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kurosawa

  • L'Ange ivre (Akira Kurosawa, 1948)

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    Dans "L'Ange ivre", les contre-plongées en extérieur, c'est le point de vue du cloaque, ce qui permet quand même, de temps en temps, de voir un coin de ciel. En intérieur, les angles choisis, jamais neutres, donnent à sentir le poids des décors et des objets. La mise en scène hyper-expressive de Kurosawa étonne toujours parce que son dynamisme ne vient pas seulement de ces choix visuels forts mais aussi de la vérité des gestes et des humeurs, de leur imprévisibilité, ainsi que des mouvements continus entre des pôles opposés (entre les personnages, entre les genres), le tout déroulé avec fluidité, notamment grâce à l'usage très moderne de la musique, le plus souvent diégétique.

  • Un merveilleux dimanche (Akira Kurosawa, 1947)

    Un couple désargenté traverse Tokyo meurtri par la guerre. En 1947, Akira Kurosawa, qui n’a pas encore les coudées franches, tente la téméraire transformation d’une chronique sociale en poème humaniste poignant, au risque de détourner le regard de la réalité.

    Inspiré à son auteur par Isn’t Life Wonderful, un D.W. Griffith de 1924, le sixième long-métrage d’Akira Kurosawa est un film de reconstruction traitant de la crise du logement et de l’emploi dans un Tokyo en grande partie en ruines. Découpé en larges blocs pour décrire une journée entière, Un merveilleux dimanche propose d’abord une peinture réaliste dont la potentielle rudesse rossellinienne est tempérée par des éclaircies de comédie. L’état peu enviable de la société japonaise est montré à travers les yeux d’un couple devant compter son temps passé ensemble et son argent au yen près. Dès le début, Kurosawa insiste sur les caractères opposés de l’homme et de la femme pour finir par adhérer totalement à la vision de celle-ci. En effet, à partir d’une longue scène-pivot placée en son centre, il tord entièrement son récit dans le sens féminin d’un optimisme et d’un romantisme indéfectibles. Audacieusement, il ne garde plus que la force des éléments (pluie et vent, qui lui sont chers, sont déjà convoqués) et du noble sentiment amoureux pour reléguer le réel en vague toile de fond, alors qu’il était jusque-là prégnant, installé avec quantités de détails signifiants. Le film devient ainsi de plus en plus onirique. Pris à contre-pied à mi-chemin et entraîné là où il ne s’attendait pas à l’être au sein d’une chronique sociale, le spectateur peut alors réagir de deux façons : soit il s’abandonne au rêve humaniste et à l’émotion véhiculée par les larmes de l’héroïne, soit il se braque devant la pruderie observée, l’évasion satisfaite dans la rêverie et la résignation souriante face au destin.

    (Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2018)

  • Le Plus Dignement (Akira Kurosawa, 1944)

    En 1944, le jeune Akira Kurosawa participe à l’effort de guerre nippon en dirigeant Le Plus Dignement, fiction de propagande à la gloire des femmes ouvrières. Si cet inédit patriotique retient l’attention, c’est pour son réalisme et sa mise en scène déjà sûre.

    “Sélectionné par le Service d’information du gouvernement”, Le Plus Dignement est le deuxième film réalisé par Akira Kurosawa. Ce n’est pas une œuvre belliqueuse montrant les horreurs de la guerre mais un film social destiné à remonter le moral du public japonais et à encourager ses efforts. Son originalité est de s’intéresser au travail féminin, par la description d’une équipe d’ouvrières acharnées. Loin des décors de studio, la caméra enregistre les gestes dans une véritable usine comme les défilés dans les rues de la ville, et Kurosawa prend plaisir à cadrer les groupes compacts, les rassemblements enthousiastes et chantants. Bien sûr, les nécessités de la propagande limitent infailliblement la portée du film. Les notations sur les à-côtés et le rapport à l’extérieur ne sont pas développés comme semblerait pouvoir le faire le cinéaste. Les chefs sont toujours bienveillants et chaque ouvrière prête à tous les sacrifices, y compris familiaux. Les malentendus sont surmontés dans des larmes de repentir. Surtout, la dramaturgie se rabat constamment sur le seul enjeu de la hausse de la production de l’usine, courbe à l’appui. Paradoxalement, dans cet univers contraignant, c’est finalement l’accession à une plus grande sensibilité du cœur qui est louée. L’intérêt est maintenu par la qualité de la réalisation, parfois très inventive dans les variations d’échelle, du gros plan sur l’individu au plan d’ensemble sur le groupe soudé. À 34 ans, Kurosawa, déjà, faisait preuve d’une technique sans faille et savait mener dynamiquement un récit, même soumis aux impératifs de la propagande en temps de conflit mondial.

