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50s

  • Los Olvidados (Luis Buñuel, 1950)

    ***
    Le plus dur et le plus direct des Buñuel. L'absence de concession dans la représentation réaliste d'un quotidien violent rend le film toujours aussi impressionnant, ne permettant pas d'attendrissement réconfortant. Sa seule "faiblesse" est la hauteur morale octroyée au directeur de la ferme-école, même si son stratagème bienveillant (laisser sortir Pedro avec de l'argent) a une conséquence fatale à la Oliver Twist. Dans la description de cet établissement de rééducation, la vision provisoirement plus optimiste des choses relaie sans doute l'appel lancé en ouverture du film aux forces progressistes. Quoi qu'il en soit, l'après est plus terrible encore que l'avant, avec le cercle de morts du dénouement (et par la suite l'histoire de l'humanité n'a pas vraiment pris la bonne voie). Les chances laissées à ces gamins par la société sont infimes, poussés au crime et mis en danger dès qu'ils tombent sur plus fort qu'eux : la petite Meche qui finit toujours par être agressée, Pedro accosté par un vieux saligaud de bourgeois dans la rue. Cette dernière scène est vue de l'intérieur d'une vitrine de magasin, le son des dialogues inaudible. Même en voulant établir un constat clair, Buñuel expérimente, ce qui décuple la puissance de son film. Dans ce contexte, la séquence du rêve, par exemple, pourrait paraître déplacée mais il n' en est rien. D'une part parce qu'elle enrichit la connaissance du personnage, d'autre part parce que son étrangeté est préparée par petites touches en amont (particulièrement à travers le bestiaire mobilisé : la poule qui apparaît brusquement face à l'aveugle mis à terre). Et même dans cet univers-là circule ce désir chauffé à blanc, lors de la plus que troublante ronde de séduction entre El Jaibo (Roberto Cobo qui sera, je l'avais oublié, dans "Ce lieu sans limite" de Ripstein) et la mère de Pedro (Estela Inda, encore un de ces éclats féminins chez Buñuel).

  • L'Homme au complet blanc (Alexander Mackendrick, 1951)

    ***
     
    Très bonne comédie sociale, précisément sur le monde de l'entreprise, développant une réflexion intéressante sur une invention (un tissu inaltérable) et ses possibles conséquences en termes d'emploi et d'équilibre économique. A partir d'un sujet pas forcément engageant sur le papier, Mackendrick réalise de manière très sûre, dynamique, avec des rythmes variés, des idées visuelles (les portes et les systèmes de cache) et sonores (la petite musique faite par les fluides dans les tubes à essai semble annoncer le travail de Tati autour de ses bruitages de matériaux). Les personnages ne sont jamais unidimensionnels, pas même le principal, pourtant obsessionnel, brillamment interprété par Alec Guinness.

  • De l'or en barres (Charles Crichton, 1951)

    **

    Comédie Ealing sympathique, notamment parce que ses personnages le sont. C'est un exemple assez rare, me semble-t-il, de gang constitué de façon fortuite mais dont les quatre membres se révèlent aussitôt, entre eux, confiants et loyaux, les deux principaux (Alec Guinness et Stanley Holloway) créant une solide amitié. Dommage d'ailleurs que dans la dernière partie, leurs rapports ne soient pas plus creusés. A la place, est menée une course-poursuite au déclenchement (depuis Paris) et aux relances un peu artificiels. On y trouve cependant quelques débordements burlesques plutôt inattendus. La conclusion de ce film bref est un twist amusant : l'homme écoutant le récit-flashback de Guinness n'était pas un aimable convive comme on le croyait à l'introduction mais un policier le tenant par des menottes.

  • La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (Luis Buñuel, 1955)

