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Retour de La Rochelle (10/12) : Raoul Walsh (3/4 : les années 50)

Rétrospective Raoul Walsh au 40e Festival International du Film de La Rochelle, suite.

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La femme à abattre

La femme à abattre est une production Warner entamée par Bretaigne Windust avant d'être reprise en main, pour cause de maladie, par Walsh, à la demande d'Humphrey Bogart, vedette du film. Le critique Edouard Waintrop, qui présentait ce cycle Walsh à La Rochelle, a profité de cette projection pour moquer une nouvelle fois le choix d'un titre français totalement inadéquat. Mais il a surtout signalé que ce film criminel était très représentatif du changement opéré chez le cinéaste au cours des années cinquante, la tonalité générale se faisant beaucoup plus sombre qu'auparavant.

Effectivement, si cet Enforcer ne tient pas toutes ses promesses (ni celles de Waintrop qui le tient pour l'un des meilleurs Raoul Walsh), il s'avance vers nous de manière assez peu amène. Le flic Martin Ferguson (Bogart) et ses hommes ont coffré un chef de bande et protègent un témoin apeuré dans l'espoir qu'il tienne le lendemain au moment du procès. Mais la nuit s'avère dramatique et l'enquête doit repartir de zéro. L'originalité consiste donc à nous faire prendre l'histoire en cours de route, très près de sa fin même (mais cela nous ne le savons pas encore), et à nous proposer au bout d'un certain temps un nouveau départ.

On rembobine donc, en suivant un flashback dans lequel viendront se loger plusieurs autres, donnant naissance à un récit-gigogne mais toujours clair. Cependant, le compte rendu de l'enquête est un peu trop répétitif par sa manière de nous faire rebondir d'un suspect à l'autre, d'un cadavre à l'autre. La mécanique est bien huilée mais peu productive en termes d'action et de psychologie (celle-ci est assez limitée, surtout en ce qui concerne le personnage principal).

Heureusement, le film se signale par un dénouement aussi surprenant qu'astucieux et par sa représentation de la violence. Une violence sèche, terrible, cinglante. Dans La femme à abattre, les meurtres se font au rasoir de barbier ou au couteau et les ellipses qui caractérisent leur mise en scène démultiplient leurs effets, leur préparation nous laissant aisément imaginer le reste, le pire.

 

Les implacables

Les implacables, c'est un western de plus de deux heures composé de larges séquences au cours desquelles, bien qu'elles soient ponctuées de belles choses, la tension retombe parfois. C'est plus précisément un film de convoi. Il met toutefois assez longtemps à se mettre en marche, passant par de multiples étapes préparatoires (entre autres, une longue scène de romance dans une cabane).

Décrivant à nouveau la vie d'un groupe, il offre son lot de sorties verbales et physiques mais les confrontations entres les personnages y ont de racines moins profondes, les caractères y sont plus tranchés, les revirements y sont plus rapides (parfois jusqu'au comique) que, par exemple, dans L'entraîneuse fatale. Entre Robert Ryan, l'homme qui "rêve grand", le capitaliste dur calculant tout afin d'en tirer le plus grand profit, et Clark Gable, l'homme qui se "contente de peu", l'individualiste vaincu (car sudiste) mais digne, têtu, pragmatique, vif et doté du sens de l'honneur, Jane Russell va devoir choisir après avoir réalisé (beaucoup moins rapidement que nous) que l'homme destiné à "aller le plus loin", celui qu'il faut admirer, n'est finalement pas celui qu'elle croyait.

Ainsi, la piste suivie est plutôt balisée, au gré des tunnels habituels que sont les séquences de passage d'une rivière ou d'une étendue désertique par un immense troupeau, les indiens, quant à eux, comptant comme les obstacles naturels ou les intempéries. Walsh privilégie les plans longs et descriptifs (il en abuse de temps à autre). Dans le canyon où le piège indien a été tendu sont lancés à toute allure chevaux et bovins mêlés, sous les tirs croisés : voilà le morceau de bravoure, désorde visuel pas très heureux esthétiquement.