    (Texte paru dans L'Annuel du Cinéma 2018)

  • 7 contre 7

    Il y a entre Les Sept Samouraïs et Les Sept Mercenaires un océan, une culture et six ans d'écart. Il y a aussi, entre le jidai-geki d'Akira Kurosawa et le western de John Sturges, l'espace qui sépare un chef d'œuvre du cinéma d'aventures historiques et un honnête film populaire. Sur l'écran, les samouraïs s'activent une bonne heure de plus que les mercenaires. Cette différence de durée est-elle la conséquence logique de l'opposition entre contemplation orientale et concision hollywoodienne ? Assurément non, le rythme étant aussi rapide d'un côté que de l'autre. Le défaut du film américain, plus visible encore lorsqu'il est placé juste à côté de son modèle, est de rendre au spectateur les choses, les actions, les caractères et les décisions trop évidentes. Il suffit à Kurosawa d'un trait lorsque Sturges s'acharne à nous faire tout le dessin.

    Si l'on peut qualifier le premier film de grande fresque historique, c'est que la matière y est d'une richesse incroyable. Mais celle-ci nous est offerte avec une vigueur et une simplicité éblouissantes. Et cela tout le long du film. Prenons par exemple, à la fin, l'expression du choix du plus jeune du groupe (Katsushiro le samouraï ou Chico le mercenaire), pris entre son désir de poursuivre sa route avec les deux autres survivants et celui de rester au village auprès de la paysanne qu'il aime. Kurosawa fait se succéder quelques plans emplis de dignité, laisse sortir son jeune personnage du cadre dans lequel reste ses deux amis, le reprend un peu plus loin, droit, observant la jeune femme, et s'arrête là. La mise en scène est claire sans être insistante. Sturges, lui, ne signale pas esthétiquement la séparation et, accompagnant Chico jusqu'à sa bien aimée, le montrant en train de se retrousser les manches et de détacher son ceinturon, joue uniquement sur la corde émotionnelle.

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    Chez Kurosawa : une vivacité du trait qui n'empêche jamais la préservation de zones de flou. Chez Sturges : la tentation de l'efficacité qui entraîne plus d'une fois vers la facilité dramaturgique. On peut également évoquer la différence d'approche du monde des paysans. Dans le western, la méfiance que peuvent inspirer ces derniers est essentiellement nourrie par des retournements de situation, comme lorsque quelques pleutres font entrer le tyran Calvera dans le village en l'absence provisoire des mercenaires. Kurosawa, de son côté, ne cherche pas à trancher de manière aussi simpliste mais préfère avancer dans sa description par notations successives. L'évolution du rapport de confiance entre les victimes et leurs défenseurs se fait par petites découvertes mettant la volonté d'engagement de ces derniers à l'épreuve : vieilles armures de samouraïs tués, nourriture et saké la veille du combat décisif...

