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50s - Page 5

  • Ma vie

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    L'intérêt de ce classique chinois est principalement historique et patrimonial. Il a pour lui une réalisation correcte et une interprétation de qualité (Shi Hui est le metteur en scène et l'acteur principal) mais il n'est pas très enthousiasmant pour qui garde par exemple le souvenir du contemporain Printemps dans une petite ville de Fei Mu, l'un des rares titres datant de cette période de la fin des années quarante à être connu par chez nous.

    Au-delà du rythme des scènes et de leur organisation qui tentent de retrouver la vie mais en en passant plutôt vers la clarté artificielle du théâtre (dans la rue, au milieu des groupes, on passe d'un intervenant à l'autre très nettement, sans chevauchement de parole, ni mélange des gestes), c'est surtout le didactisme absolu de la démarche qui gêne. Dans Ma vie, récit de quarante années de l'existence d'un pauvre homme par lui-même, tout donne l'impression d'être expliqué plutôt que vécu. Compréhensible lorsqu'il s'agit d'aborder les questions sociales, politiques et historiques, cette position l'est moins lorsqu'elle gangrène l'expression des sentiments. Plus d'une fois le héros explique à un tiers, et donc à nous, ce qu'il ressent, sa parole se substituant alors avec trop de facilité au travail de la mise en scène.

    L'originalité du film tient dans le choix de ce héros, un petit homme banal qui devient agent de police dans un quartier de Pékin et qui se trouve plongé dans une misère grandissante au fil des années. Ses souvenirs personnels se cognent à la représentation de la grande histoire, celle qui broie le peuple chinois à travers joug impérial, invasions et domination japonaises, montée en force des profiteurs et des nantis. Dans cette masse, quelques individus, essentiellement des étudiants, se lancent dans l'aventure de la Révolution communiste. Mais la majorité, celle qui est symbolisée par le héros, courbe l'échine, se plaint chaque jour sans se révolter, pas même lorsque des proches sont assassinés. Bons et méchants sont clairement identifiés mais l'homme, devenant vieux, répète de plus en plus souvent qu'il "ne comprend rien" à tout cela. On se dit que la violence ayant cours autour de lui devrait pourtant l'aider à y voir clair car, si celle-ci reste dans les limites autorisés par l'époque, elle n'en est pas moins appuyée dramatiquement et paraît presque complaisante à trop vouloir édifier le spectateur.

    L'une des dernières séquences est difficilement supportable. Le héros, longuement torturé par les anciens alliés des Japonais, contre-révolutionnaires au pouvoir, est renvoyé dans une cellule de la prison. Il tombe alors sur son ami, un leader communiste, disparu depuis dix ans mais qui va, dans les instants qui suivent se faire fusiller. Bien qu'on le devine très éprouvé par les sévices, il va toutefois se lancer devant celui-ci, de manière tout à fait articulée, dans un monologue poignant sur le peuple martyrisé.

    Ma vie est donc un film d'avant la proclamation de la République Populaire de Chine. Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, il ne montre pas les révolutionnaires à l'action mais les nombreuses souffrances de ceux qu'ils sont supposés libérer. Malheureusement, ce regard plus réaliste et plus intime n'en est pas moins dépourvu de pesant didactisme, ce qui rend l'œuvre, malgré ses promesses et ses efforts, rigide et univoque.

     

    mavie00.jpgMA VIE (Wo zhe yi bei zi)

    de Shi Hui

    (Chine / 100 min / 1950)

     

    Source photos : Chinese-shortstories

  • Les enfants terribles & L'armée des ombres

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    melville,france,histoire,50s,60s

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    Deux films de Jean-Pierre Melville appartenant à deux périodes distinctes de sa carrière. Je viens de découvrir l'un et de revoir l'autre et j'ai du mal à leur trouver un air de famille. Le premier marqua les esprits à l'époque mais il est aujourd'hui bien peu vu et commenté. Le second fait encore référence au fil des rediffusions télévisées, gardant sa place dans la mémoire collective au milieu des grands polars melvilliens qui l'entourent. Pourtant si dissemblables, ils sont finalement, à mon sens, et contrairement à ce que je pensais au départ, de qualité comparable.

    Les enfants terribles est vraiment un étrange film, qui peut dérouter aujourd'hui de la même façon qu'il le fit en 1950. Tout d'abord, faute de connaître (Quand tu liras cette lettre, 1953) ou d'avoir revu récemment (Le silence de la mer, 1947) les œuvres qui, avec celle-ci, constituent la première manière du cinéaste, il m'est difficile de faire la part des choses. Dans ce travail à deux, il est en effet plus aisé de repérer les éléments personnels venant du scénariste-adaptateur de son propre roman, Jean Cocteau, que ceux apportés par le réalisateur-producteur, Jean-Pierre Melville, et cela jusque dans le traitement de l'image.

    Cette tragique histoire d'un couple frère-sœur dégage un romantisme adolescent vénéneux et fait preuve, à de nombreuses occasions, d'une étonnante cruauté. L'inceste y est absolu mais, bien que le film soit éminemment physique, il ne passe jamais par la sexualité. Il ne faut pas y voir ici de la pudibonderie mais une volonté délibérée des auteurs de se placer sur un autre plan. Il s'agit de tendre vers la folie, via la claustration, le repli.

    Quittant peu leur chambre commune sous le toit de leur mère mourante, le frère et la sœur auront rapidement, après avoir changé de territoire, l'idée de la reconstituer à l'identique. Cet éternel retour du décor n'est que l'un des nombreux signes d'irréalité qui déstabilisent, avec bonheur, ce récit. Comme il est dit, Elisabeth accepte les "miracles" sans s'interroger (entre autres ceux d'ordre financier permettant au couple de maintenir leur train de vie), mais c'est tout le monde s'agitant autour de ces deux enfants terribles qui semble hors de la réalité (ou de la normalité des comportements). Tous ceux qui gravitent autour de ce couple sont comme hypnotisés.

