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40s

  • Le Grand Noceur (Luis Buñuel, 1949)

    *

    Comédie morale docilement réalisée, pour un résultat "sans intérêt" tranchera plus tard Buñuel. Il est vrai qu'il s'agit de l'un de ses films les plus faibles, même si, comme d'habitude avec son cinéma, on peut aussi le lire "en creux" et extrapoler autour de ce qu'il ne dit pas, ici d'autant plus que l'intrigue repose sur un renversement temporaire des valeurs. Un milliardaire, déboussolé par le veuvage, dirige ses affaires de façon légère, préférant s'enivrer et festoyer. L'ensemble de sa famille vit à ses crochets. Après le scandale éthylique de trop, ses proches s'organisent pour lui jouer une comédie destinée à produire un choc : profitant de son état comateux, ils s'installent dans un quartier pauvre et lui font croire que ses frasques ont provoqué la faillite. Mais il découvre la supercherie et décide à son tour de leur donner une bonne leçon. Le film est prisonnier de son origine théâtrale et finit par s'épuiser dans les retournements de situation mécaniques. Forçant les grands bourgeois à travailler de leurs mains, la satire est plaisante mais superficielle. La véritable confrontation des classes est atténuée, à un ou deux reproches près lancés par le personnage du jeune prolétaire, le plus intéressant du lot. Lors de trois séquences seulement, Buñuel retrouve la liberté, celle des rues de Mexico, celle des gestes, celle de l'expérimentation. D'abord avec une tentative de suicide depuis le toit d'un immeuble, où, comme toujours chez lui, y compris dans un cadre commercial comme celui-ci, la mise en scène parvient à nous faire réellement craindre le pire. Ensuite avec une jolie scène de romance dans une voiture équipée d'un micro et d'un haut-parleur pour les annonces, tendre échange prolongé et partagé par inadvertance avec tout le quartier. Le même appareil servira également au final à parasiter, depuis la rue, le discours du prêtre et à empêcher le mariage redouté.

  • Monsieur Verdoux (Charles Chaplin, 1947)

    ****

    Parmi les choses que l'on redécouvre, il y a le génie rythmique, corps et voix, rendu plus évident encore par la frontalité théâtrale de la mise en scène. Et puis il y a tous les regards, dont le nombre très élevé étonne, lancés par Chaplin à la caméra et donc au spectateur. Convention comique, qui met dans la poche, sauf qu'elle entraîne ici à se délecter de mensonges, et souvent dans le dos des autres personnages. Ce lien exclusif et constant, c'est aussi l'affirmation qu'il s'agit du film de Verdoux-Chaplin et de personne d'autre. Enfin, ce sont peut-être des regards qui réclament un soutien, qui demandent au spectateur de suivre aussi loin que possible, dans cette œuvre de rupture totale où nous éliminons des dames "avec" Verdoux (malgré les hors-champs), où même les scènes sentimentales sont détournées (la jeune femme "cobaye") ou non prolongées (l'épouse et l'enfant que l'on ne reverra jamais), et où se trouve acté l'échec du film précédent à avoir sauvé le monde de la catastrophe.

  • Gran Casino (Luis Buñuel, 1947)

    *

    Buñuel arrive au Mexique et débute par cette commande avec deux vedettes du music-hall, une histoire de vengeance et d'amour dénonçant au final l'avidité d'un trust pétrolier (géré par un Allemand dont il n'est question que dans les dix dernières minutes). Le film est clairement commercial, mélangeant les genres populaires au fil d'un scénario pas toujours très solide et oubliant vite sa base sociale. Son rythme est considérablement ralenti par des chansons déroulées en intégralité. Reine du tango argentin, Libertad Lamarque s'investit franchement tandis que Jorge Negrete semble au contraire faire peu d'efforts pour chanter ses airs mexicains. Deux d'entre eux, cependant, sont bien amenés : le premier recouvre le bruit de la lime nécessaire à une évasion de prison et, plus tard, un autre est consécutif à un encerclement du héros qui, ainsi menacé, se réfugie sur scène. Coincée en studio même pour représenter un chantier, la mise en scène est tout à fait correcte mais ne s'autorise aucun écart hormis deux brefs plans sur une flaque de goudron en pleine discussion amoureuse. C'est le seul instant que l'on puisse qualifier d'insolite. Il y a bien un plan de jambe dénudée mais, placé en ouverture d'un numéro, il relève clairement de la convention du spectacle musical, comme l'échange d'identité entre l'héroïne et son amie n'est qu'une astuce scénaristique. Ailleurs repoussée (deux meurtres importants se succèdent sans être représentés), la violence ne surgit elle aussi qu'un instant lorsque Negrete se saisit d'une lourde statuette et assomme avec une grande brutalité l'un des sbires cachés derrière un rideau. Ici, le fait de ne pas voir la victime décuple la force des coups. Le film n'est absolument pas indigne mais la moisson reste très modeste.

