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  • Les Quatre Filles du docteur March

    Les Seize Filles du docteur March :
    Le George Cukor (1933) ** se déséquilibre volontairement vers le personnage de Jo, avec Katharine Hepburn qui prend toute la place, qui ne se résout pas à jouer sagement comme les trois autres et qui prend en charge l'énergie du film, se voyant même parfois explicitement isolée dans le cadre par la mise en scène.
    Le Mervyn LeRoy (1949) * n'apporte pas grand chose sinon la couleur et les modulations plutôt homogènes de ses interprètes (June Allison, Janet Leigh, Liz Taylor...) mais croule sous les violons et le sentimentalisme.
    Le Gillian Armstrong (1994) *, pour approfondir les psychologies, aborder plus franchement les dimensions sociales et rendre immédiatement lisibles les émotions, privilégie beaucoup trop les plans rapprochés conventionnels au détriment des forces extérieures qui auraient pu animer les figures secondaires et les différents espaces, ce qui le rend bavard au centre et décoratif dans ses à-côtés.
    Le Greta Gerwig (2019) **, par la mobilité de la caméra et par l'énergie de groupe bien répartie, propose une série d'impulsions régénératrices et ce qui aurait pu apparaître comme une simple astuce un peu vaine, le bouleversement de la chronologie, assure lui aussi, finalement, un plaisant dynamisme.

  • L'île Epstein

    (Texte publié dans Les Fiches du Cinéma le 14 juillet 2014)

    Epstein : le nom claque comme la vague s’abattant contre le rocher. En 1928, il est synonyme de la meilleure avant-garde française, au même titre que celui de Gance. Notre homme Jean vient de réaliser La Glace à trois faces et La Chute de la Maison Usher. Il a à peine trente ans mais il est fourbu par six années intenses passées dans l’industrie cinématographique. C’est un séjour en Bretagne qui va le revigorer, lui faire tourner le dos aux studios, le regard dirigé vers la mer, les îles et leurs habitants. Et Epstein d’opérer l’un de ces spectaculaires virages artistiques que l’histoire du cinéma peut offrir de temps à autre…

    Le premier coup de barre est donné avec Finis Terrae, une histoire de pêcheurs de goémon isolés sur une petite île. Le cinéaste expérimente à cette occasion une nouvelle façon de faire : tournage entièrement sur les lieux, appel aux locaux pour la logistique mais aussi pour l’interprétation, reposant exclusivement sur les épaules de non-professionnels. Son but est double : documenter sur une réalité mal connue et la mettre en récit cinématographique. Pour atteindre le premier, il compte sur la précision géographique de son film, sur quelques cartons explicatifs, sur l’enregistrement scrupuleux des gestes du travail. Et comme l’on observe une simple querelle de pêcheurs se terminer sur une blessure et provoquer finalement l’émoi et la mobilisation de la communauté d’Ouessant, on voit Epstein déployer du grand cinéma à partir du réel.

    Pour donner à voir plus que ce dernier sans le trahir, il joue d’oppositions fortes, pose des enjeux simples pour structurer sa narration : un conflit banal entraîne un problème qui devient vital. Mais le dépassement se fait surtout par l’esthétique, là où le film tire sa plus grande force. Epstein se sert des leçons de sa “première vie” de cinéaste d’avant-garde pour donner au quotidien une apparence grandiose, plaçant par exemple des figures humaines bien droites devant un ciel prenant les trois quarts de l’espace dans le cadre ou collant aux plans de visages en attente sur le rivage ceux d’une mer particulièrement agitée (filmée plus d’une fois au ralenti). Les raccords qui en découlent sont parfois brutaux mais ils ajoutent finalement à l’impression de rudesse de l’ensemble, malgré la grande beauté des images (la lumière naturelle est rendue de manière extraordinaire). Mêler ainsi le document ethnographique et la fiction forte ne va pas sans poser quelques problèmes de rythme difficiles à résoudre mais Epstein, en allant au bout de cette expérience, à la fois technique, artistique et humaine, est parvenu à doter son œuvre d’un souffle rare.