    Dans ce huis-clos quasi-permanent (les escapades à l'extérieur sont rares, bien qu'importantes), le décalage créé a bien sûr quelque chose à voir avec le théâtre et, de manière très stimulante, cette parenté est tantôt assumée (la scénographie, les entrées et sorties, le très net et très surprenant écho s'entendant lors des échanges dans la "dernière chambre" du château, qui donne une texture sonore directe totalement inattendue...), tantôt dépassée (le découpage vif, les cadrages audacieux, les échelles de plans variables...), de sorte que l'on a l'impression de tirer tous les bénéfices des deux arts. Voilà du théâtre intégrant de beaux morceaux de cinéma.

    Certains doivent énormément à Cocteau, en particulier ceux en appelant à l'illusion fantastique (tel ralenti inversé, tel décor en mouvement). Et dans ce film si original en comparaison des productions de l'époque, un autre lien existe, me semble-t-il, avec Orson Welles. Melville a en effet cherché à dynamiser visuellement ce récit en intérieurs en ayant recours à des contre-plongées accentuées, en chargeant ses cadres et en choisissant des angles de prises de vues improbables. Par ailleurs, nous pouvons voir Les enfants terribles en pensant précisément à Citizen Kane : la neige est là, Rosebud aussi, démultiplié (les trèsors conservés dans le tiroir), ainsi que Xanadu (la grande demeure où s'installe, dans la deuxième partie, la sœur puis, bientôt, son frère).

    Mais de manière plus étonnante encore, et pour se diriger dans l'autre sens, le film semble annoncer, par plusieurs détails, la Nouvelle Vague (dont les principaux artisans seront globalement bienveillants avec Cocteau et, au moins pour un temps, avec Melville) : la musique de Vivaldi n'est pas toujours utilisée de façon synchrone (elle semble dire autre chose que ce que montre les images), une voix off (celle de Cocteau lui-même) commente ou prolonge de façon détachée et littéraire ce qui se joue sur l'écran, les registres familiers et soutenus alternent dans les dialogues, les comportements de la jeunesse provoquent, et les regards, en deux ou trois occasions, visent le spectateur directement à travers la caméra...

    Certes, l'œuvre n'est pas sans défaut. Le jeu saccadé d'Edouard Dermit, interprétant Paul, gêne de temps à autre (celui de sa partenaire, Nicole Stéphane, est bien plus assuré et fluide) tandis que le texte récité par Cocteau est parfois redondant. Mais cela ne fait finalement qu'ajouter à l'étrangeté de la chose, qui est particulièrement forte et expressive.

    Revoir à la suite L'armée des ombres, film souvent admiré au cours de plus jeunes années, c'est abandonner toute idée de surprise et voir apparaître plus facilement quelques scories qui, en ces autres temps, ne me sautaient pas alors aux yeux.

    Il est vrai, cependant que la séquence centrale londonienne m'avait toujours laissé une impression bizarre. Aujourd'hui, il me semble qu'elle a tendance à déteindre quelque peu sur tout le film. Quand Melville montre ce rendez-vous de Gerbier et de son chef avec le Général De Gaulle, on ne sait trop s'il filme (dans l'ombre) la légende, s'il peint une image d'Epinal, s'il s'agenouille devant le Grand Homme. Cette poignée de secondes constituent un point extrême mais force est de constater que L'armée des ombres ne dévie jamais de l'imagerie orthodoxe de la Résistance française à l'occupant allemand. Peut-être que la légère gêne que procure cette fidélité sans faille au dogme serait moins palpable si la vision portait de façon plus serrée encore sur ce petit groupe de quatre ou cinq personnes s'activant avec Gerbier (la séquence du barbier, joué par Serge Reggiani, est marquante mais n'apporte pas de contrepoids). Dans L'armée des ombres, la Résistance est une entité très homogène... Enfin, la rareté et la gravité des dialogues font que ceux-ci pèsent lourd, au risque de dériver vers la sentence ou le mot d'auteur (comme par exemple dans le dialogue entre Gerbier et "Le Masque" à la fin de la séquence de l'exécution, toujours aussi éprouvante, du traître).

    Ainsi, oui, l'ensemble est un peu trop raide. Mais il garde tout de même de sa force. Frappe toujours la photographie de Pierre Lhomme, qui donne l'impression de regarder un film sans couleurs (seuls le gris, le bleu foncé, le brun...), un film nocturne, un film qui enserre. Image et son se rejoignent dans le même dessein : dire l'oppression. Silences et bruits infernaux alternent, aussi menaçants les uns que les autres. Le moteur de l'avion ou du camion, le tic-tac de l'horloge, agressent comme la mitrailleuse, la gestion particulière du temps long par Melville accentuant l'effet.

    Les affreux hasards de la guerre sont prétextes à quelques trouvailles scénaristiques plus ou moins habiles. Glaçantes à la première vision, elles semblent plutôt, ensuite, participer à "l'alourdissement" général du film. Mais après tout, au milieu de toute cette gravité, une certaine malice peut être décelable : la rencontre avec De Gaulle est collée à la projection d'Autant en emporte le vent dans un cinéma de Londres, illustrée par une image au lyrisme appuyé, et plus loin, Gerbier, aux portes de la mort, croit-on, repense à quelques bribes de son existence, occasion pour le cinéaste d'insérer de brefs plans en flash-back et de faire passer pour tel un qui ne l'est nullement (des mains tenant un livre de Luc Jardie, le patron, une image qui n'est pas en retard mais en avance...).

    Inutile de revenir sur la science de l'espace de Melville (l'espace qui, épuré, est aussi, chez le cinéaste, du temps qui s'écoule), sauf à dire que c'est cela, en grande partie, qui rend les morceaux de bravoure inoubliables. Mieux vaut terminer sur une dimension particulière du film, qui nous place un peu en-deça, émotionnellement parlant, mais qui est précieuse : l'idée que l'Histoire elle-même ne peut pas tout mettre à jour, qu'il existe aussi des sacrifices inutiles, que tant de choses restent pour toujours dans l'ombre, que tant d'actes sont à jamais inconnus.