  • Noblesse oblige (Robert Hamer, 1949)

    ****
     
    Bien aimé il y a longtemps, c'est en fait, sans doute, le chef d'œuvre du genre. Le coup de génie de Hamer a été d'utiliser la même tactique que son héros : n'être en surface que tact et délicatesse pour mieux faire exploser par en-dessous une incroyable charge. L'ironie du film est constante et dévastatrice. Tous les us et coutumes de la noblesse y passent (cérémonies, loisirs, repas, affaires), tous les lieux où son pouvoir est assuré sont comme profanés mais presque sans y toucher. Jusqu'au procès final à la Chambre des Lords. Cette séquence ne ralentit pas le film, comme on pourrait le craindre, pour cette raison (l'ajout d'un territoire signifiant) et parce qu'elle enrichit encore le récit, sous-tendue qu'elle est par un nouveau stratagème insoupçonné. C'est d'ailleurs le rythme de la totalité qui est infaillible. Non pas qu'il soit invariable. La succession des meurtres n'a par exemple rien de mécanique, tous ne mobilisant pas les mêmes efforts, et les intrigues amoureuses leur étant remarquablement rattachés. Par ailleurs, si le film est resté célèbre pour la performance multiple d'Alec Guinness, celle-ci n'en est qu'une des richesses, jamais envahissante, extrêmement bien diluée dans la coulée. Joan Greenwood, Valerie Hobson et Dennis Price méritent autant d'éloges, le dernier participant à rendre le personnage principal fascinant. Sa confession en voix off recouvre l'ensemble du film. On la prend d'abord pour une facilité avant de comprendre qu'elle est indispensable à l'entière réussite. C'est elle qui rend particulièrement sensible l'ironie, en donnant à la fois le point de vue (donc l'adhésion) et la distance. Tous ces éléments sont merveilleusement imbriqués et puisque, dans les interstices, un souffle d'humanité persiste (le désir partagé - "immoral" lui aussi mais "vrai" - entre l'homme et chacune des deux femmes), le déploiement de tant de méchancetés est accepté avec grand plaisir.

  • Le Passage du canyon (Jacques Tourneur, 1946)

    ***
     
    Quand, dès l'une des premières scènes, dans un court plan en pied, on remarque par hasard, sans désignation par la caméra, que l'homme que l'on retrouve dans le couloir de l'hôtel après l'avoir vu traverser la rue boueuse a effectivement les bottes sales, on sait déjà que le film va être bon. Tavernier en bonus DVD, comme Lourcelles dans son dico, le désigne comme le premier western moderne. On comprend pourquoi. Dans la verticale du 1:33 se dressent les montagnes et les arbres de l'Oregon, et se pressent d'innombrables personnages. La multiplicité et la fluidité des passages de l'un à l'autre créent le fort sentiment de communauté, tandis que les délaissements assez fréquents du héros Dana Andrews montrent bien que la vie s'étend au-delà. Héros, d'ailleurs, c'est vite dit, car personne là dedans n'est vraiment sans reproche et tout le monde semble se tenir sous la menace de quelque chose (pas seulement des Indiens, qui subissent clairement l'accaparement des terres et dont l'attaque dévastatrice est déclenchée par un salaud de Blanc). Les pionniers se débattent comme ils peuvent, au milieu des éléments, avec leurs démons, leurs sentiments ambivalents et le cadeau empoisonné de l'or. Les événements dramatiques, au final, arrangeront bien les choses de l'amour mais cela ne fait pas oublier que des rapports particulièrement complexes ont été établis précédemment entre ces hommes et ces femmes (et de longue date, tout le monde se connaît déjà, dès le début). Et le tout en couleurs, subtilement cohérentes (les habits de chacun semblent s'accorder soit au décor, soit à leur tempérament) ou soudain très visibles, comme le rouge (le plan presque gore sur le crâne ensanglanté de Ward Bond lors de la bagarre de saloon est comme l'annonce de son triste destin : être scalpé).