    Quelques mois après la sortie de Finis Terrae, Epstein poursuivait sur sa nouvelle voie avec Mor’Vran, démontrant qu’il se lançait bien dans un véritable “cycle maritime”. Ce court film de 1930 est d’abord un parcours allant d’une île bretonne à l’autre, à partir de celle d’Ouessant, et aboutissant à celle de Sein, la plus ingrate de toutes, pour que s’y développe une histoire. Certes le regard embrasse ici un espace plus vaste mais le récit est encore simplifié, le traitement plus concis, les plans plus courts, les silhouettes rarement caractérisées. Le travail de composition plastique est également moins évident. Si Finis Terrae proposait quantité d’images que l’on pourrait qualifier d’eisensteniennes, Mor’Vran, par sa simplicité apparente, se rapproche beaucoup plus du cinéma du contemporain Robert Flaherty et nous sommes bien, là aussi, aux sources du documentaire ethnographique. Si le film est moins émouvant que le précédent, qui se terminait sur des images d’hommes réunis dans l’épuisement, il montre que, toujours, la vie continue, malgré les épreuves et le combat perpétuel contre les éléments. Les plans de mer déchaînée et leurs contrechamps véhiculent l’ambivalence des sentiments du cinéaste face à elle, inquiétude et fascination mêlées.

    Avec L’Or des mers, Epstein choisit cette fois la fable morale. Le film nous présente l’histoire d’un homme pauvre découvrant un jour une boîte rejetée par la mer et suscitant dès lors toutes les convoitises, de façon directe ou par l’intermédiaire de sa fille. C’est donc la cupidité qui est pointée, cupidité rendue possible par les conditions de vie difficiles et l’isolement. Paysage hivernal, murets de pierres, intérieurs sombres et caractères revêches font que l’œuvre apparaît peu amène. Pour ce troisième effort breton, le style a gagné en fluidité mais une certaine contrainte se fait sentir dans des plans assez longs et plutôt rigides. Mais c’est autre chose qui handicape le film. En ce début d’années trente, la révolution sonore suit son inexorable cours. Tourné sans son, L’Or des mers est soumis au procédé “Synchro-Ciné” offrant par post-synchronisation la possibilité d’un calage très relatif des mots sur les lèvres des acteurs (et plus d’une fois ici, les voix entendues ne semblent manifestement pas leur appartenir réellement). A cela s’ajoute une partition tonitruante imposée par la production, musique omniprésente et inadéquate allant parfois jusqu’à contredire totalement les images sur lesquelles elle est étalée. Il faut admettre cependant qu’une certaine étrangeté se dégage d’un tel traitement, d’autant plus qu’affleure régulièrement le merveilleux, au bord de cette mer libérant des coffres à trésor.

    L’aspect social et le resserrement narratif sur une poignée de personnages se débattant à nouveau sur un fond tout à fait réaliste drainent leur lot de surprises et aident à maintenir l’intérêt. Cela jusqu’à faire prendre conscience que la lenteur de la plupart des plans était en fait inscrite dans le projet, de manière évidente dans un final tendant vers le tragique et dans lequel cette lenteur devient nécessaire aux corps luttant au milieu de sables mouvants. Les personnages doivent “se hâter lentement” et Epstein lui aussi possède toute la science de la conduite d’un récit. Il sait nous mener vers les sommets dramatiques sans oublier la réalité. Il sait user de plans de visages très rapprochés, proprement stupéfiants, sans effacer l’être ni le corps.