     

    enfantsterribles00.jpgarmeedesombres00.jpgLES ENFANTS TERRIBLES

    L'ARMÉE DES OMBRES

    de Jean-Pierre Melville

    (France, France - Italie / 100 mn, 145 mn / 1950, 1969)

  • En famille (4)

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    Le génie de Kelly, la maîtrise de Donen, la pertinence de Comden et Green (au scénario)... Inutile d'insister sur tout cela. Mais en revoyant Chantons sous la pluie pour là énième fois, je me suis surtout dit que ce qui le rendait décidément inaltérable, c'était son double statut d'œuvre divertissante et réflexive. Le rêve hollywoodien est ici réalisé dans le sens où le spectateur, quelque soit son âge, sa culture, son humeur et son niveau de lecture, est accueilli avec la même grâce. Car ce film porte en lui son propre commentaire, tout en nous laissant libres de le lire ou pas. Gene Kelly cherche d'emblée la connivence, entrant dans le champ avec un sourire ostensiblement affiché et nous réservant, à nous seul, la vérité sur le parcours de son personnage, grâce à l'insertion d'images contredisant les propos tenus face à ses fans. Comme ils le font de l'opposition entre bons et mauvais acteurs, les auteurs s'amusent de celle existant entre "culture de masse" et "haute culture", l'intégrant à une écriture du comique qui repose notamment sur la gêne (ressort classique dans la comédie hollywoodienne, qui, ici, n'est jamais activé contre les personnages puisque le dépassement de cette gêne est aussi donné à voir, comme le montre la séquence de la fête dans laquelle Debbie Reynolds sort du gâteau et découvre dans l'assistance Gene Kelly, qu'elle vient de rencontrer et de rabrouer pour la vulgarité de son art : désarçonnée, elle se donne pourtant à fond jusqu'au terme de son numéro de music hall un peu nunuche).
    Quand nous pouvons savourer la réflexion sur le genre et l'approche historique précise, d'autres, les plus jeunes par exemple, peuvent profiter du caractère instructif du spectacle. Derrière les frasques des stars, se discerne l'hommage aux artistes et techniciens de l'ombre (dans le duo Don Lockwood - Cosmo Brown, soit Gene Kelly - Donald O'Connor, c'est bien le moins célèbre des deux, le compositeur, qui trouve généralement les solutions aux problèmes artistiques). De même, toute la machinerie du septième art est exposée, à l'occasion bien sûr de la déclaration d'amour chantée dans le studio désert mais figurant bientôt un extérieur au clair de lune magique ou encore de la balade des deux amis qui les fait passer devant plusieurs plateaux où se tournent des films de série. Par conséquent, un peu plus tard, lorsque se fait le numéro Good morning dans la maison de Don Lockwood, celle-ci apparaît comme un pur décor, avec ce faux mur de cuisine à travers lequel passe la caméra et une chute finale sur un canapé, accessoire utilisé peu de temps auparavant pour le Make 'em laugh d'O'Connor dans le studio de cinéma.
    La dernière partie du film est toujours aussi éblouissante. Peu après le fameux numéro-titre (quelles admirables variations de rythme !), vient le morceau de bravoure Broadway melody, merveilleusement détaché du reste du récit, illustration d'une idée que Don Lockwood explique à son producteur (celui-ci ayant du mal à la "visualiser" et décidant probablement de ne pas en tenir compte pour le film en cours de réalisation). La (seconde) première du film dans le film est l'occasion de dénouer l'intrigue. Kelly et Donen tirent alors un parti admirable du lieu tout en rendant un nouvel hommage au music hall. Et enfin, Don Lockwood rattrape Kathy Selden, le chant et la musique reviennent, le spectacle descend dans la salle, le cinéma est partout. Debbie Reynolds se retourne brusquement vers Gene Kelly et son visage en larmes bouleverse, que l'on soit n'importe quel type de spectateur...

    De Donen à Oury et de Kelly à Montand, la chute s'annonçait rude, mais elle fut quelque peu amortie. Le corniaud était, dans mon souvenir, meilleur que ce qu'il est réellement. Avec La folie des grandeurs, la modification de mon jugement se fait dans le sens inverse. Alors que je m'attendais à revoir une œuvre médiocre, je me suis retrouvé devant une comédie assez agréable, pas loin d'être une vraie réussite.
    Inspiré du Ruy Blas de Victor Hugo, le scénario fait preuve de consistance et ménage de plaisants rebondissements. Ainsi, bien campés sur leurs jambes, les auteurs du film peuvent glisser des anachronismes de langage ou de comportement, des pointes d'absurde, du comique plus distancié que d'ordinaire (les apartés que nous réserve Montand, la lecture de la lettre qui se transforme en dialogue avec une voix off, les clins d'œil au western italien). Les gags sont nombreux et atteignent souvent leur but.
    Le film a, de plus, une vivacité certaine. Le soin apporté à l'ensemble (décors, costumes, photographie, interprétation de qualité égale) fait que le rythme est tenu sans réel fléchissement. Les scènes d'action, souvent pathétiques dans ce genre de production, sont réalisées avec vigueur (la capture de César par Salluste, l'évasion du bagne dans le désert) et même lorsqu'elles gardent un pied dans le pastiche, elles ne tombent pas dans le ridicule. Il y a certes quelques facilités ici ou là et une musique bien faible, signée de Polnareff, mais le refuge dans un passé lointain et le relatif éloignement géographique autorise mieux les fantaisies. La mise en scène d'Oury n'a rien d'exceptionnel, les différents mouvements s'effectuant de manière assez rigide, mais tel raccord ou telle plongée ont leur efficacité.
    Le dynamisme provient de l'histoire, de l'équipe de réalisation, mais aussi et surtout, du remplacement de Bourvil par Montand. Alors que le premier restait toujours en-dessous de De Funès, encombrait parfois ses avancées, le second lui tient parfaitement tête et parvient à se caler sur son rythme effréné. Montand apporte sa verve et, par rapport à son prédécesseur, rend infiniment moins gnan-gnan les épisodes romantiques (qui sont de plus, ici, accompagnés d'une légère ironie, via le décorum ou le regard de De Funès).

