sans doute Paradis : Amour s'arrête-t-il au constat (est-ce sa limite ?) mais celui-ci est implacablement dressé. Margarete a beau enjamber la cordelette séparant l'espace des vacanciers de celui des vendeurs de la plage et pénétrer cet autre monde (là où la caméra avance à sa suite, alors qu'elle est contrainte, dans le club, à ne montrer que surfaces et aplats), tout ce qu'elle désire construire comme relation est voué à l'échec. Le Nord veut qu'on l'aime pour ce qu'il croit être vraiment, qu'on le remercie. Le Sud veut bien jouer le jeu à condition que les compensations viennent avec. Margarete essaye avec un autre, puis un autre, sans plus de succès sur la durée. La spirale est sans fin. L'écart est devenu trop important. Il faudrait tout remettre à plat mais cela semble absolument impossible.
Vous entendrez à nouveau parler de Paradis : Amour en janvier prochain, lors de sa sortie en salles. D'après les réactions outrées qu'il a suscité à Cannes, nous ne devrions pas être beaucoup plus que deux à le défendre : Positif et moi.
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PARADIS : AMOUR (Paradies : Liebe)
d'Ulrich Seidl
(Autriche - France - Allemagne / 120 min / 2012)