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Le ruban blanc

(Michael Haneke / Autriche - Allemagne - Italie - France / 2009)

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Quelques remarques sur Le ruban blanc (Das weisse band), film déjà largement commenté ici et là (sur internet avec beaucoup plus de réserves que dans la presse papier, globalement dithyrambique : mouvement de balancier régulièrement observé, y compris, à l'occasion, en ces lieux). Personnellement, je n'ai vu dans la dernière Palme d'or en date ni un chef-d'œuvre absolu, ni un ratage à balayer d'un revers de manche.

Noir et blanc

De nombreux plans sont très beaux à voir : la profondeur de l'ombre, la lueur des bougies, la lumière des extérieurs... Lorsque le médecin, de retour de l'hôpital, passe du côté de son jardin, on voit sa fille au fond du plan passer le seuil de la maison : un court instant, seul son visage se détache de la pénombre, tâche blanche sur fond noir. Tout est composé minutieusement, cadré au millimètre, parfois jusqu'à la rigidité et à l'étouffement. Il manque une vibration interne.

Calme blanc

Que ce soit la découverte d'un cadavre ou une discussion familiale autour d'un oiseau, chaque séquence est filmée comme la précédente, provoquant la mise à distance constante du spectateur. Le ruban blanc n'échappe pas à une certaine monotonie. La froideur du style et l'affliction généralisée des personnages interdisent l'expérience du vertige que pourrait entraîner la répétition (ce qui advenait dans 71 fragments d'une chronologie du hasard, par exemple).

D'une voix blanche

Le film est pris sous un glacis et recouvert par une voix off qui semble nous parler depuis aujourd'hui et maintenant, soit longtemps après l'histoire (la petite, qui nous est contée, et la grande, qui plane au loin). Cette voix, qui se superpose souvent aux conversations des protagonistes, explique régulièrement ce que l'on voit effectivement sur l'écran. Quelque chose cloche. Quelque chose ne marche pas entre les plans. Le récit cinématographique peine à se mettre en route. Le montage n'est pas basé sur une dynamique narrative mais thématique, intellectuelle : quand le pasteur reproche à son fils ses mauvaises pensées et ses actes (supposés) impurs, Haneke raccorde brutalement sur la copulation du médecin et de sa bonne. Ce genre de transition flatte le spectateur attentif mais ne le transporte pas.

Derrière la porte blanche

Certains se sont félicités qu'Haneke, cette fois-ci, ne nous impose pas frontalement les scènes les plus violentes et qu'il base sa mise en scène, tout du long, sur l'ellipse et le hors-champ. Je ne suis pas absolument convaincu que nous gagnons au change car le moins que l'on puisse dire est qu'il insiste pesamment en filmant ces portes closes. Au lieu d'être terrorisé par ce qu'il se passe derrière, on "sent" la présence de la caméra, on "entend" Haneke donner ses instructions pour le panoramique, on "voit" l'assistant chronométrer le plan-séquence. Les longs plans fixes de Caché gardaient en éveil par leur ouverture, ceux du Ruban blanc sont des plans fermés.

Dans le blanc des yeux

Le meilleur du film est à chercher dans le regard des enfants. Les enfants sont écrasés par l'autorité des pères, mais ils semblent savoir ce que personne d'autre ne sait. Les enfants sont inquiétants et cela, dès le début, par la façon dont ils se mettent à entourer l'infirmière pour lui parler. Leur présence souvent inattendue dans le plan (derrière les portes, bien sûr), leurs attroupements, l'impénétrabilité de leurs visages mènent aux confins du fantastique (la parenté avec Le village des damnés de Wolf Rilla a été maintes fois soulignée).

Laisser un blanc

Les dernières minutes trouvent enfin un liant capable de faire tenir ensemble les séquences, qui sont, qui plus est, d'une grande force (l'ultime interrogatoire des deux enfants du pasteur, le plan final...). Certes, deux heures de préparatifs pour ces 25 minutes de récit enfin resserré, c'est un peu long. Toutefois, Haneke ne perd pas la main lorsqu'il s'agit de laisser le spectateur sur une fin ouverte, qui le fait soudain revenir sur tout ce qu'il vient de voir, sans que cela ait juste à voir avec la résolution d'une énigme. Après tout, mieux vaut quitter un film ainsi, en se retournant vers lui, en se ré-impregnant de ses images, plutôt que de le voir s'effacer aussitôt de notre cerveau avec indifférence.

Commentaires

  • "Ce genre de transition flatte le spectateur attentif mais ne le transporte pas." Exactement, c'est un cinéma àqui s'adresse principalement aux petits malins insensibles. "Il manque une vibration interne." C'est le moins qu'on puisse dire !

  • En écrivant une chronique sur mon propre blog, pour dire que le film tournait globalement un peu à vide, surtout si on tient absolument à le voir avec le prisme de la montée du troisième Reich, il m'est venu une idée : et si cet instituteur, pur, droit, naïf dans un monde carricaturalement rigide, cruel et oppressant n'était après tout qu'une reconstruction faite par le narrateur, une sorte de projection idéale d'une génération qui a planté les germes du nazisme et qui rejette ses propres fautes et lâchetés sur son environnement.

    Bon, je dois reconnaitre que je trouvais l'idée intéressante, mais comme je n'ai personne avec qui en débattre...