    De Montand à Hallyday, la chute s'annonçait encore plus tragique que la précédente, mais elle fut en fait, elle aussi, assez peu douloureuse. D'ailleurs, j'exagère un peu. La présence de Johnny Hallyday dans Titeuf, le film est limitée, en terme de durée et bien sûr parce que nous nous retrouvons ici uniquement face à son "avatar" dessiné. Toutefois, il faut dire que ces quelques minutes du film de Zep constituent sans aucun doute le meilleur clip vidéo que nous ait jamais offert l'ex-idole des jeunes. La chose a échappé au journaliste de Télérama en charge de la critique de ce Titeuf. Dans l'hebdo, le film est descendu sous le prétexte qu'il marcherait à l'esbroufe. Trois éléments prouveraient, selon l'auteur du texte, la réalité de l'arnaque : la bande originale, l'inadéquation entre le coût du projet et son résultat et enfin le choix de la 3D. La musique est effectivement inégale (le fond étant touché avec un morceau réunissant quatre tocards de la chanson française) mais... relativement en accord avec le sujet et les personnages. Et Zep réussit quand même à placer ces vieux punks des Toy Dolls (pas n'importe où de surcroît). Le fric dépensé et la publicité accompagnant la sortie, à vrai dire, je m'en tape. Reste le problème de la 3D, à propos duquel... je ne peux me prononcer, ayant vu le film en 2D. Cela reste le seul point sur lequel je pourrai m'accorder avec Télérama car je ne vois en effet pas très bien ce que la technique peut apporter dans ce cas précis.
    Ceci étant précisé, je dois dire que, de mon côté, c'est au contraire la modestie du film qui m'a plu. Pas de voix people pour de nouveaux personnages (les aficionados, dont je ne suis pas, peuvent éventuellement se plaindre de ce manque de nouveauté), pas de translation spectaculaire du monde de Titeuf (l'amusante introduction préhistorique est une fausse piste) : on reste au ras de la rue, au niveau de la cour de récré. Le fait que Zep ait obtenu le contrôle total de sa création était sans doute, déjà, un gage de fidélité sinon de qualité. L'esprit cracra et bébête de la série et de la BD est heureusement préservé, ce qui nous vaut un festival de gros mots, de blagues pipi-caca et de pensées sexuelles idiotes. L'histoire est toute simple, ancrée dans le quotidien, juste réhaussée visuellement par les illustrations des délires de Titeuf et de ses copains. L'esthétique du film n'est pas transcendante mais quelques idées se remarquent, ainsi que plusieurs micro-gags à l'arrière-plan. La thématique abordée est celle d'un passage d'un âge à l'autre draînant ses inquiétudes. Si l'issue ne fait guère de doute (happy end pour les parents, plus en demie-teinte pour Titeuf qui doit encore avancer...), cette structure classique donne l'assise nécessaire pour un passage réussi au format long.

     

    chantons00.jpglafoliedesgrandeurs00.jpgtiteuf00.jpgCHANTONS SOUS LA PLUIE (Singin' in the rain)

    de Gene Kelly et Stanley Donen

    (Etats-Unis / 103 mn / 1952)

    LA FOLIE DES GRANDEURS

    de Gérard Oury

    (France / 108 mn / 1971)

    TITEUF, LE FILM

    de Zep

    (France / 87 mn / 2011)

  • 14 heures

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    Trouvant sans doute là le moyen de nous causer dans la même note de deux affaires qui lui sont chères, le cinéma et le rock, notre confrère Mariaque, taulier du blog The hell of it, s'est mis dans la tête de chroniquer mensuellement un clip vidéo sous forte influence cinématographique. A lire sa première sortie, il a bien fait. Analysant la mise en images d'un tube de Placebo, il nous renvoie au modèle avoué : le film à suspense de Henry Hathaway, 14 heures.

    Ce beau film, assez méconnu nous semble-t-il, nous l'avions vu en 2006 et nous saisissons l'occasion de vous livrer, sans aucune modification et pas plus de gêne, les quelques lignes que nous avions griffonné à l'époque, alors que l'idée saugrenue d'ouvrir un blog ne nous avait même pas encore effleuré.

     

    14 heures tient de la gageure : unité de temps (du matin au soir), de lieu (une chambre d'hôtel, la corniche de la façade, la rue en bas) et d'action (un homme veut sauter et la police new-yorkaise veut l'en empêcher). Et Hathaway réussit l'impossible, grâce à un réalisme admirable.

    Réalisme technique. Le film privilégie les extérieurs réels et limite au maximum les transparences et autres trucages avec la ville à l'arrière-plan. Les plans cadrant les acteurs sur la corniche rendent la sensation de l'air, du vent et de la lumière naturelle.

    Réalisme des gestes. On remarque la prolifération des gestes anodins et habituellement gommés : le policier Dunnigan qui frotte sa jambe ankylosée, ces mains qui agrippent constamment les personnes qui se succèdent au bord du vide pour raisonner le malheureux...

    Réalisme psychologique. Les explications de la tentative de suicide sont données une à une, de la mère castratrice au dégoût de soi. Hollywood a souvent la main lourde lorsqu'il faut exercer dans ce registre. Ici, le discours psychologisant est parfaitement justifié par la présence d'un psy obligé de simplifier ses propos à destination de ceux qui viennent aider le jeune et désespéré Robert.

    Réalisme de la narration. Les chutes de rythme sont compensées par le caractère choral que prend le récit, grâce aux mini-intrigues se nouant dans la rue et dans l'hôtel (une rencontre amoureuse, un pasteur illuminé). Des scènes sont "gratuites", parfois très brèves, semblant coupées avant leur fin (les journalistes régulièrement virés par la police, souvent en plein milieu dune discussion).

    Un réalisme réhaussé bien sûr par un montage, des variations d'angles et d'échelles remarquables.

     

    14h00.jpg14 HEURES (14 hours)

    de Henry Hathaway

    (Etats-Unis / 92 mn / 1951)

  • La chevauchée des bannis

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    C'est un western bien singulier que nous avons là, une œuvre surprenante, qui le devient de plus en plus au fil de son déroulement. Cela tient tout d'abord à son scénario, à sa construction très particulière, mais également à la vigueur et la netteté de la mise en scène d'André De Toth.

    Le début de La chevauchée des bannis pose un problème moral fort, un conflit entre fermier et cowboy, envenimé par la présence d'une femme entre les deux. A travers cet affrontement annoncé se lit le thème de la mort d'une certaine idée de l'Ouest, le passage à une autre époque, le dépassement de la loi du plus fort et du plus rapide qui provoque la mise sur le côté de bien des pionniers.