    Au milieu des années trente, l’attachement de Jean Epstein à la Bretagne ne fait donc plus aucun doute et une commande touristique lui est adressée en toute logique. L’errance d’un jeune barde renvoyé du collège, repoussé par son père et finissant par croiser la route de sa bien aimée promise à un autre : la trame de Chanson d’Ar-Mor permet l’arpentage de la géographie régionale, la visite de ses lieux les plus caractéristiques, la participation à ses cérémonies et ses fêtes. Le poids du contrat à respecter, imposant ce genre de vues documentaires à l’intérieur d’une fiction se déroulant sous le soleil d’été, se fait forcément sentir mais Epstein s’acquitte de sa tâche avec soin. Sa prédilection pour les plans longs et son respect pour les gens et l’environnement font que le trajet proposé est mieux qu’une simple visite guidée. Quant à la part la plus fictionnelle, il la développe intelligemment et délicatement. Le film a une première particularité importante puisqu’il est intégralement parlé en breton. Il en a une seconde : c’est un film chanté. Sur une large partie de la bande son courent les chansons annoncée par le titre, la plupart intégrées au récit, chantées par le héros sans rupture de la continuité dramatique. Si l’on considère de surcroît la manière dont se clôt l’aventure, Epstein libérant alors une grande force mélodramatique au milieu des embruns, on conviendra aisément que cette Chanson d’Ar-Mor ne relève pas seulement de la curiosité.

    Ce statut convient en revanche aux Feux de la mer, court métrage, œuvre ultime réalisée en 1948 et commande, elle aussi, passée cette fois-ci par un département de l’ONU. L’angle d’approche choisi vise plus clairement qu’ailleurs à informer, malgré le fait que le point de départ soit un ancien scénario du cinéaste. L’arrivée d’un jeune homme dans un phare d’Ouessant pour son premier poste est en effet prétexte à un assemblage de vues diverses sur le thème des veilleurs de la mer, à un exposé sur les bienfaits de l’entraide internationale, à un cours sur les progrès techniques, des lentilles au radar. Le didactisme ainsi appuyé fait régulièrement sourire et rend les séquences consacrées à la vie quotidienne dans le phare peu palpitantes.

    Le caractère plutôt anecdotique de cet exercice au regard des autres ne doit cependant pas laisser penser qu’Epstein avait, à la sortie de la guerre, perdu tous ses moyens. En effet, Le Tempestaire, réalisé à peine un an plus tôt, s’avère être, malgré sa brièveté (22 minutes au compteur), l’un des films français les plus surprenants de l’époque et sans doute le point culminant de la recherche de son auteur d’une jonction entre réalisme et formalisme. L’histoire en est à peine une : la fiancée d’un marin parti au large par gros temps s’inquiète. Cet argument croise une croyance locale, celle concernant les “tempestaires”, petits vieux souvent reclus et réputés capables de calmer les vents rendant la mer trop dangereuse.

    Aux intérieurs sombres et dépouillés, aux gestes et aux paroles calmes dites d’une voix blanche qui ne constitue pas le seul lien de parenté avec le cinéma de Robert Bresson, Epstein oppose ces plans de rivages sur lesquels les vagues viennent se briser avec une intensité grandissante. Par la grâce d’un montage parfaitement pensé, se déploie un poème visuel autant que sonore. Le défilement des images subit plusieurs variations, se trouvant ralenti voire inversé, tandis que le son est travaillé de manière étonnante. Ainsi, en une poignée de plans maritimes fixes, prend forme l’une des plus saisissantes tempêtes cinématographiques. Trois sources sonores sont à ce moment mobilisées : le bruit naturel de la mer, un chant de grand mère et un son indéfinissable, tenant presque de la sirène industrielle. Epstein parvient même, par un simple jeu de répétitions étouffées de phrases prononcées par les protagonistes, sur des images de paysage de bord de mer, à donner d’une façon inattendue la sensation du vent, du mouvement des choses et des pensées portées plus loin.

