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Rio Bravo

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Au bout de cinq minutes, l'enjeu de Rio Bravo est fixé. Joe Burdette est emprisonné par le sheriff John T. Chance pour le meurtre d'un homme désarmé. Pendant les plus de deux heures qui suivent, Hawks va génialement se "contenter" de mettre en scène les multiples variations qu'autorise la situation posée (variations apparemment inépuisables puisque suivront bien sûr, en 1966 et 1970, El Dorado et Rio Lobo, deux descendants directs de Rio Bravo).

Cependant, ce système qui se nourrit de lui-même ne dessine pas un cercle, pas même une spirale : il est fait d'allers-retours le long d'un segment. A une extrémité se trouve l'entrée de la ville, où se poste Dude pour filtrer le passage, à l'autre la prison. La bourgade de Rio Bravo ne semble exister que le long de cet axe-là. Hormis derrière le générique du début, nous ne voyons rien de l'extérieur de la ville, bien qu'il soit beaucoup question du juge attendu pendant plusieurs jours et de la diligence qui part ou arrive (elle-même, on ne la voit pas : comment Feathers pourrait-elle donc la prendre un jour ?).

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Au milieu du segment sont situés deux lieux : l'hôtel de Carlos et Consuela où dorment Feathers et Chance, et le bar où se réunissent les hommes de Burdette et que fréquente Colorado avant qu'il ne prenne parti (personnage se signalant d'abord par son détachement, Colorado va intervenir d'une façon qui sera de plus en plus décisive). Le premier endroit est lumineux, chaleureux, accueillant, presque frou-frouteux. C'est le domaine de Feathers et de Consuela, Chance et Carlos y ayant rarement leur mot à dire. Les portes, fermées ou ouvertes, y sont aussi importantes que dans un film de Lubitsch. Le deuxième endroit, par opposition, est sombre et difficile à cerner. C'est un lieu de violence, uniquement masculin (bien que plus ordonnée, la prison, l'autre lieu masculin du film, partage bien des caractéristiques avec ce bar).

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Pour débloquer cette situation qui pourrait ne jamais en finir, il faut opérer une translation. Ce sera le glissement vers l'entrepôt, lieu proche mais assez difficile à situer précisément. Le dénouement s'y déroule sous la forme de l'affrontement classique de deux groupes mais en se jouant, encore une fois, sur un axe, sur la ligne tracée par la marche de Joe Burdette et de Dude l'un vers l'autre lors de l'échange.

Rio Bravo, c'est la cohérence d'un espace et une extraordinaire continuité cinématographique.

La mise en scène de Hawks est d'une fluidité incomparable, prenant appui sur une technique impeccable. Pendant cent quarante et une minutes, pas un seul plan ne jure et aucun ne peut être qualifié de facile ou de médiocre. Ce sont des plans d'ensemble ou des plans moyens. Il n'y a pas, ou très peu, de gros plans, même lorsqu'il s'agit de souligner une réaction, même lorsqu'il faut montrer une mimique de Stumpy ou d'un Chance complètement désarçonné par Feathers. Ces plans ne taillent pas dans la séquence et ne brisent pas la continuité. Ils sont à rapprocher de ceux qui montrent par exemple Chance prêt à intervenir dans un moment de tension, esquissant un geste de soutien qu'il n'a finalement pas à réaliser.

Cette juste distance entre la caméra et l'acteur sert bien sûr à toujours fondre le corps et le décor. Elle sert aussi à préserver la sensation du vrai, en mettant en valeur les gestes, que ceux-ci soient signifiants (la difficulté qu'a Dude à rouler ses cigarettes) ou pas (Chance a du mal à enfiler la manche de sa veste, Dude a la manie de ramasser une poignée de terre).

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On agit mais on discute aussi pas mal, dans Rio Bravo. Souvent, ces discussions s'enclenchent suite à la demande faite par quelqu'un qu'on lui raconte ce qui vient de se passer à l'instant. Et là encore, Hawks varie les plaisirs, en faisant couper court (Pat Wheeler arrêtant Chance avant que celui-ci ne lui explique ce que Dude lui a déjà dit), en faisant rebondir sur autre chose (Colorado éclairant Chance et ses adjoints sur la signification de la musique jouée par les Mexicains), en donnant au fait une autre couleur (l'œil au beurre noir de Carlos suite à coup reçu non pas de Consuela mais de Feathers).

Répétitions et dialogues font la longueur du film mais le style reste vif et sec. Quand Chance et Dude recherchent le tueur de Wheeler dans le saloon de Burdette, Hawks a besoin d'un seul plan pour montrer où il se niche, au dessus de toute le monde. Après avoir montré les gouttes de sang tombant dans le verre sur le comptoir, il ne remonte pas sa caméra pour faire le lien visuel mais enchaîne avec Dude qui dégaine. Toujours cette impression de vivacité.