    Blaise Starrett est de ceux-là. Ayant réussi des années auparavant à maintenir l'ordre à coups de revolver, à nettoyer sa toute petite ville pour mieux assurer la tranquilité et la prospérité de celle-ci, le voici en conflit avec ceux qu'il a protégé tout ce temps, suite à son refus borné devant la pose de barbelés sur son passage. Le personnage campé par Robert Ryan est buté, explosif, peu aimable. Il annonce, tel qu'il est introduit par De Toth, la tonalité très noire qui va envelopper tout le film.

    La première partie détaille l'engrenage menant à un inéluctable (et déséquilibré) duel. On y passe vite de l'extérieur à l'intérieur pour rester enfermé dans le saloon où se joue le drame. Le temps semble s'étirer, les scènes paraissent de plus en plus lentes, presque répétitives. Mais brusquement, le récit bascule et le film avec lui. Une irruption détourne le cours de choses de manière radicale, au point que l'un des deux antagonistes va disparaître quasiment de l'écran.

    Un groupe de hors-la-loi en fuite et chargés d'or vient d'investir le village et il tiennent dès lors la vingtaine d'habitants sous leur coupe. Les figures sont aussi typées qu'inquiétantes, vraiment glaçantes pour certaines. Dorénavant, nul ne peut quitter les lieux sans risquer de se faire descendre d'une balle dans le dos et les quelques femmes résidentes sont menacées de passer de sales quarts d'heure. L'introduction n'était donc un leurre qu'en apparence : le sur-place, l'emprisonnement, la claustrophobie étaient inscrits dès le départ dans la matière du film. L'espace autour du hameau est gigantesque mais enserré par le froid et la neige, barrière naturelle s'ajoutant à celle mise en place avec les rondes des assaillants. C'est aussi un glacis esthétique qui recouvre l'ensemble.

    Cette brisure irrémédiable infligée au récit entraîne vers un tourbillon de violence, une suite de morceaux de bravoure orchestrés par De Toth. Un pugilat prend des allures de massacre, une soirée de danses celle d'une série de viols. La brutalité des gestes et la tension sous-jacente (on ne cesse de parler de "tenir ses hommes"), font que l'on "voit" des choses plus terribles que ce que l'on nous montre réellement. C'est également la conséquence des choix de mise en scène : l'alternance des plans rapprochés décuplant la violence et des plans très larges laissant entendre le silence assourdissant de la nature lors de la première séquence en question, les panoramiques circulaires très rapides suivant les danseurs insatiables et menaçants dans la seconde.

    Pour briser le cercle de la violence, il faut alors un sacrifice, et celui qui autrefois réglait tout par l'usage des armes et qui a pris conscience qu'il ne valait finalement guère mieux que ces renégats a lui-même cette idée. Une ultime bifurcation narrative s'impose donc et le dernier tiers est consacré à un périple dangereux mais libérateur. La violence reste présente mais à un autre niveau. S'exerçant maintenant loin des petites maisons où se réfugient les femmes et les enfants, elle se fait plus allégorique, presque fantastique, dans un enfer blanc qui épuise les chevaux, les pattes enfoncées dans la poudreuse, le corps fumant. Dans le groupe, les éliminations se font les unes après les autres, de plus en plus sidérantes. Ce dernier mouvement est très musical, ce qui contribue à renforcer encore son étrangeté, les instruments s'étant tenus jusque-là très en retrait sur la bande son, brillant même, le plus souvent, par leur absence.

    La chevauchée des bannis propose donc une saisissante montée en puissance et entame en quelque sorte, avec une bonne dizaine d'années d'avance, la réflexion sur la violence que conduiront ensuite des cinéastes aussi divers que Sam Peckinpah, John Boorman, Wes Craven...

     

    dayoutlaw00.jpgLA CHEVAUCHÉE DES BANNIS (Day of the outlaw)

    d'André De Toth

    (Etats-Unis / 88 mn / 1959)

  • Du plomb pour l'inspecteur

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    Afin de mettre le grappin sur l'auteur du sanglant hold up auquel nous avons assisté quelques minutes plus tôt, la police organise la filature de la poule du malfrat. Pour expliquer la situation à ses hommes, le lieutenant étale sur son bureau un plan de l'étage de l'immeuble où crèche la fille. Le bâtiment est construit en U. Deux longues ailes s'y font face, dans lesquels se trouvent respectivement l'appartement ciblé et la planque des policiers. Un court segment relie les deux ailes principales par un côté, là où est situé l'ascenseur, point de passage obligé de tout notre petit monde. Le topo du lieutenant est clair et concis. La caméra le valide par une plongée à la verticale sur le bureau.

    La scène est des plus classiques, totalement inscrite dans le genre, mais elle en dit ici un peu plus que d'habitude. Elle dit que le film noir, c'est un traitement spécifique de l'espace et Du plomb pour l'inspecteur est de ce point de vue un modèle.

    Hormis quelques échappées dans la rue et le quartier environnants, l'action est cantonnée dans les deux appartements se faisant face dans cet immeuble, dans les passages qui y mènent (ascenseur, escalier), dans les espaces qui les relient (couloirs). Ce lien concret se double de celui, abstrait, que crée la surveillance en elle-même, à l'aide des jumelles et des outils d'écoute téléphonique, entraînant logiquement le film sur le thème du voyeurisme. Nous sommes en 1954 et la même année Alfred Hitchcock signe Fenêtre sur cour.

    Loin d'être un spécialiste du genre, Richard Quine manie pourtant avec assurance les codes et les figures imposées. Sa gestion des décors, aussi bien extérieurs (l'ambiance nocturne et humide, le rythme quasi-documentaire) qu'intérieurs, est remarquable. Organisant d'incessants déplacements qui donnent leur énergie motrice à ce récit confiné dans quelques lieux, il sait exactement prendre le temps qu'il faut pour les accompagner, les rendant ainsi réalistes.

    A cette maîtrise de l'espace s'ajoute la finesse de l'écriture. Le scénario est fort bien cisellé, détaillant l'engrenage avec précision et préparant avec intelligence les futurs arborescences du récit. Prenons pour exemple l'effet miroir que provoque la construction de cette relation entre le collègue du héros et la deuxième fille, voisine directe de la première. La trouvaille de scénariste est parfaitement relayée par la mise en scène, jusque sur le plan architectural. C'est ainsi que la densité du réseau est assurée autour du thème principal : la corruption d'un policier par une suspecte.