    L’œuvre d’Epstein, le vent l’a portée jusqu’à aujourd’hui, mais avec beaucoup d’intermittences. Elle a inspiré en 2011 à James June Schneider un essai documentaire titré Jean Epstein, Young Oceans of Cinema. Intégrant des bribes d’entretiens avec Marie Epstein ou Jean Rouch, des extraits de films et d’écrits de Jean Epstein, Schneider évoque la carrière du cinéaste et privilégie le cycle breton. Il réalise à partir de celui-ci une expérience en revisitant les lieux, en recueillant les témoignages et en superposant les images d’hier et celles d’aujourd’hui. Il effectue un relevé de traces et tente de retrouver par instants dans ses propres plans la puissance qui parcourait ceux de son modèle. Le pari n’était pas évident et le film passe par plusieurs moments de flottement, ne s’appuyant, au contraire d’Epstein, que sur le pur document, mais il est digne d’intérêt et sa présence dans ce coffret parfaitement justifiée.

    Parmi les suppléments proposés par Potemkine, utiles présentations et entretiens, la rencontre avec Bruno Dumont fait figure de morceau de choix. L’auteur de La Vie de Jésus explique le choc reçu à la découverte de ce cinéma-là, véritable révélation à lui-même et à son propre travail, éclaire les dimensions métaphysiques et mystiques de l’œuvre d’Epstein, son caractère surnaturel au sens d’un “au-delà de la nature” (filmer un paysage pour capter autre chose derrière). Il remet par ce biais le nom d’Epstein à sa véritable place dans l’histoire du cinéma français, l’une des plus importantes, aux côtés notamment de Bresson. Cette place est retrouvée de fait grâce à la belle actualité éditoriale du moment, après des années de méconnaissance voire d’oubli. Jusqu’à sa mort en avril 1953, les années d’après-guerre furent difficiles pour Jean Epstein, le public ayant eu du mal à le suivre entre ses expériences bretonnes et les travaux alimentaires qu’il devait continuer à réaliser en parallèle. Dans son fameux texte paru dans les Cahiers du Cinéma deux mois après la disparition du cinéaste, Henri Langlois reprochait vertement à la critique et aux producteurs de ne pas avoir suffisamment soutenu celui-ci lors de ses vingt dernières années d’activité. Quelques semaines auparavant, Positif publiait un hommage rédigé par Charles Ford et usant du même ton désabusé. En découvrant aujourd’hui les films bretons de Jean Epstein, dont même les plus inégaux sont traversés par endroits de réelles beautés, on ne peut effectivement qu’être frappé par leur singularité et, souvent, leur modernité, et s’étonner de la relative indifférence qu’ils provoquaient jusque là, à quelques exceptions près.

    Coffret DVD Jean Epstein, poèmes bretons

    7 films :
    Finis Terrae, 1928, 82 min
    Chanson d’Ar-Mor, 1935, 43 min
    Les Berceaux, 1931, 6 min
    L’Or des mers, 1933, 69 min
    Mor’Vran, 1930, 25 min
    Le Tempestaire, 1947, 22 min
    Les Feux de la mer, 1948, 21 min

  • Sous les toits de Paris (René Clair, 1930)

    ***

    Dans "Sous les toits de Paris", René Clair préserve les acquis esthétiques du muet tout en se lançant dans le parlant de manière très ludique. Un goût du jeu très plaisant, bien que cela aille, entre deux copains, jusqu'à jouer la fille aux dés (heureusement Pola Illéry n'est pas réduite à un jouet, avec son accent roumain qui participe, lui aussi, au jeu sonore).

  • Treno popolare (Raffaello Matarazzo, 1933)

    ***

    Des travailleurs font l'aller-retour Rome-Orvieto en train pour profiter d'un jour férié. "Treno Popolare" est l'étonnante première fiction de Raffaello Matarazzo (et la première musique pour le cinéma de Nino Rota), construite en deux temps d'une durée équivalente. Dans le primo tempo, un montage étourdissant se joue de toutes les contraintes du parlant naissant et fait passer d'un voyageur à un autre avec une liberté qui fait de cette chronique sociale un véritable ancêtre du genre choral. Dans le secondo tempo, un choix est effectué pour se concentrer sur trois jeunes personnes qui badinent. Cela relègue la folle inventivité au deuxième plan, derrière la fraîcheur et le naturel, sensation accentuée par le tournage en extérieurs réels et au milieu de la population locale. Avec humour, charme et vivacité, on prépare le terrain au néo-réalisme (comme chez Renoir au même moment).