Malgré ses qualités, Les implacables, est, à mon goût, un film qui s'étire trop et qui donne au final une leçon un peu trop simple. Il me semble destiné en premier lieu aux purs et durs parmi les amateurs de westerns.

 

L'esclave libre

Une fois le décor planté et le temps de l'enfance passé, un premier coup de tonnerre survient. Par la suite, au fil du récit de cette Esclave libre, ces coups ne manqueront pas. Pour commencer, donc, Amantha Starr, jolie fille du Kentucky, apprend la mort de son grand propriétaire de père, se voit spoliée de son héritage et découvre que sa mère était en fait une esclave. Immédiatement, elle se trouve réduite à ce rang infâme.

Avec une Yvonne De Carlo moitié blanche-moitié noire, ce point de départ peut paraître tiré par les cheveux. Il propulse pourtant à l'intérieur d'une œuvre ambitieuse, intelligente, prenant à bras-le-corps son sujet, sans faux-fuyants. Une interrogation surgit : cette impression de densité vient-elle du fait que le roman adapté (de Robert Penn Warren) est un roman "sudiste" ? Plus précisément : le point de vue du vaincu ne serait-il pas (toujours ?) plus proche de la réalité que celui du vainqueur, tout à sa célébration ? Dans L'esclave libre, ne s'opposent pas les bons Nordistes et les mauvais Sudistes, les gentils Noirs et les méchants Blancs. En fait, on y trouve aussi bien des maîtres chassant et fouettant leurs esclaves que des personnes plus généreuses. Mais il y a plus complexe encore : ces dernières apparaissent parfois, aux yeux des Noirs, "pire" que les autres (car bardés de leur bonne conscience). Le plus compréhensif, le plus respectueux des sudistes avouera avoir été un négrier responsable de massacres en Afrique, tandis que le bon pasteur abolitionniste sera prêt à violer la désirable mulâtresse.

Hamish Bond (Clark Gable) l'affirme à un moment donné : "L'égalité pour les Noirs, on en parlera encore dans cent ans !" Si la belle légende d'un Nord s'engageant dans la guerre civile pour libérer le peuple noir a perduré, un documentaire récent, The civil war, nous a rappellé, après d'autres, que la vérité était plus complexe et moins noble, notamment lorsqu'il a fallu intégrer les anciens esclaves dans les bataillons yankees. Et cela, L'esclave libre le montrait déjà clairement.

Mais le film n'a pas qu'une qualité de clairvoyance historique. Dans ce mélodrame fiévreux, Walsh organise de fortes oppositions successives, en les modulant d'une scène à l'autre, jusqu'à les renverser parfois. D'où cette sensation de richesse narrative, d'approfondissement du sujet, de maintien d'un cap sous les éclairs mélodramatiques et les coups de vent scénaristiques, ceux-ci ne gênant ni Yvonne De Carlo ni Clark Gable ni Sidney Poitier (qui n'a rien ici de l'alibi holywoodien mais qui mène au contraire superbement une troupe d'acteurs noirs proposant un éventail de caractères beaucoup plus large que d'ordinaire).

 

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walsh,etats-unis,polar,western,50swalsh,etats-unis,polar,western,50swalsh,etats-unis,polar,western,50sLA FEMME À ABATTRE (The enforcer)

de Bretaigne Windust et Raoul Walsh

LES IMPLACABLES (The tall men)

L'ESCLAVE LIBRE (Band of angels)

de Raoul Walsh

(Etats-Unis / 85 min, 125 min, 125 min / 1951, 1955, 1957)

Commentaires

  • Excellente idée de ne pas oublier Walsh.Grand bogartien,je crois n'avoir pourtant jamais vu The enforcer.Mais j'aime beaucoup tant Les implacables que L'esclave libre.Bravo pour ton travail sur le cinéma,très étayé et sérieux.