    La relation "secondaire" entre le jeune flic et l'infirmière est vue comme saine, par opposition à la première, entre le policier mûr (et bientôt pourri) et la protégée du truand, qui s'est construite sur un mensonge (certes dépassé par la suite). Ici encore, la tentation vient de la femme mais le soupçon de misogynie s'efface rapidement car il s'avère que l'homme ne vaut pas mieux devant l'appât du gain, bien au contraire. Surtout, la noirceur générale est atténuée par la profonde humanité des personnages et par la sensibilité de Quine (auteur de nombreuses comédies, musicales ou non, dont la délicieuse Ma sœur est du tonnerre, tournée l'année suivante). Le cinéaste tire de belles choses de Dorothy Malone (la voisine infirmière), de Fred McMurray dans le rôle principal du flic torturé (brièvement) par la morale, et surtout, il révèle à ses côtés l'inconnue Kim Novak, femme fatale de 21 ans gardant toute son innocence et ayant cette idée lumineuse de porter ses pulls moulants sans le moindre sous-vêtement.

     

    pushover00.jpgDU PLOMB POUR L'INSPECTEUR (Pushover)

    de Richard Quine

    (Etats-Unis / 88 mn / 1954)

  • Les Vikings

    (Richard Fleischer / Etats-Unis / 1958)

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    lesvikings.jpgRevoir sur grand écran Les Vikings (The Vikings) c'est apprécier le savoir-faire technique de Richard Fleischer et son emploi efficace du Scope (des panoramiques sur les fjords aux gros plans sur les visages), c'est baigner dans les belles images de Jack Cardiff (en particulier lors des remarquables scènes de navigation dans la brume), c'est relever par endroits un louable souci d'authenticité (et un tournage en décors réels), c'est être saisi par quelques fulgurances stylistiques (les vigoureuses entrées dans le champ, les contre-plongées du duel final) et plusieurs pointes de sauvagerie (l'attaque du faucon, le jeu de la hache, la fosse aux loups, la main tranchée), c'est profiter des bonnes interprétations de Tony Curtis, d'Ernest Borgnine, de Janet Leigh et de Kirk Douglas, star et producteur, dont le personnage d'Einar, nous dit-on, refuse de se laisser pousser la barbe, à l'inverse de tous ses camarades vikings, mais se voit dans la foulée à moitié défiguré...

    Mais le revoir, c'est aussi subir le jeu sans nuance de Frank Thring en tyran de service, c'est patienter le temps de batailles banales, d'interventions divines balourdes et de scènes d'amour improbables, c'est ne pas échapper au pittoresque braillard, c'est suivre un scénario aussi ambitieux que prévisible, c'est assister à l'ascension d'un faux esclave mais véritable élu, c'est supporter que les païens soient perçus uniquement par un regard façonné par l'ordre chrétien, c'est observer une nouvelle transposition des préoccupations américaines, politiques, religieuses et morales, sur un fond mythologique européen...

    Bref, le revoir, c'est ne le réévaluer ni dans un sens, ni dans l'autre et laisser Fleischer entre deux eaux, là où son cinéma semble se tenir depuis toujours.

  • Tant qu'il y aura des hommes

    (Fred Zinnemann / Etats-Unis / 1953)

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    tantquilyauradeshommes.jpgLa cause semble entendue. Le message étant martelé depuis des décennies, le moindre cinéphile le sait, parfois même sans l'avoir vu : Tant qu'il y aura des hommes (From here to eternity) (et par extension l'œuvre entière de Zinnemann...) est un film de prestige académique au vieillissement prématuré, rempli de fausses audaces, à peine sauvé par quelques éclairs et des numéros d'acteurs.

    Personnellement, je le trouve assez beau.

    La forme est classique, tantôt discrète, tantôt appuyée. Ce balancement a très vite été convoqué pour établir la preuve d'un manque de style propre. Or, on peut tout aussi bien le juger nécessaire à un film construit sur une série de tensions-explosions. De la fameuse scène de baignade amoureuse entre Deborah Kerr et Burt Lancaster, nous apprécions moins les fougueux baisers que la hâte fiévreuse avec laquelle les deux futurs amants ôtent leurs vêtements pour se tenir face-à-face en tenue de bain (Lancaster étant même, à ce moment-là, cadré au niveau du torse seulement), gestes brusques et libérateurs, que les plans de vagues déchaînées surlignent un peu inutilement. Plus loin, la première des trois explosions de violence jalonnant le récit saisit par sa sècheresse et vient rappeler que Zinnemann signa cinq ans auparavant l'un des meilleurs films noirs de l'après-guerre, Acte de violence. L'affrontement dans ce bar, qui reste finalement au stade de la menace de mort, donne à voir une vivacité de réaction des corps impressionnante. Lancaster notamment semble alors être traversé par une tension phénoménale. Dans ce registre de la force intérieure difficilement canalisée, son partenaire Montgomery Clift n'a bien sûr rien à lui envier. Tous les acteurs du film jouent d'ailleurs magnifiquement, y compris Frank Sinatra dans un rôle pourtant basé en partie sur le pittoresque (celui du "Rital"). Zinnemann les dirige avec précision et la qualité du scénario et des dialogues font le reste.

    En effet, l'écriture y est remarquable, donnant  l'impression d'un film choral tout en donnant une importance graduée aux différents protagonistes, le principal étant le soldat Prewitt interprété par Clift, dont la destinée éclaire indirectement celle des autres. Cette excellence de l’écriture est perceptible dès le début, les rapports, parfois complexes, s’établissant entre les personnages nous intéressant aussitôt. Cet épisode de la vie d’une caserne américaine du Pacifique, clairement situé dans le temps à la toute fin du récit (juste avant, un panneau de signalisation brièvement aperçu à l’arrière-plan fit office, pour moi, de révélation soudaine), est habilement conté en établissant des parallèles assez souple entre deux couples et entre quelques individualités. L’audace que l’on prêtait à Tant qu’il y aura des hommes à l’époque de sa sortie n’est certes guère décelable aujourd’hui. Tout juste distingue-t-on un possible sous-texte homosexuel, passant à travers les regards et les gestes d’affection de Lancaster à l’attention de Clift. Ce qui intéresse le plus n’est de toute façon pas là. Si audace il y a, elle est plutôt dans la volonté qu’a Zinnemann de proposer au public une histoire ambitieuse, intelligente, complexe. Ainsi, la vision de l’armée évite le manichéisme. Le film n’est pas une charge contre l’institution mais une observation critique de l’intérieur. Le soldat Prewitt, son sergent ou son copain envoyé en camp de redressement, ne sont pas des "hommes contre" (en trouve-t-on beaucoup dans l’armée de métier ?), ce sont juste des individualités assez singulière pour que le spectateur s’y attache et des personnes qui, en cherchant à préserver leur dignité, se retrouvent littéralement coincés dans ce carcan militaire qu'ils ne remettent pas fondamentalement en cause. L’ambiguïté de l’approche peut gêner notre bonne conscience, elle n’en est pas moins crédible et juste. A défaut de génie, Zinnemann fait preuve tout au long de son film d’une réelle sensibilité.