    ***

    L'esprit d'Archibaldo est sacrément tordu et le film l'est tout autant, bien qu'il le soit assez gaiement pour une histoire laissant derrière elle autant de mortes. Si les enchaînements à l'écran sont limpides, le temps est géré étrangement (un court flashback, un drame, un long flashback, un épilogue). Quand aux raisonnements et aux plans échafaudés par tous les personnages, ils sont particulièrement tarabiscotés, ne vont jamais simplement d'un point A à un point B. Tout n'est que substituts (travestissement, boîte à musique, mannequin), chemins détournés, jeux de comédie sociale, vies secrètes, faces cachées, désirs comblés mais autrement que ce qui est attendu (ce qui en gâche la satisfaction finale) : la mise en scène détaille les préparatifs d'Archibaldo ou illustre ce qu'il projette dans sa tête (dans ses films, Buñuel se satisfait rarement de deux niveaux narratifs, type présent/flashback, et ajoute souvent une couche, comme ici, la rêverie à l'intérieur du flashback) ; Patricia et son mari créent des situations de crise pour mieux solidifier leur couple ; Carlota a pour amant secret un homme marié ; à ses différents interlocuteurs, Lavinia désigne l'homme qui l'accompagne comme son mari, son père ou son oncle et le mannequin comme sa sœur...
    Mais où Buñuel a-t-il été chercher ces beautés si singulières, pour qu'elles papillonnent autour d'Ernesto Alonso, en mâle mexicain impuissant, et qu'elles produisent autant d'étincelles érotiques ? Miroslava Stern (Lavinia, suicidée quelques semaines après le tournage), Ariadne Welter (Carlota), Rita Macedo (Patricia), Chabela Duran (la bonne sœur), Leonor Llausas (la gouvernante).
    Un détail parmi d'autres prouvant le génie de Buñuel, et qui concerne le son. Archibaldo se rend chez Carlota et, juste avant de pénétrer dans la résidence, croise Patricia, qui lui fait du charme de manière très offensive. Troublé, il reprend son chemin, tandis que monte un thème musical (angoissant, indéfinissable, peut-être à l'orgue électrique ?). Deux contrechamps nous montrent alors la mère de Carlota, à la fenêtre, en train de l'observer. Au moment exact de la coupe, la musique s'arrête, pour revenir tout aussi brutalement au retour d'Archibaldo à l'image. Si la musique venait de la rue, cela se comprendrait. Mais sur de la "musique de film", "extradiégétique", de tels arrêts, cela ne se fait pas. Suprême audace, donc. Quoique... On se rend compte au final que ce thème musical, il ne vient que lorsque Archibaldo est en crise, dans un état second. Par conséquent, ce thème musical, il ne peut pas être "partagé". La coupe sonore est donc justifiée. Ce que l'on prend d'abord pour un agréable effet de distanciation n'a en fait rien de gratuit.

  • El (Luis Buñuel, 1953)

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    L'amour fou devient l'amour malade. Pourquoi les ciné-débats avec les associations d'aide aux victimes s'organisent-ils à partir d'horreurs comme "Jusqu'à la garde" plutôt que "El" ? Le cycle de la violence conjugale y est remarquablement exposé, montrant les différentes phases et les brusques sauts d'un état à l'autre (injustement accusateur/piteusement repentant etc). En plus de l'ironie constante envers le mélodrame et la figure du séducteur mexicain, la critique de la domination passe par des détails pertinents comme les deux plans de prises de photos-souvenirs par Gloria de Francisco qui refuse de lui laisser prendre la pose à son tour : pour lui, une inversion des positions est inconcevable, il doit rester au centre de l'attention et en surplomb, tout en faisant croire que cette petite humiliation est anodine.
    La violence physique reste hors-champ, ce qui ouvre à l'imagination du spectateur les pires possibilités, ou bien déplacée par la mise en scène, par exemple, lors de la très forte séquence de l'escalier et de la barre cognée frénétiquement contre les montants de la rampe.
    Le fou, c'est l'homme puissant, le notable installé, le chrétien insoupçonnable. La mère de Gloria se range aisément aux arguments de celui qui a tout pour lui et ne parle que de possession (la séduction du gendre a opéré dès avant le mariage, lors de l'invitation prétexte où Francisco avait trompé son ami en lui assurant qu'il "ferait la cour" à la mère pour que les tourtereaux profitent de la soirée). Il ne faut pas compter non plus sur l'écoute du prêtre, qui reste solidaire de la "bonne âme" Francisco, de sa classe surtout.
    Tout ça est d'ailleurs en grande partie la faute de l'Église : dans le lieu saint s'ouvre et se ferme la boucle du récit obsessionnel, de la rencontre au pic de la crise hallucinatoire (avant, évidemment, l'épilogue au monastère).
    La faute du père de Francisco aussi, peut-être. La marche en zigzag, à deux reprises, signale la folie mais la figure est inscrite avant : dans cette maison art déco imaginée par le paternel, avec ces motifs ajoutant aux piliers, murs et autres encadrements bien droits des courbes peintes en zigzag.
    Le film est étonnamment hitchcockien par la mise en scène virtuose de la montée en tension et "anticipe" d'ailleurs "Vertigo" avec la terrible visite du clocher. Mais comme souvent chez Buñuel, c'est l'audace narrative qui étonne. Sans prévenir, le récit est soudain pris en charge par Gloria, alors que le regard était initialement celui de Francisco, que l'on épousera à nouveau dans la dernière partie. Le long flashback central nous fait entrer dans la tête de Gloria mais comme en un système d'enchâssements, sous l'emprise permanente de Francisco.