  • "voilà le morceau de bravoure, désorde visuel pas très heureux esthétiquement."
    ha là là. Tu n'es pas fait pour Walsh Ed.

  • Merci bien Eeguab.

    Christophe, je ne sais pas, sa carrière est si longue et hétéroclite... Pour rester dans le western, j'essaierai de me rattraper en parlant la prochaine fois de "Colorado Territory". Mais il me semble que "Les implacables", je l'avais déjà vu il y a fort longtemps et qu'il m'avait laissé la même impression mitigée. Et puis c'est vrai que cette scène du passage en force dans le canyon, je ne l'ai pas trouvée sensas...

  • en fait j'ai réagi parce que cette sensation de désordre dans le plan est une qualité essentielle de Walsh, comme le rappelait son assistant Edmond T. Gréville :
    "Walsh les lance (les acteurs et figurants) littéralement dans l’image, dans une pagaille inouïe, de préférence sans répétition. Il compte sur l’instinct, sur la spontanéité des réactions humaines. (…) La scène ainsi tournée comporte-t-elle des maladresses, des bavures ? Walsh ne recommence pas. Il préfère tourner des plans de coupe qui permettront d’éliminer les morceaux douteux au montage et de conserver la fraîcheur initiale de l’action.“

    Quoique certaines images de Pursued, They died with their boots ou White heat soient sublimes, Walsh n'était pas focalisé sur la composition plastique comme pouvait l'être Ford. Après, que ce trait de style aille de pair avec une certaine désinvolture qui fait qu'il y ait dans sa filmo à boire et à manger, certes. Comme pour tous les grands Hollywoodiens d'ailleurs. Mais pour ma part, j'aime beaucoup Les implacables. http://films.nonutc.fr/2008/02/28/les-implacables-the-tall-men-raoul-walsh-1955/

  • Comme Christophe, je suis beaucoup plus enthousiaste sur "Les implacables" que j'ai découvert il y a peu (et je t'envie de l'avoir vu en salles). Je trouve particulièrement sensuelles les scènes avec Jane Russel, elle m'a traumatisé quand elle enlève ses bottes ou quand Gable lui réchauffe les pieds dans la cabane. Il y a aussi la magnifique traversée de rivière, purement contemplative, axée sur l'action en tant que telle et pas sur un récit (au sens dramatique). C'est tout simplement beau. Il y a également, pour un amateur de western, une étonnante réunion du classique( Glable), du moderne (Ryan) et du futur européen (Cameron Mitchell) même si Walsh ne pouvait l'imaginer, les trois personnages sont mus par les orientations du genre dans les trois périodes. Pour moi c'est un très grand western et je dois dire que je suis très Walshien. Bel ensemble donc dont tu rends compte, il faudra que j'aille à La Rochelle un de ces quatre.

  • Merci messieurs les walshiens pour ces compléments/contrepoints.

    Intéressante citation de Gréville. Mais je précise que pour la scène dont nous parlons, m'a frappé plutôt le désordre "entre" les plans qui la compose, leur assemblage, leur nature différente de l'un à l'autre.

    Mais la scène la plus symptomatique de mon rapport au film est celle qu'évoque Vincent, celle de la cabane. Elle l'est d'autant plus qu'elle se situe vers le début et donc qu'elle peut avoir "conditionné" en quelque sorte ma réception de la suite. Elle est effectivement très belle, sensuelle etc... jusqu'à un certain point. Car je la trouve trop longue. Je trouve que la séduction, la connivence, puis la fâcherie, cela fait trop de choses à faire passer en une seule scène. Le revirement me paraît trop simple, comme l'évolution des rapports à l'intérieur du triangle par la suite. Bien sûr, cette simplicité est souvent présente dans le genre, mais elle peut mieux passer que ça (notamment dans d'autres Walsh, à mon sens). Avec la balance des sentiments qu'éprouve Jane Russell, l'écriture produit quelque chose d'un peu mécanique.

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