  • Ce qui me pose problème dans ce film, c'est la manière dont Haneke, tout en dénonçant une société rigide et puritaine, fondée sur des rapports de domination, se comporte dans sa mise en scène (qui effectivement frôle la perfection formelle), et donc avec le spectateur, un peu comme le pasteur avec ses enfants: il est aussi maniaque, pontifiant, rigoriste et puritain que lui.
    Ceci dit, je ne connais pour ainsi dire pas du tout son cinéma (La Pianiste, que j'avais trouvé complaisant, voire carrément mauvais); mais je vais me rattraper ces prochains jours à la Cinémathèque.
    Salutations!
    PS: j'aimerais réagir plus rapidement à tes posts mais je suis toujours en retard sur les films...

  • Sadolpunk : Haneke dit qu'à part dans "Funny games", il n'a jamais cherché à donner de leçon au spectateur. Ce n'est pas totalement faux, mais dans certains de ses films, dont "Le ruban blanc", son système de "caches", de hors-champ, se retourne quelque peu contre lui : il nous montre (il nous démontre) trop ostensiblement "qu'il ne nous montre pas" et l'effet est tout aussi contraignant.
    "La pianiste" m'avait, moi aussi, horripilé, mais j'aime "Caché", "71 fragments" et "Code inconnu". "Funny games" est également une expérience à tenter. Bref, bon rattrapage (même si cela ne sera pas de tout repos...).
    PS : il n'est nullement interdit de réagir longtemps après la publication de mes notes, bien au contraire... Merci de me suivre ainsi, en tout cas. De ton côté, pas de réactivation de ton blog ?

  • Vu "Funny Games" depuis mon dernier commentaire, et ça ne fait que confirmer les deux autres, en pire. J'ai été très agacé que Hanake tente de me faire croire que sa perversion était la mienne: non, je ne suis pas un spectateur passif repu de violence, et je ne pense pas, contrairement à lui, que les adolescents soient des crétins drogués sans contact avec le réel (ils écoutent John Zorn, ce sont donc de dangereux psychopathes!). Bouh, que c'est lourdingue.
    Un plan à sauver quand même: le long plan-séquence qui suit la mort de l'enfant, avec les parents, hébétés durant de longues minutes dans le salon vide, silencieux et ensanglanté. Là, il enregistre un morceau de réel bien cru qui vaut toutes ses manipulations démonstratives.

    Quant à mon blog, il n'existe plus que pour donner le lien de "La petite marchande de bombes", sur laquelle je poste de temps à autre.

  • Personnellement, je ne déteste pas "Funny games". Je comprends très bien que l'on puisse réagir violemment contre le système qu'impose Haneke. Pour ma part, ne m'estimant pas en position d'être sermonné à cause de mon rapport à la violence, j'ai accepté de me faire le cobaye de son expérience (on hésite à écrire "son jeu", mais il y a de ça, malgré la douleur, et du coup, cela tendrait peut-être à prouver qu'Haneke n'a pas vraiment réussi ce qu'il voulait faire). C'est donc du point de vue du "mécanisme" que le film m'a intéressé et non des intentions. Du coup, à l'inverse de ton jugement, c'est la séquence de l'après-mort de l'enfant que je n'aime pas : Haneke ne filme rien car il ne sait pas comment rendre cet instant, et pour cause, car pour tout un chacun, c'est de l'ordre de l'inconcevable. Nous imposer ce plan-séquence, c'est, derrière le paravent d'un choix de mise en scène radicale, nous dire : "démerdez-vous avec ça". J'avoue donc aimer pour ma part plutôt les scènes qui onf fait grincer les dents, comme celle de la télécommande.

    PS : il y avait longtemps que je n'avais pas suivi le lien menant à "La petite marchande..." depuis ton blog et je vois qu'il y a effectivement à lire. Tant mieux...

  • Moins convaincu que toi même si j'adhère totalement à certains de tes propos: "plans fermés", "il manque une vibration interne". Pour moi, 'le ruban blanc" est un avatar de ce nouvel "académisme" d'auteur hyper-signifiant avec ses longs plans-séquences, ses ellipses pesantes et un grand "thème" omniprésent (ah, pérennité du Mal!) J'ai trouvé ça assez pachydermique!

  • Mais Haneke m'a toujours semblé pachydermique docteur, même dans 71 fragments, Benny's video. Seul Caché échappe à cette règle en fait. Pour le Ruban Blanc, malgré des longueurs et un dispositif toujours aussi démonstratif, j'avoue que je me suis régalé. J'aime les sujets qu'aborde Haneke, j'aime aussi qu'il nous force à réfléchir constamment et que ses films donnent envie d'en discuter en sortant. Pour ce qui est de la mise en scène, je l'ai trouvé très belle, très épurée (la scène dans laquelle le paysan vient constater la mort de sa femme). Haneke n'est pas d'une grande finesse, c'est un professeur cinématographe. Mais ses films sont toujours de qualité et, sur le fond et sur la forme, le monsieur sait ce qu'il fait.

    En fait, à part Le temps du loup (que je n'ai pas réussi à terminer), j'aime tous les Haneke.

  • Je suis assez d'accord avec toi, Julien, sur le cinéma d'Haneke en général (et sur le fait, qu'après tout, c'est l'un des rares qui fasse vraiment parler les gens à la sortie des séances). Il n'est jamais d'une grande finesse mais ce n'est pas toujours gênant et cela ne l'empêche pas d'être, parfois, passionnant.
    En revanche, sur Le ruban blanc, je trouve qu'à certains moments (et notamment dans la scène du lit de mort que tu cites), Haneke nous force la main et nous fait trop sentir le "travail" qu'il effectue pour essayer d'atteindre la beauté.

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