  • Coffret Lionel Rogosin

    On the Bowery (Lionel Rogosin / Etats-Unis / 1957) ■■■□

    Come back, Africa (Lionel Rogosin / Etats-Unis / 1959) ■■

    Good times, wonderful times (Lionel Rogosin / Grande-Bretagne / 1966) ■■■□

    L'écriture de l'histoire du cinéma est soumise depuis toujours à des mouvements alternatifs de flux et de reflux : au gré des marées, disparaissent et ré-apparaissent des œuvres. L'édition DVD vient aujourd'hui compléter ou remplacer l'activité des ciné-clubs et des cinémathèques pour favoriser les redécouvertes. Nous disons bien redécouverte. Existe-t-il en effet une seule grande œuvre qui, en son temps, n'ait été vue, aimée et analysée par personne ? Rogosin, depuis plusieurs années, n'était plus qu'un nom associé à deux titres de films devenus invisibles. Cette inaccessibilité, la fidélité à un genre (le documentaire) moins étudié que les autres et la maigreur d'une filmographie réduite à une poignée d'entrées, expliquent par exemple qu'entre 1965, année de la présentation de Good times, wonderful times à Venise, et 2005, année de la projection à Bologne d'une copie restaurée de Come Back, Africa, le cinéaste brille par son absence dans les colonnes des deux principales revues françaises de cinéma que sont les Cahiers et Positif, revues qui rendirent pourtant compte, parfois avec enthousiasme, de ses travaux dans la période précédente. En poursuivant l'effort réalisé par la Cinémathèque de Bologne, les éditions Carlotta contribue de manière exemplaire à tirer de l'oubli une figure jadis célébrée en tant que chef de file d'une nouvelle école documentaire américaine faisant le lien entre le néo-réalisme italien et le cinéma de John Cassavetes. Preuve de la nécessité de cette remise à jour : chacun des trois films constituant ce coffret suscite un questionnement différent relatif à l'importance que l'on peut reconnaître à une œuvre cinématographique.

    Du jamais-vu...

    bowery2.jpgLa vision d'On the Bowery procure une sidérante impression de jamais vu et les images tournées par Lionel Rogosin dans ce quartier de New York peuplé de clochards provoquent aisément le choc. En effet, qu'il soit américain ou autre, le cinéma n'avait pas, à l'époque, en 1956, l'habitude de montrer aussi crûment la déchéance humaine. Les effets de la misère et de l'alcool sur les hommes et les femmes du Bowery sont imposés au regard sans filtre édulcorant et, par rapport à ce qui est montré ailleurs dans le cinéma contemporain, on peut véritablement parler d'envers du décor. Toutefois, si On the Bowery se limitait à aligner, sans autre souci que celui d'estomaquer le spectateur, les séquences documentaires sur des corps titubants, s'il se réduisait à l'enregistrement informe d'une réalité sordide, il ne vaudrait pas mieux qu'un reportage à sensations. Or ce premier film d'un autodidacte de 32 ans est tout autre chose qu'un brouillon jeté à la figure.

    Rogosin s'est imprégné du lieu pendant plusieurs mois, y séjournant sans tourner, prenant le temps d'arrêter les principes qui allaient gouverner la réalisation : acteurs non-professionnels, enregistrement en son direct de conversations juste aiguillées, intégration d'une mini-fiction à la trame documentaire... Cette préparation porte ses remarquables fruits d'un bout à l'autre. Les plans sont composés avec sûreté, laissant voir une réalité qui est captée sans donner l'impression d'être volée, et la qualité technique est égale quelque soit le sujet et le lieu filmés. Le scénario, qui retrace le parcours d'un homme débarquant tout juste dans le quartier, est minimaliste, volontairement relâché, ponctué d'événements qui le sont si peu (le personnage principal se fait voler ses affaires dès la première nuit mais si l'on voit qui lui soustrait sa valise, cela ne constitue nullement ce qu'il convient d'appeler un nœud dramatique). Ce sont essentiellement des rencontres, des discussions et des déambulations qui sont mises en scène par un Rogosin qui ne transforme pas le besoin irrépressible de témoigner en leçon de morale intimidante et qui sait se mettre à l'écoute et laisser s'écouler le temps. Son film a une force que l'on retrouvera bien plus tard dans ces deux grands documentaires sur l'humanité en souffrance et son environnement que sont Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa et En construction de José Luis Guerin.

    Du nécessaire...

    africa5.jpgSelon les propos du cinéaste lui-même, On the Bowery aurait été conçu avant tout comme un essai avant de se lancer dans l'aventure d'un grand film dénonçant le régime d'apartheid sévissant en Afrique du Sud. Devant la caméra de Rogosin, une nouvelle fois, une réalité méconnue voire ignorée va en effet être éclairée et une population n'ayant pas voix au chapitre ni droit à l'image va se retrouver porteuse d'un récit. Come back, Africa est une date capitale dans l'histoire artistique du continent africain, ce qui en fait le titre le plus connu de Lionel Rogosin. Pour autant, un film important historiquement peut laisser un peu moins de satisfaction au spectateur que d'autres, et cela d'autant plus que le temps de sa conception s'éloigne.

