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  • Agnus Dei (Miklos Jancso, 1971)

    **
     
    Beaucoup aimé lors d'une première vision très isolée il y a cinq ans. A la deuxième, vraiment dans la continuité des précédents cette fois, j'ai plus de réserves. Après l'échec de La Pacifista, Jancso revient en terrain connu, un peu trop connu. A nouveau la plaine, à nouveau l'année 1919 (la lutte entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires, ici attisée par un prêtre fanatique), à nouveau les longs plans, à nouveau les soldats, les chevaux, les femmes nues (dès les premières secondes et avec une régularité parmi les moins justifiées). Le film, qui joue lui-même sur la répétition des gestes, n'évite pas l'impression de surplace. On reste certes dans la réalité des corps et des éléments, et les images marquantes ne manquent pas, mais la volonté de représenter dans un seul lieu et un temps ramassé des enjeux historiques complexes donne des chorégraphies qui finissent par nous perdre (le dernier tiers est assez abscons).

  • Scandalo (Salvatore Samperi, 1976)

    **
     
    Pas vraiment un film de Noël, plutôt un film "problématique" comme on dit aujourd'hui ou un film "à scandale" comme on disait avant et comme l'annonce bien le titre. Avec deux personnages féminins prénommés Juliette et Justine, on se dit que ça va rapidement dégénérer en rituel sadien et effectivement, à peu près toutes les lignes rouges sont franchies dans cette histoire d'employé de pharmacie (Franco Nero) révélant, par méprise et contrainte d'abord involontaire, les désirs profonds de sa patronne (Lisa Gastoni) et développant avec elle une relation sado-masochiste, ou dominant-dépendante, jusqu'à réclamer au final le "don" de sa fille mineure. On a donc tous les détecteurs qui s'affolent. Pourtant Samperi parvient à ne pas sombrer dans le sordide ni dans la dégueulasserie grâce à une mise en scène maîtrisée, une distance rétro (la France en 1940) et une certaine théâtralité qui font passer cette fiction en jeux d'ombres, jeux de lumière, jeux de rôles. Le film va au bout de son sujet avec aplomb et se termine sur un dernier long plan saisissant remontrant sans coupe visible toutes les pièces de cet appartement-officine, point final d'un quasi-huis clos augmentant la dimension "imaginaire" de tout cela.

  • La Pacifista (Miklos Jancso, 1970)

    *
     
    Premier échec patent pour Jancso avec ce film tourné en Italie sans son scénariste Gyula Hernadi ni son chef op Janos Kende (Carlo Di Palma à la place). Pari difficile d'aborder avec son style la réalité italienne de l'époque puisque l'histoire est contemporaine, mélange de passion amoureuse et de luttes politiques (une journaliste bourgeoise de gauche tombe sous le charme d'un jeune homme traqué par ses anciens camarades terroristes parce qu'il a refusé de commettre un assassinat). On y trouve des traces d'humour, des petits détours presque felliniens, mais les mouvements chorégraphiés semblent contraints dans l'espace d'une villa, d'une rue, d'un jardin milanais. Au centre, Monica Vitti ne semble pas parfaitement accordée aux désirs de Jancso. Autour d'elle, une sorte d'internationale auteuriste : Pierre Clementi, Daniel Olbrychski et l'acteur fétiche Joszef Madaras. Encombrée d'une musique romantique et mise en scène avec la distanciation habituelle, l'histoire d'amour indiffère et n’élève jamais le constat sociétal sur les tensions italiennes, très simplifiées, à l'image de ces fonds de plans où quelques figurants agitent côte à côte des drapeaux rouges et noirs.

  • Brazil (Terry Gilliam, 1985)

    ****
     
    Pas revu depuis très longtemps, je ne me souvenais plus que c'était aussi un excellent film de Noël. Ça reste le sommet de Gilliam, qui ne combinera plus jamais à ce point inventivité et cohérence (allez, si on veut, ça pourrait être un poil plus court que ces deux heures et quart). Et comme disait Michael Palin, c'est quand même le premier film à avoir donné son titre à un pays.