  • Le Journal d'une femme de chambre (Jean Renoir, 1946)

    ***
     
    Les effets de l'inévitable édulcoration sont atténués par la persistance d'une grande originalité, de caractère et de comportement, chez tous les personnages, qu'ils soient loufoques ou tragiques. Quand à la condensation, elle donne loisir à Renoir de laisser exploser sa vitalité. Souvent, on a l'impression de regarder une "Règle du jeu" de poche, mais avec une violence physique accentuée, surprenante, dans le dernier mouvement. Plus généralement, chaque geste surprend par sa vérité : un coup, un sursaut, un rire, une maladresse, rien n'est jamais prévisible, annoncé. Ça s'élargit évidemment aux sentiments, très changeants. Toute l'interprétation est remarquable, Paulette Goddard en tête, qui rend très bien cette versatilité, certes beaucoup plus positive et légère que les tiraillements de la Célestine de Mirbeau.

  • La Maison de Frankenstein (Erle C. Kenton, 1944)

    °
     
    Je ne retiens que cinq minutes de fascination vampirique en jeux d'ombres et de lumière (John Carradine et Anne Gwynne) d'un film de série correctement réalisé mais pas très bien interprété (Boris Karloff et Lon Chaney Jr. en haut de l'affiche) et surtout au scénario abracadabrantesque. Un savant, adepte des théories de Frankenstein et ayant pour serviteur un bossu, redonne vie à Dracula (mais celui-ci est vite grillé au soleil). Il rencontre ensuite une bohémienne, le loup-garou et le monstre de son idole. A la fin, tout le monde s'entre-tue. J'avais récupéré ça après avoir lu l'historique "Premier Plan - Frankenstein" de JP Bouyxou qui le présente comme un grand film surréaliste mais c'est un peu too much pour moi.

  • Manon (Henri-Georges Clouzot, 1949)

    **
     
    Découverte de ce drôle de film pour lequel Clouzot passe hardiment de genre en genre : guerre, comédie de mœurs, drame romantique, crime, pour finir en western et en quasi-film surréaliste d'amour fou. On ne sait pas sur quel pied danser, d'autant que ce personnage de Manon est pathologiquement changeant et que cela provoque constamment des envolées, des éclats et des cassures à l'intérieur même des séquences. Heureusement, dans le monde noir de Clouzot, ces façons tranchantes de faire (et d'être) provoquent une belle somme de contradictions plutôt que des effets manichéens.

  • Les Quatre Filles du docteur March

    Les Seize Filles du docteur March :
    Le George Cukor (1933) ** se déséquilibre volontairement vers le personnage de Jo, avec Katharine Hepburn qui prend toute la place, qui ne se résout pas à jouer sagement comme les trois autres et qui prend en charge l'énergie du film, se voyant même parfois explicitement isolée dans le cadre par la mise en scène.
    Le Mervyn LeRoy (1949) * n'apporte pas grand chose sinon la couleur et les modulations plutôt homogènes de ses interprètes (June Allison, Janet Leigh, Liz Taylor...) mais croule sous les violons et le sentimentalisme.
    Le Gillian Armstrong (1994) *, pour approfondir les psychologies, aborder plus franchement les dimensions sociales et rendre immédiatement lisibles les émotions, privilégie beaucoup trop les plans rapprochés conventionnels au détriment des forces extérieures qui auraient pu animer les figures secondaires et les différents espaces, ce qui le rend bavard au centre et décoratif dans ses à-côtés.
    Le Greta Gerwig (2019) **, par la mobilité de la caméra et par l'énergie de groupe bien répartie, propose une série d'impulsions régénératrices et ce qui aurait pu apparaître comme une simple astuce un peu vaine, le bouleversement de la chronologie, assure lui aussi, finalement, un plaisant dynamisme.

  • L'Ange ivre (Akira Kurosawa, 1948)

    ***

    Dans "L'Ange ivre", les contre-plongées en extérieur, c'est le point de vue du cloaque, ce qui permet quand même, de temps en temps, de voir un coin de ciel. En intérieur, les angles choisis, jamais neutres, donnent à sentir le poids des décors et des objets. La mise en scène hyper-expressive de Kurosawa étonne toujours parce que son dynamisme ne vient pas seulement de ces choix visuels forts mais aussi de la vérité des gestes et des humeurs, de leur imprévisibilité, ainsi que des mouvements continus entre des pôles opposés (entre les personnages, entre les genres), le tout déroulé avec fluidité, notamment grâce à l'usage très moderne de la musique, le plus souvent diégétique.