    Bien plus fermement scénarisé que le film précédent, celui-ci est aussi beaucoup plus didactique et, malgré un ancrage toujours aussi fort dans le réel, penche très clairement du côté de la fiction. Les deux registres se différencient plus facilement et leur alternance produit quelques effets de plaquage. Cela n'est cependant pas dû aux contraintes techniques (Rogosin parvenant là aussi, dans des conditions difficiles de tournage, à effectuer un travail impeccable), mais au ton des diverses séquences. Lorsque Rogosin décrit les malheurs de son héros, le film paraît plus appliqué : la succession des embûches dans la recherche d'un travail et des petites humiliations par les employeurs blancs est là pour délivrer un message clair. Clair et argumenté car sont exposées minutieusement, à travers la fiction, les différentes causes de la misère des Noirs d'Afrique du Sud. De ce peuple, Rogosin a tenté de propager le grondement. Aujourd'hui, malgré la puissance que libère le montage des dernières séquences, son film se révèle quelque peu entravé et moins impressionnant que sa première tentative.

    De la provocation...

    times3.jpgCe n'est que six ans plus tard que Rogosin réalisera son troisième long métrage, ce Good times, wonderful times, titre reprenant à son compte l'expression d'une vieille baderne rencontrée dans un hôpital britannique et qualifiant ainsi le temps de la première guerre mondiale. Là encore, il s'agit d'aller droit au but mais par un tout autre moyen. Good times..., œuvre violemment pacifiste et anti-nucléaire, se construit à partir d'un procédé que l'on pourra juger facile mais auquel on ne peut nier une diabolique efficacité : le cinéaste entrecoupe le déroulement d'une party entre bourgeois londoniens d'images d'archives des différentes guerres et autres fléaux du vingtième siècle.

    Entre les deux types d'images, la coupe est volontairement franche et elle devient même le véritable moteur du film puisque toutes les réflexions provoquées le sont par la confrontation violente imposée par le montage. La masse d'archives compilées est impressionnante, les documents, pour une partie inédits à l'époque, sont souvent terribles. Mais c'est avant tout le régime auquel ceux-ci sont soumis qui surprend : le montage entrechoque des plans jusqu'à la provocation (rapprochant un instant foules transportées par le spectacle du nazisme et jeunesse dorée anglaise), la répétition d'images et de sons crée un certain vertige (les séquences interminables montrant ce peuple allemand acclamant le Fuhrer et sa clique paradant dans les villes du pays), le mixage propose mieux qu'un accompagnement sonore, il s'érige en commentaire. Rogosin nous bouscule, allant jusqu'à illustrer musicalement des images de camps de la mort. Il use de ralentis, de reprises, de chevauchements, dans une démarche rappelant par endroits celle de Godard. Il fonce tête baissée et par cette mise en forme particulièrement ambitieuse déploie une œuvre beaucoup plus profonde et ambiguë que son postulat de départ ne le laissait penser.

    Il faut d'ailleurs préciser que les séquences de soirée ont toute l'élégance, la vivacité et l'esprit requis pour croquer cette société basculant dans la folie du Swinging London. Cela ne fait pas oublier, loin de là, que les propos entendus, émanant de ces conservateurs à la mode sixties, "jouant" leur propre rôle avec un naturel confondant, sont plus d'une fois effarants (la simple confrontation de ceux-ci avec les images d'archives, que ne manque jamais de faire, à intervalles réguliers, Rogosin, suffit à les disqualifier aussitôt). Or, ce fourvoiement idéologique n'est pas incompatible avec le sens de l'humour, ni avec le charme, et chose toute aussi déstabilisante, on remarque que l'un des participants à la fête est joué par Rogosin lui-même. Veut-il dire par là qu'il aurait pu faire partie de ce groupe-là ? En faisons-nous, nous aussi, inconsciemment, par manque d'engagement, partie ? Entre deux images d'explosions atomiques ou de cadavres d'enfants, l'éternel retour de ces visages maquillés et hilares, de ces verres de champagne ou de whisky qui se cognent, provoque l'étourdissement et si une place est laissée in extremis aux révoltes des jeunes japonais, au discours de Martin Luther King et à la marche anti-nucléaire sur Londres, c'est bien un goût de cendres que laisse ce film fascinant, signé par un réalisateur oublié et décidément à redécouvrir d'urgence.

     

    Chronique dvd pour logokinok.jpg

  • Le veuf

    (Dino Risi / Italie / 1959)

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    leveuf.jpgAlberto Nardi est un industriel milanais poursuivi par ses créanciers et méprisé par sa femme qui l'appelle Cretinetti et qui refuse de lui donner le moindre sou, bien qu'elle possède une gigantesque fortune. En tant que bénéficiaire testamentaire, ses affaires semblent s'arranger le jour où cette dernière est portée disparue, suite à une catastrophe ferroviaire.

    Le veuf (Il vedovo) est un opus inégal au sein d'une filmographie qui l'est tout autant, celle de Dino Risi. Son intérêt premier vient de l'excellence de l'interprétation d'Alberto Sordi, dont l'inventivité dans le phrasé, les postures et les expressions semble infinie. Ce Nardi est un être bien peu aimable, menteur, lâche, xénophobe, macho. Il est pourtant difficile de le détester réellement. Sans doute est-ce, d'une part, parce que les gens de son entourage, même s'ils réussissent, ne valent pas mieux. D'autre part, malgré ses innombrables défauts, ce qui nous empêche de nous détacher d'Alberto, c'est cette impression très forte que le personnage représente pour Dino Risi l'Italie elle-même. Cet entrepreneur qui se prend pour un génie et accumule les faillites semble cristalliser la haine et l'attachement mêlés qu'éprouve le cinéaste devant la société contemporaine.

    Cet aspect de l'œuvre est très sensible dans la première partie, la plus drôle et la plus réussie. En revanche, par la suite, le film patine un peu sous le poids d'un scénario assez laborieux, bien plus remarquable dans le détail des scènes qui le compose que dans sa construction d'ensemble. Étrangement, c'est en effet lorsque la mécanique de la dramaturgie devrait tourner à plein régime que l'intérêt se fait moindre. La dernière partie vire à la comédie noire et policière mais le rythme est trop lent, les plans trop longs et les rebondissements trop prévisibles. Sur la durée, la mise en scène de Risi est tantôt banale (les effets de théâtre, la musique appuyée), tantôt inspirée (les dialogues percutants des premières scènes de bureaux, les nombreuses séquences orchestrant l'agitation d'un grand nombre de personnages autour d'Alberto Sordi).