    Le cinéaste japonais s'intéresse-t-il moins à ces paysans ? Sans doute. Mais la caractérisation peu poussée, en regard de celle qui à cours dans le Sturges, peut être aussi considérée comme une moins grande concession au goût du public. On trouve en effet moins de rires d'enfants (le rapport entre ceux-ci et Kikuchiyo/Mifune est beaucoup moins développé dramatiquement que celui concernant Bernardo/Bronson) et moins de héros révélés. Dans Les Sept Samouraïs, les combats ressemblent souvent à des mêlées et, vu sous cet angle, le film se révèle déjà moins individualiste (sans même que l'on s'étende sur le discours autour de la solidarité en temps de guerre proféré par Kambei ou sur la réalisation de l'étendard représentant les sept samouraïs au-dessus du village). La grande violence qui se dégage de ces séquences, accentuée bien sûr par le déchaînement des éléments et l'utilisation des lances et des sabres, est aussi celle de la lutte d'un corps social tout entier contre chaque bandit piégé. Si certains personnages de ce corps prennent plus d'épaisseur que d'autres, ils ne s'en détachent pas par un basculement arbitraire qui les ferait passer du retrait prudent à l'héroïsme guerrier. L'extrême violence dont fait preuve le jeune paysan Rikichi au fil de la bataille est contenue déjà dans la blessure béante causée par la perte de sa femme, dans la nervosité dont il fait preuve à chaque question innocente posée à ce sujet. L'affrontement est une catharsis et les plans que le cinéaste consacre à son regard halluciné, s'ils ne vont pas jusqu'à condamner cette violence, traduisent au moins l'effroi qu'elle suscite.

    Mais repassons par la dernière séquence évoquée plus haut. La sortie du cadre de Katsushiro laissait deviner un choix sans avoir à l'illustrer. Cette sortie signale aussi une recherche visuelle, impose un sens plastique. De fait, Les Sept Samouraïs est un festival de formes et de figures qui rend bien pâle l'effort westernien qui le suit. On en retient notamment l'opposition entre le haut et le bas (bandits et samouraïs viennent du sommet de la colline et surplombent le village dans sa cuvette, les tombes des sauveurs sont sur un monticule...), les images que rayent les trombes d'eau tombant du ciel comme les lances et les flèches s'abattant sur les hommes, l'omniprésence, lors du dernier affrontement, d'une boue qui ne permet plus de différencier les combattants et qui ramène, en quelque sorte, les samouraïs à la terre des paysans (en ce sens, effectivement, comme l'assène le chef, ce sont bien ces derniers qui ont gagné). Kurosawa excelle par ailleurs dans sa gestion du terrain, sa caméra embrassant le décor pour mieux relayer l'importance de la notion d'espace et aider à saisir la stratégie de défense de ses personnages, comme dans celle de la météorologie. A ce propos, il convient de rappeler que le film n'est, sur sa durée, pas si pluvieux que cela et qu'il est même assez souvent ensoleillé. Ceci est clairement un prolongement du travail de modulation des émotions effectué par le cinéaste au sein même des séquences. L'humeur y est changeante et le mélange le plus explosif est tout entier concentré dans le personnage endossé par un Toshiro Mifune semblant jouer au-delà de toute contrainte, en liberté absolue. Il faut bien l'ampleur et l'aisance des cadrages de Kurosawa pour capter toute l'énergie de cet homme en fusion, ce caractère éruptif.

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    Chez les samouraïs, la mort frappe comme la foudre, sans discernement moral, au hasard (l'un des sept disparaît bien avant le combat final). Elle n'est donnée par personne en particulier, les bandits étant chez Kurosawa encore moins caractérisés que les paysans. Elle signale bien, cependant, la fin d'une époque (ce que l'on ressentait déjà lors du recrutement, en voyant ces samouraïs réduits à s'engager pour de si modestes causes) puisque elle est à chaque fois, pour les vaillants sabreurs, donnée par balles. Le film japonais apparaît donc beaucoup plus sombre et dur que son homologue trans-Pacifique. Il privilégie l'éclair tragique plutôt que le coup de force dramatique. Kurosawa saisit le spectateur avec la révélation du sort réservé à la femme de Rikichi quand Sturges distille à peine quelques sensations liées au danger. De même, il étudie les rapports sociaux avec beaucoup plus d'attention, traçant des frontières impossibles à franchir sans une grande douleur, et, n'en restant nullement à une chaste amourette comme le fera Hollywood, évoque une véritable passion sexuelle butant sur la rigidité de la société.

