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aventures

  • 7 contre 7

    Il y a entre Les Sept Samouraïs et Les Sept Mercenaires un océan, une culture et six ans d'écart. Il y a aussi, entre le jidai-geki d'Akira Kurosawa et le western de John Sturges, l'espace qui sépare un chef d'œuvre du cinéma d'aventures historiques et un honnête film populaire. Sur l'écran, les samouraïs s'activent une bonne heure de plus que les mercenaires. Cette différence de durée est-elle la conséquence logique de l'opposition entre contemplation orientale et concision hollywoodienne ? Assurément non, le rythme étant aussi rapide d'un côté que de l'autre. Le défaut du film américain, plus visible encore lorsqu'il est placé juste à côté de son modèle, est de rendre au spectateur les choses, les actions, les caractères et les décisions trop évidentes. Il suffit à Kurosawa d'un trait lorsque Sturges s'acharne à nous faire tout le dessin.

    Si l'on peut qualifier le premier film de grande fresque historique, c'est que la matière y est d'une richesse incroyable. Mais celle-ci nous est offerte avec une vigueur et une simplicité éblouissantes. Et cela tout le long du film. Prenons par exemple, à la fin, l'expression du choix du plus jeune du groupe (Katsushiro le samouraï ou Chico le mercenaire), pris entre son désir de poursuivre sa route avec les deux autres survivants et celui de rester au village auprès de la paysanne qu'il aime. Kurosawa fait se succéder quelques plans emplis de dignité, laisse sortir son jeune personnage du cadre dans lequel reste ses deux amis, le reprend un peu plus loin, droit, observant la jeune femme, et s'arrête là. La mise en scène est claire sans être insistante. Sturges, lui, ne signale pas esthétiquement la séparation et, accompagnant Chico jusqu'à sa bien aimée, le montrant en train de se retrousser les manches et de détacher son ceinturon, joue uniquement sur la corde émotionnelle.

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    Chez Kurosawa : une vivacité du trait qui n'empêche jamais la préservation de zones de flou. Chez Sturges : la tentation de l'efficacité qui entraîne plus d'une fois vers la facilité dramaturgique. On peut également évoquer la différence d'approche du monde des paysans. Dans le western, la méfiance que peuvent inspirer ces derniers est essentiellement nourrie par des retournements de situation, comme lorsque quelques pleutres font entrer le tyran Calvera dans le village en l'absence provisoire des mercenaires. Kurosawa, de son côté, ne cherche pas à trancher de manière aussi simpliste mais préfère avancer dans sa description par notations successives. L'évolution du rapport de confiance entre les victimes et leurs défenseurs se fait par petites découvertes mettant la volonté d'engagement de ces derniers à l'épreuve : vieilles armures de samouraïs tués, nourriture et saké la veille du combat décisif...

    Le cinéaste japonais s'intéresse-t-il moins à ces paysans ? Sans doute. Mais la caractérisation peu poussée, en regard de celle qui à cours dans le Sturges, peut être aussi considérée comme une moins grande concession au goût du public. On trouve en effet moins de rires d'enfants (le rapport entre ceux-ci et Kikuchiyo/Mifune est beaucoup moins développé dramatiquement que celui concernant Bernardo/Bronson) et moins de héros révélés. Dans Les Sept Samouraïs, les combats ressemblent souvent à des mêlées et, vu sous cet angle, le film se révèle déjà moins individualiste (sans même que l'on s'étende sur le discours autour de la solidarité en temps de guerre proféré par Kambei ou sur la réalisation de l'étendard représentant les sept samouraïs au-dessus du village). La grande violence qui se dégage de ces séquences, accentuée bien sûr par le déchaînement des éléments et l'utilisation des lances et des sabres, est aussi celle de la lutte d'un corps social tout entier contre chaque bandit piégé. Si certains personnages de ce corps prennent plus d'épaisseur que d'autres, ils ne s'en détachent pas par un basculement arbitraire qui les ferait passer du retrait prudent à l'héroïsme guerrier. L'extrême violence dont fait preuve le jeune paysan Rikichi au fil de la bataille est contenue déjà dans la blessure béante causée par la perte de sa femme, dans la nervosité dont il fait preuve à chaque question innocente posée à ce sujet. L'affrontement est une catharsis et les plans que le cinéaste consacre à son regard halluciné, s'ils ne vont pas jusqu'à condamner cette violence, traduisent au moins l'effroi qu'elle suscite.