  • Les Invités de huit heures (George Cukor, 1933)

    **

    En 1933, la Grande Dépression frappe aussi les riches : Les Invités de huit heures vont le comprendre douloureusement les uns après les autres, en étant touchés soit au compte en banque, soit au cœur. La dépression est économique et bientôt psychique, la satire féroce virant imperceptiblement au funèbre. Malgré l'élégance du travail de Cukor, la variété des effets dans l'écriture et les nuances bienvenues de l'interprétation, le film est ligoté par le théâtre, son régime de performances successives, ses additions de longues scènes bien séparées les unes des autres. Ce n'est que sur la fin qu'une libération semble possible, comme pour les personnages, toujours pas autorisés à sortir des décors, mais soit délivrés par la mort, soit enfin réunis pour dîner et communier autour de leur sort. On en viendrait alors presque à les plaindre.

  • Stingaree (William Wellman, 1934)

    *
    Difficile à faire entrer dans une seule case (aventures, comédie, mélodrame, film musical), ce Wellman de 1934, s'il est découpé de manière plutôt alerte, peine à s'affranchir des pesanteurs du début du parlant. Il apparaît d'abord trop bavard et statique, ensuite dépendant d'un scénario abracadabrantesque (en Australie, un bandit redouté mais mélomane, le Stingaree du titre, donne le coup de pouce décisif à l'accession à la gloire d'une jeune femme de la bourgeoisie), puis plombé par une série de chants et d'airs d'opéra (dont un entonné à trois reprises). L'originalité du matériau aurait réclamé sans doute plus de légèreté dans la forme pour passer. Le dernier tiers est néanmoins un peu plus convaincant, d'un passage tout en réminiscences mélodramatiques à un dénouement aussi invraisemblable que le reste mais voyant l'héroïne choisir l'amour en dehors de la loi. Irene Dunne apporte l'énergie attendue et Richard Dix joue le charmeur ténébreux et plein d'esprit de façon monocorde mais efficace. 

  • L'Impossible Monsieur Bébé (Howard Hawks, 1938)

    ****
    D'abord, il y a ce personnage de Susan Vance, absolument ahurissant. Ce n'est pas celui de l'aimable gaffeuse, qu'on peut trouver ailleurs. Il s'agit là de quelqu'un possédant une volonté de fer et une énergie auxquelles rien ne doit résister, et surtout pas, donc, le professeur Huxley et ses projets de petite vie bien rangée. Cela va jusqu'à la folie, à l'obsession maladive. Ce harcèlement continu, dès les premiers instants, s'il n'était comique (ô combien !), pourrait servir de base au plus angoissant thriller. Les meilleures screwball comedies de l'âge d'or proposent un dérèglement, un déraillement ou un débordement de situation. Ici, on a plutôt le sentiment d'un emballement de la mécanique, Hawks étant bien sûr spécialiste de l'action, de la vitesse, de l'ingénierie. Cet emballement est provoqué par Hepburn, animal sexuel du film cherchant et parvenant à faire voler en éclat la grille de lecture morale conventionnelle de Grant. Autres animaux : Bébé le léopard (pure idée "surréaliste" de départ, peut-être, que de cadrer Hepburn et son fauve dans l'appartement, pour voir ensuite ce que cela va donner scénaristiquement) et George le chien (et l'os du brontosaure). Ils participent eux aussi, concrètement, à l'accélération du déplacement vers la folie collective, de par leurs cris, vite redoublés par ceux des humains, dans une incroyable cacophonie. Ce qui est génial avec ce Bringing Up Baby, c'est que s'y constitue un monde particulier, dans le sens où l'on est tellement emporté que ne se posent jamais des questions que le genre implique souvent, comme celles sur le théâtre ou celles de l'aisance sociale des protagonistes. Là, nous sommes "forcés" de n'admirer que la mise en scène du comique. 