    Après tout cela, que reste-t-il aux Mercenaires ? Une histoire prenante, une musique entêtante, une certaine force iconique (mais tenant bien plus au métier et au casting qu'à l'inspiration, assez faible, de Sturges).

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  • C'était mieux avant... (Septembre 1985)

    L'été passé, et notre emploi du temps n'allant pas en s'allégeant, il s'agissait de prendre une décision quant à la continuation de notre série mensuelle. Après mûre réflexion, devant la masse de courriers inquiets émanant de lecteurs fanatiques, nous avons décidé de ne pas saborder cette rubrique qui, en deux ans seulement, est devenue incontournable dans la blogosphère cinéphile internationale et de nous engager dans une Saison 3. Ainsi soulagés, nous pouvons tranquillement nous poser la question rituelle : Mais, Diable, que trouvions-nous donc dans les salles françaises en Septembre 1985 ?

    recherchesusan.jpgUne ligne de force inattendue se dégage de ce mois-ci : la célébration des noces du cinéma et de la musique pop-rock. Mad Max, au-delà du dôme du tonnerre, troisième volet de la saga de George Miller créait l'événement. Mel Gibson en partageait l'affiche avec la tigresse soul Tina Turner. Le film fut, dans notre souvenir, reçu de manière assez tranchée, les uns affichant une déception tenant à la débauche spectaculaire et à l'humanisme messianique dont l'auteur chargeait son personnage principal, les autres saluant l'originalité de sa vision et son dépassement formel. Du haut de nos 13 ans et quelques, nous nous étions ralliés alors au deuxième groupe. Y resterions-nous aujourd'hui ?

    En 85, le chanteur Sting, ayant déjà trouvé le groupe Police trop contraignant à l'endroit de son ego démesuré, misait autant sur la musique en solo que sur le cinéma. Dans La promise de Frank Roddam, il endossait les habits du Baron Frankenstein pour une variation romantique du mythe (en compagnie, charmante, de Jennifer Beals). Ai-je vu ce film ? Plus aucune idée... Plus fraîchement starisée (Like a virgin, 1984), Madonna jouait de façon plus modeste mais avec finalement un retentissement plus grand devant la caméra de Susan Seidelman pour la comédie urbaine Recherche Susan désespérément. Faute de l'avoir revu depuis, nous qualifierons prudemment le film d'agréablement mode et retiendrons surtout qu'il révéla une actrice particulièrement attachante, Rosanna Arquette (en attendant sa sœur...).

    breakfastclub.jpgIl n'est pas jusqu'à James Bond qui n'ait succombé à cette vague. Dangereusement vôtre de John Glen, avec un Roger Moore dangereusement vieillissant (ce serait son dernier effort dans le costume de 007), bénéficiait non seulement d'un titre, bientôt hit mondial (A view to a kill), signé des garçons coiffeurs de Duran Duran, mais aussi de la présence singulière de Grace Jones en bras droit du méchant Christopher Walken. Plus sincèrement et plus profondément lié à la culture musicale contemporaine, porté également par un succès discographique renversant (qui m'est devenu aujourd'hui, pour de multiples raisons, quasiment inécoutable), (Don't you) Forget about me de Simple Minds, Breakfast Club de John Hughes a marqué durablement de nombreux cinéphiles de ma génération (bien qu'assez "secrètement", la plupart d'entre nous, et moi le premier, hésitant à jeter à nouveau un œil sur cette histoire de lycéens astreints à une journée de "colle" dans leur établissement désert).