  • Affliction (Paul Schrader, 1997)

    ***
     
    Constamment prenant malgré quelques scories, les brefs effets esthétisants ou encore la voix off de Willem Dafoe qui gâche un peu le (presque) dernier plan du film, magnifique, où Nick Nolte se sert un verre avec la grange en flammes au fond, voix off qui explicite alors trop ce que l'on avait très bien saisi : le film est une histoire familiale de la violence et une critique implacable de la notion de virilité. Je trouve le film assez fort dans sa façon de montrer comment la crise personnelle en vient à altérer la perception de la réalité, à partir de la longue intro décrivant le rapport de Nolte et sa petite fille puis le drame adjacent dont celui-ci va commencer à fantasmer les causes. Le lien entre les deux sphères, privée et publique, est remarquablement tissé. Excellente interprétation : Sissy Spacek retrouvée avec plaisir, Dafoe dans un beau personnage en retrait et pourtant prenant en charge le récit, James Coburn qui parvient à dépasser la composition de l'ogre monolithique et Nolte à son aise dans la dérive explosive, avec une sacrée démarche dans la neige.

  • Sirocco d'hiver (Miklos Jancso, 1969)

    ***
     
    1934, des Oustachis, nationalistes croates accueillis, surveillés et instrumentalisés sur le sol hongrois, préparent un attentat contre Alexandre II de Serbie. Jancso commençait à lasser certains, allant toujours plus loin, même dans ce cadre de coproduction franco-hongroise. Passé un temps d'adaptation à l'utilisation du français, la greffe prend, Jacques Charrier et Marina Vlady (et beaucoup plus brièvement Laszlo Szabo et Michel Delahaye) trouvant rapidement leurs marques et ne déparant pas au milieu des habitués hongrois. Plus aucun plan court ici mais le tour de force de treize plans séquences, intérieurs et/ou extérieurs, menés avec virtuosité. Leur longueur, le nombre élevé de protagonistes et la volonté constante de parler politique font qu'ils peuvent glisser de l'observation comportementale à l'allégorie plus distanciée, mais l'intérêt est maintenu dans la représentation des forces en présence et des revirements (symbolisés par d'innombrables passages de main en main de revolvers et de fusils de toutes sortes). Dans un décor quasi-unique, les mouvements de caméras incessants et calculés sont justifiés par la situation du personnage principal, placé dans un endroit qu'il ne connaît pas, entouré d'hommes et de femmes dont il doit douter à chaque fois des intentions. Politiquement, c'est une alerte sur les organisations structurées pyramidalement qui entravent toute liberté personnelle et qui préfèrent créer des martyrs plutôt que s'appuyer trop longtemps sur de fortes individualités.

  • Fargo (Joel et Ethan Coen, 1996)

    ***
     
    Film sur la bêtise, non pas systématique mais nuancée, graduée, étagée, allant de celle, tordante et dangereuse, prise en charge par Steve Buscemi à celle, virant au pathétique, assumée par William H. Macy. Comme c'est remarquablement écrit, les bifurcations participent aussi à l'enrichissement, tout en surprenant (les deux filles du bar, l'ancien camarade mytho, le témoin interrogé dans la rue). Cette façon de dépeindre les personnages est aussi formidablement prolongée par le traitement de l'espace, comme le prouve la séquence où Buscemi enterre la mallette, se redresse, s'aperçoit qu'avec la longueur de la clôture il ne la retrouvera jamais et plante juste son grattoir rouge dans la neige. Marge, elle, se distingue rapidement, au contraire, par son bon sens, presque un sixième sens tant elle touche juste immédiatement à chaque fois. Frances McDormand est formidable notamment dans ces instants où elle abandonne son sourire bienveillant (devenant presque "normale"), quand elle doit marquer la grande gêne (face à l'ex-copain de classe) ou le brusque énervement (face à Lundegaard qui tergiverse). Marge a donc bien les épaules pour se sortir toute seule de la plongée au cœur du Mal, telle Clarice Starling à la fin du Silence des agneaux.

  • L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (Andrew Dominik, 2007)

    ***
     
    Très beau film d'Andrew Dominik (rien vu de lui jusque-là), qui s'est donné les moyens de son ambition, avec le casting, la musique de Cave et Ellis, la photographie vraiment sublime de Roger Deakins. Grâce à l'esthétique poussée et à la narration, elliptique ou légèrement déréglée, il surprend constamment à partir d'une histoire connue, réussissant même à intéresser avec cette idée de quasi-suicide, bien rattachée aux autres, l'auto-destruction du gang, la fascination pour les grandes figures, la jalousie, la soif de gloire mêlée à la trouille. Et un traitement également intelligent de la violence, particulièrement évident lors de la séquence où Jesse James s'acharne sur le petit cousin des Ford puis peine à repartir, malade.