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Et cette impression de personnages en action. Des actions qu'ils doivent faire. Les vives discussions et les conflits dans le groupe de Chance ne viennent jamais à la suite de jugements moraux portés sur les uns ou les autres mais à propos de la capacité ou de la faillite d'untel à agir en fonction de ses attributions. Ainsi, si l'on entend parfois posée la question "Te sens-tu assez fort ?", on doit moins y déceler un éloge de la force qu'une interrogation légitime sur une aptitude (et sur un plan moins dramatique, on imagine pas Chance-Wayne chanter avec Dude-Martin et Colorado-Nelson : il se tient donc à l'écart de la scène). Dans ce groupe, la loyauté n'est jamais en doute et, même s'il contient un infirme et un ivrogne (et bientôt un Mexicain sachant mal manier les armes), il permet de tracer clairement la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

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Revoir Rio Bravo à intervalles réguliers est une très bonne chose.

 

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de Howard Hawks

(Etats-Unis / 141 min / 1959)

Commentaires

  • Raaaaaah quel film...

  • Je re-commente après lecture. Bravo pour t'être lancé à l'assaut d'un tel film. Typiquement le genre de film sur lequel je n'oserai jamais écrire, incapable d'analyser ou de décrire. Ne serait-ce que la première scène, l'introduction, pour moi c'est comme Mizoguchi, Ray (pour "Les Amants de la nuit"), Ophuls, certains Renoir, je n'arrive pas à voir, ou à comprendre, mes yeux glissent dessus ou bien s'accrochent trop pour voir la suite, et arrivé au cinquième plan je n'ai pas encore compris, je me demande quels étaient les quatre premiers plans tant ils sont parfaits et m'ont tous laissé pantois. Bravo donc.

    La scène des deux chansons... Et la scène où Dean verse son verre dans le goulot de la bouteille, avec la musique des mexicains, ralala...

  • Tout est dit :)

  • Pour Rémi, je crois que l'impression est trompeuse. J'ai mis du temps à me décider à écrire sur ce film, pas tant parce que j'étais impressionné (je le suis) mais parce que je ne savais pas par ou commencer. Chapeau à Edouard d'avoir réussi à rester synthétique. Le film est tellement riche, la mise en scène de Hawks tellement "offerte" (lisible, élégante, signifiante) qu'elle peut se prêter à des interventions sans fin. Lancez vous.
    C'est malin, je sens que je vais encore avoir envie de le voir.

  • Je crois que devant ce type de classique "immense", soit on laisse glisser, on se dit que ce n'est pas la peine d'écrire des choses qui, de toute façon, ne seront pas du tout originales, soit on trouve un petit espace, un angle (ici cette idée de segment), à partir duquel on commence à réfléchir et qui finit par donner envie de se lancer, de broder et d'élargir peu à peu (tout en sachant que les idées que l'on pourra avancer ont déjà été exposées, en mieux, par beaucoup d'autres).
    Personnellement, j'oscille entre les deux positions et j'hésite souvent. Mais je pense qu'il est bien de s'y frotter un peu de temps en temps...

  • Tu as tout à fait raison. Surtout quand ça donne de belles critiques comme ça :)

  • Je te cite: "Rio Bravo, c'est la cohérence d'un espace et une extraordinaire continuité cinématographique."
    Rien,mais alors rien à rajouter si ce n'est que tes analyses sont toujours aussi pertinentes.

  • De mon côté, mon papier, c'est un peu "Rio Bravo pour les Nuls", donc pas vraiment original...

    J'adore cette façon de déplier un film et d'en retrouver le patron : spirale, cercle, ellipse ou ici un simple segment. Je trouve fascinant cette transformation de la pellicule en figure géométrique.

    Il me semble que Hawks renouvelle l'archétype du western, de ses personnages et de ses situations, et en même temps qu'il apporte (je ne saurais dire si c'est une caractéristique de ce genre-là dans les années 1950 ou 1960), par les plans vidés, rien de trop dans les décors et même l'inverse, une capacité à extraire l'essence même du western.

    C'est le cas aussi dans La captive aux yeux clairs, autre segment, autre fascination.

  • (Non, ce blog n'est pas à l'abandon. Il est juste en mode pause pour quelques jours encore. Quelques changements à prévoir, peut-être. Réflexion en cours.)

    Eeguab : Merci beaucoup.

    Benjamin : Si cela peut te rassurer, je ne trouve pas que ton texte soit destiné aux "nuls". La façon dont tu replaces Rio Bravo dans l'histoire du western m'intéresse. N'étant guère spécialiste, je ne saurai préciser si l'épure de la mise en scène par Hawks est si décisive. Cette sensation, on doit pouvoir la retrouver, je pense, devant quelques autres westerns de "série B" (ou même chez Anthony Mann, il faudrait que je revois les films), mais dans le cadre de productions plus "confortables", Rio Bravo, semble se ditinguer effectivement par son aspect "dénudé" et répétitif.

  • Bonjour Ed, Rio Bravo est le western parfait. Rien à dire. Rien que pour de tels films, le cinématographe est une belle invention. Bonne après-midi.

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