    Pour évoquer les rapports entre pop-rock et cinéma, nous nous arrêterons-là et nous garderons bien de gonfler ce corpus de films en y ajoutant P.R.O.F.S. de Patrick Schulmann au prétexte qu'il met en vedette Patrick Bruel. Si cette suite de sketchs en milieu scolaire n'est peut-être finalement pas si indigne que cela, la carrière musicale de son interprète principal l'est en tous points. Tant que nous sommes au rayon rigolade, passons sans regret sur Double zéro de conduite (italien, de Giuliano Carnimeo) et sur Le gaffeur (de Serge Pénard, avec Jean Lefebvre), mais rappelons le surprenant et historique succès public obtenu par Coline Serreau avec son aimable comédie sociologique Trois hommes et un couffin.

    police.jpgDeux grands auteurs étaient au rendez-vous de septembre : Maurice Pialat et Akira Kurosawa. Si nous reconnaissons que Police et Ran tiennent la dragée haute à presque tous les autres films de ce mois-là, nous avouons qu'ils ne font ni l'un ni l'autre partie de nos opus préférés au sein des belles filmographies des deux cinéastes. Venant après les superbes A nos amours et Kagemusha, et malgré leurs beautés respectives, ils peinent légèrement, selon nous, à réussir le grand écart entre un univers singulier et un genre bien défini (le polar) pour le Français et à faire oublier plusieurs longueurs (sur 2h45) et un hiératisme un peu pesant pour le Japonais. A l'inverse, Louis Malle en réalisant Alamo Bay effectuait sans doute son meilleur travail aux Etats-Unis. Très solidement charpenté, son film traitait avec une certaine force du racisme  anti-vietnamien gangrénant une petite communauté de pêcheurs américains (emmenés par Ed Harris).

    Dans cette liste mensuelle, d'autres œuvres sont certainement à découvrir : Dance with a stranger de Mike Newell, drame britannique de bonne réputation, situé dans les années 50 ; Dust de Marion Hänsel avec Jane Birkin et Trevor Howard ; Mystère Alexina de René Féret ; Notre mariage, mélodrame forcément distancié puisque signé par Valéria Sarmiento, épouse et collaboratrice de Raoul Ruiz ; Le pouvoir du mal réflexion philosophique de Krzysztof Zanussi ; Orinoko, essai poétique et historique du vénézuélien Diego Risquez. Avec plus de précautions, nous avançons les titres des films de Gérard Vergez (Bras de fer, Giraudeau et Malavoy bataillent sous l'Occupation), de Tobe Hooper (Life force, mélange d'horreur et de SF qui ne semble guère prisé, y compris par les connaisseurs), de Paul Morrissey (Le neveu de Beethoven, biopic franco-allemand), de James Bridges (Perfect, mêlant journalisme et aerobic, avec John Travolta et Jamie Lee Curtis), de Jeff Kanew (Touché, film d'espionnage) et de Yaky Yosha (Le vautour, drame israélien). Et ce n'est que poussé par notre volonté d'exhaustivité que nous mentionnons Les guerriers de la jungle (Ernst Ritter von Theumer), Les huit guerriers de Shaolin (Chou Ming), L'implacable défi (Bruce Le), Ninja III (Sam Firtsbenberg), Les 36 poings vengeurs de Shaolin (Chen Chih Hua), La femme pervertie (Joe D'Amato) ou Les confidences pornographiques de Lady Winter (de José Benazeraf avec Olinka, également à l'affiche de Je t'offre mon corps de Michel Leblanc).

    Enfin, n'oublions pas L'homme au chapeau de soie, remarquable film de montage réalisé par Maud Linder en hommage à son père Max, figure aujourd'hui malheureusement bien oubliée du burlesque "primitif".

    premiere102.jpgDans les kiosques, du côté des mensuels (Cinéma devenant, pour quelques temps, hebdomadaire), les couvertures se faisaient sur le film de Pialat (Cahiers du Cinéma (375), Cinématographe (113)), celui de Miller (Starfix (28), L'Ecran Fantastique (60), Premiere (102), qui publia par ailleurs un numéro en août avec Alain Delon en vedette (101)), et celui de Roddam (enfin, surtout pour afficher Sting, comme le fit L'Ecran Fantastique pendant l'été (59) et parler du genre, comme La Revue du Cinéma (408)). A Positif (295), on attendait impatiemment la sortie du Ginger et Fred de Federico Fellini (prévue alors seulement pour janvier 86) et chez Jeune Cinéma (169) on célébrait le cinéma indien.