  • L'Explorateur en folie (Victor Heerman, 1930)

    **
    C'est le deuxième véritable film des Marx Brothers, mieux connu sous le titre original d'Animal Crackers, et comme le premier, The Cocoanuts, une adaptation d'un spectacle qu'ils jouaient à Broadway. Victor Heerman le met en scène, ou plutôt, l'enregistre, puisqu'il n'y a guère de cinéma là-dedans. On suit une revue et non une histoire (ou à peine : une party dans une riche villa donnée pour le retour d'Afrique d'un explorateur, joué par Groucho, un vol de tableau, et c'est à peu près tout). Des moments tordants, beaucoup d'intermèdes musicaux, des tirades incompréhensibles laissant sceptique, des tunnels ennuyeux, des adresses à la caméra, de l'absurde à chaque coin de dialogue impliquant les frères... Guère de cinéma donc, mais parce que les Marx s'en foutent peut-être du cinéma, qu'ils ne cherchent même pas à en faire, qu'ils ne veulent que renverser, casser, piétiner verbalement et physiquement sans raison valable. Le film paraît long, ennuie plusieurs fois, et l'on se dit pourtant que ces désintérêts passagers participent de la totale destruction marxienne, qui reste très étonnante. Pour qu'elle soit mise en valeur plus cinématographiquement, il faut passer à Monkey Business et surtout Duck Soup

  • Une étrange soirée (James Whale, 1932)

    **
    Whale sort tout juste de Frankenstein lorsqu'il tourne cet Old Dark House (également appelé La Maison de la mort), à nouveau avec Boris Karloff. Le savoir-faire du réalisateur et celui d'Universal permettent l'installation particulièrement efficace d'une atmosphère fantastique, dès les premières scènes montrant l'infortune de trois amis piégés par un temps cataclysmique en pleine campagne galloise et leur refuge dans une inquiétante maison. Si cette atmosphère perdure, le film peut paraître cependant au bord de la parodie (Melvyn Douglas ne cesse de parler avec humour) et le surnaturel n'advient finalement jamais vraiment. Nous sommes plutôt dans le cadre d'un (proto-)survival au cœur d'une famille de dégénérés. Quelques baisses de rythme au milieu, dues à une abondance de dialogues, et un sentiment final de trop légères conséquences, empêchent le film d'être une grande réussite du genre mais plusieurs scènes ou figures "horrifiques" sont assez marquantes (Whale sait bien sûr rendre la violence et l'angoisse), l'ambiance sentimentale et érotique est très "pré-code", et c'est une curiosité d'une part de voir Charles Laughton si jeune, dans l'un de ses premiers rôles, et d'autre part d'entendre Melvyn Douglas chanter (brièvement et ironiquement) Singin' in the Rain bien avant Gene Kelly. 

  • Sur la piste des Mohawks (John Ford, 1939)

    ***
    Découverte d'un Ford peut-être pas méconnu mais bien moins commenté que d'autres. Il possède pourtant de nombreuses beautés. L'art narratif du cinéaste y est évident une fois de plus, mêlant les registres comme dans la vie même (à un bloc de violence succède la savoureuse séquence de la naissance du bébé), montrant la douleur sans pathos et l'amour sans mièvrerie. Aidé par une superbe photographie, aussi bien pour les intérieurs que pour les extérieurs, Ford tempère son attirance pour l'expressionnisme pour n'en garder que les principes les plus simples, ne faisant ainsi jamais détourner l'attention de l'action réaliste (ces gestes qui existent mais qui ne sont pas soulignés comme lorsque Gil/Fonda essuie brièvement ses bottes en entrant dans la maison de Mme McKlennar). Le film repose également sur le magnifique couple que forment Claudette Colbert et Henry Fonda, si dissemblables et si complémentaires dans leur jeu que leur amour éclate tout de suite et reste émouvant, poignant, vrai, tout du long.