  • L'Amour d'une femme (Jean Grémillon, 1953)

    **

    Le dernier film de Grémillon est drôlement bancal, entre réalisme documentaire insulaire et mélodrame à thèse, parsemé de beaux moments de mise en scène et de quelques audaces (dont une certaine froideur dans la représentation) mais aussi de scories (le doublage de Massimo Girotti, les transparences en jeep) et de l'exposition d'un "problème" (la difficulté pour une femme médecin à concilier indépendance professionnelle et vie amoureuse) qui non seulement apparaît complètement dépassé mais qui est surtout traité de façon laborieuse à travers les tensions répétitives d'un couple d'amants finalement assez peu aimable.

  • Quand la ville dort (John Huston, 1950)

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    Une remarquable construction qui en fait le modèle du film de casse, un rythme plutôt lent mais des plans toujours expressifs, des microsecondes de violence, un ressenti des blessures, et surtout cette caractérisation des personnages enrichie au fil du film à partir d'une obsession propre à chacun pour aboutir à une morale individuelle contre celle des institutions.

  • Dossier secret (Orson Welles, 1955)

    ****

    Au début de "Dossier secret" (ou "Mr. Arkadin" ou "Confidential Report"), je me suis dit qu'à 20 ans il était normal d'être impressionné par ces cadrages bizarres, ces angles impossibles, ce montage fou-fou, ces faux-raccords volontaires, ces entassements baroques, mais qu'à le revisiter maintenant, Welles y allait quand même un peu trop à l'épate. Enfin quand même, on s'incline devant le génie à partir du moment où on le voit vraiment à l'écran, lui. Au moment où Arkadin apparaît, au moment où Welles apparaît, le récit s'élance, le film prend tout son sens (quoiqu'il repose sur un "minable secret", sur du vent, celui qui porte quelques secondes l'avion sans pilote), la forme s'impose dans toutes les larges dimensions de son auteur et se marie idéalement au fond, puissance, vitesse et don d'ubiquité. Arkadin est partout (un tour de l'Europe à en perdre haleine) et le montage est si court, les cadres si encombrés, qu'au début de certains plans, pendant une demi-seconde, on croit encore avoir affaire à lui, alors que ce n'est qu'un autre personnage ou une silhouette quelconque qui se tient à côté ou devant Van Stratten. Autre détail qui en dit long, le "jeu" de la couverture tirée par celui-ci et Zouk (redoublé juste après par celui entamé de part et d'autre d'une porte séparant les deux mêmes) : ce n'est pas qu'un élément burlesque, c'est une façon d'étirer l'espace, de le tordre, de le rendre insolite.

  • La Mort en ce jardin (Luis Bunuel, 1956)

    **

    Je l'ai sans doute trop longtemps rêvé pour ne pas être un peu déçu à la découverte de "La Mort en ce jardin". Toute la première moitié est assez inégale, trop dispersée, parfois lourdement dialoguée, les rôles principaux majoritairement français (Marchal, Signoret, Vanel, Piccoli) au milieu de cette révolution latino-américaine fictive ajoutant à la bizarrerie. La réussite de la seconde moitié laisse finalement penser que tout cela n'est qu'une longue mise en place. Il faut en effet attendre la fuite dans la jungle pour retrouver le cinéaste dans la plénitude de ses moyens, à nouveau concentré sur son sujet et ses personnages, ses jeux d'oppositions et de retournements, sa tendresse et sa cruauté, ses collages et ses visions (l'insert de l'Arc de Triomphe en pleine forêt, les fourmis sur le serpent et sur la bible, le souvenir raconté par le prêtre, les corps mis à mal puis habillés de luxe par le hasard...).

  • Les Fiancées de Rome (Luciano Emmer, 1952)

    ***

    "Les Fiancées de Rome" est un joli film choral de Luciano Emmer, qui, faisant les portraits de trois jeunes femmes collègues et amies (Lucia Bosè, Cosetta Greco et Liliana Bonfatti), s'étend géographiquement et socialement avec une belle souplesse narrative (ce qui rend l'usage de la voix off d'un "observateur" de leur vie quelque peu superflu). Liant pertinemment l'horizon commun du mariage au problème du logement, c'est aussi un film féministe, l'attachement se faisant sans souci à ces trois filles sensibles, fortes et intelligentes, alors que les hommes papillonnant autour se révèlent calculateurs, machistes ou transparents... jusqu'à l'arrivée dans le dernier quart d'heure du chauffeur de taxi sympathique et désintéressé Marcello Mastroianni, dont la présence semble soudain, presque magiquement puisque sans intervention directe, provoquer chez ses congénères masculins des comportements enfin acceptables.