    Voilà pour septembre 1985. La suite le mois prochain...

  • Tokyo sonata

    (Kiyoshi Kurosawa / Japon / 2008)

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    tokyosonata.jpgAprès dix ans de rendez-vous manqués, je rencontre enfin Kiyoshi Kurosawa. Il me plaît.

    La singulière réussite de Tokyo sonata tient tout d'abord à son imprévisibilité. Le thème abordé (le délitement d'une cellule familiale) n'a pourtant rien de novateur et l'argument moteur (le licenciement du père, qui n'en dit mot à personne) a déjà été utilisé ailleurs. Au départ, chacun se trouve dans la position attendue : le père stressé par son travail, la mère discrète au foyer, l'ado toujours absent de la maison et le petit dernier sensible et doué. Les subterfuges du chef de famille et l'organisation de ses journées, entre recherche d'emploi humiliante et soupe populaire, tracent la voie principale du récit, qui frappe assez vite par ses constantes ruptures de ton. Kurosawa ayant souvent oeuvré dans le genre du fantastique, il excelle à faire naître l'étrange par petites touches esthétiques (la lumière projetée par un téléviseur, le bruits des trains) et il nous entraîne, dans les pas de son héros malheureux, à la découverte d'un monde insoupçonné et absurde, là où derrière un groupe de cadres supérieurs cravatés et pendus à leur mobile peut se cacher une armée de l'ombre de chômeurs au bord du gouffre.

    A ce premier point de vue, le film en ajoute deux autres : celui du fils aîné qui, lassé des petits boulots ne menant nulle part, décide de s'engager dans l'armée américaine et celui du plus jeune qui prend des cours de piano en cachette. Ces développements narratifs parallèles pourraient être unifiés par une mise en scène chorale et unanimiste privilégiant la fluidité des transitions. Or, ces histoires (toutes secrètes) sont étanches. En effet, Kiyoshi Kurosawa use d'ellipses et de raccords brutaux, heurtant ses séquences. La coupe, c'est un mur. Tout est séparation.

    Tokyo sonata est un précis de dynamique, soit l'étude des forces et des mouvements qu'elles provoquent. A ce stade du récit, l'édifice familial ne semble tenir que par la présence en arrière-plan de la mère. Celle-ci n'a pas encore eu droit à son histoire à elle (ça viendra). Elle se contente de faire le lien. Mais la pression est trop forte et le foyer doit exploser. Une série de crises familiales éclate donc et les déflagrations successives affolent les trajectoires : trois fuites opposées, trois courses effrénées en résultent (la quatrième, celle du fils aîné, se fait hors-champ). Le sentiment de liberté que procure cette prise de vitesse soudaine est toutefois de courte durée. Finalement, la plus grande douleur ne vient pas de l'explosion elle-même, mais de son souffle, projetant les personnages trop violemment. Il leur faudra reprendre tous leurs esprits pour repartir à zéro, après avoir, en quelque sorte, ressuscité.

    Dans le dernier tiers du film, Kurosawa ne cesse donc de tordre son récit. Comme il nous a habitué au fur et à mesure à cette avancée chaotique, il peut tout se permettre et laisser flotter d'admirables moments de cinéma (l'accompagnement par la caméra de la fuite en voiture, la révélation sur la plage au petit matin). Il peut surtout, au final, faire converger toutes les lignes qu'il a tracé, à l'occasion de l'un des plus beaux dénouements qu'il nous ait été donné de voir depuis longtemps. La musique, si parcimonieusement mais si remarquablement utilisée jusque là, envahit alors l'espace et les différentes histoires ne font plus qu'une, enfin.