    Mais repassons par la dernière séquence évoquée plus haut. La sortie du cadre de Katsushiro laissait deviner un choix sans avoir à l'illustrer. Cette sortie signale aussi une recherche visuelle, impose un sens plastique. De fait, Les Sept Samouraïs est un festival de formes et de figures qui rend bien pâle l'effort westernien qui le suit. On en retient notamment l'opposition entre le haut et le bas (bandits et samouraïs viennent du sommet de la colline et surplombent le village dans sa cuvette, les tombes des sauveurs sont sur un monticule...), les images que rayent les trombes d'eau tombant du ciel comme les lances et les flèches s'abattant sur les hommes, l'omniprésence, lors du dernier affrontement, d'une boue qui ne permet plus de différencier les combattants et qui ramène, en quelque sorte, les samouraïs à la terre des paysans (en ce sens, effectivement, comme l'assène le chef, ce sont bien ces derniers qui ont gagné). Kurosawa excelle par ailleurs dans sa gestion du terrain, sa caméra embrassant le décor pour mieux relayer l'importance de la notion d'espace et aider à saisir la stratégie de défense de ses personnages, comme dans celle de la météorologie. A ce propos, il convient de rappeler que le film n'est, sur sa durée, pas si pluvieux que cela et qu'il est même assez souvent ensoleillé. Ceci est clairement un prolongement du travail de modulation des émotions effectué par le cinéaste au sein même des séquences. L'humeur y est changeante et le mélange le plus explosif est tout entier concentré dans le personnage endossé par un Toshiro Mifune semblant jouer au-delà de toute contrainte, en liberté absolue. Il faut bien l'ampleur et l'aisance des cadrages de Kurosawa pour capter toute l'énergie de cet homme en fusion, ce caractère éruptif.

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    Chez les samouraïs, la mort frappe comme la foudre, sans discernement moral, au hasard (l'un des sept disparaît bien avant le combat final). Elle n'est donnée par personne en particulier, les bandits étant chez Kurosawa encore moins caractérisés que les paysans. Elle signale bien, cependant, la fin d'une époque (ce que l'on ressentait déjà lors du recrutement, en voyant ces samouraïs réduits à s'engager pour de si modestes causes) puisque elle est à chaque fois, pour les vaillants sabreurs, donnée par balles. Le film japonais apparaît donc beaucoup plus sombre et dur que son homologue trans-Pacifique. Il privilégie l'éclair tragique plutôt que le coup de force dramatique. Kurosawa saisit le spectateur avec la révélation du sort réservé à la femme de Rikichi quand Sturges distille à peine quelques sensations liées au danger. De même, il étudie les rapports sociaux avec beaucoup plus d'attention, traçant des frontières impossibles à franchir sans une grande douleur, et, n'en restant nullement à une chaste amourette comme le fera Hollywood, évoque une véritable passion sexuelle butant sur la rigidité de la société.

    Après tout cela, que reste-t-il aux Mercenaires ? Une histoire prenante, une musique entêtante, une certaine force iconique (mais tenant bien plus au métier et au casting qu'à l'inspiration, assez faible, de Sturges).

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  • Toutes les pierres du puits

    Il suffit d’un rien pour avoir à nouveau l’envie de revenir à Moonfleet. Cette fois-ci, ce ne fut pas "rien", mais un beau texte de Ludovic Maubreuil sur Cinématique. Alors au risque d'enfoncer des portes largement ouvertes par d'autres depuis près de soixante ans...

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    Lang n’aimait pas le CinemaScope. Il l’avait bien dit lors de ses entretiens avec Peter Bogdanovich et chez Godard, mais il suffit de regarder Les Contrebandiers de Moonfleet pour s’en assurer, film dont le format lui fut imposé par la MGM (tout comme cette fin, ce plan final ensoleillé et presque guilleret, en totale opposition de ton avec les quatre-vingt minutes qui le précèdent). Moonfleet n’est assurément pas un film horizontal mais bien un film vertical, sur l’ascendance/la descendance (se trouver un père/un fils).

    Lang ne cesse "tout du long" de contrarier la propension naturelle du CinemaScope à l’étalement. Oeuvrant dans l’aventure, on s’attendrait à ce qu’il nous gratifie de chevauchées fantastiques. Or, quand Jeremy Fox s’échappe du fort sur un cheval volé, Lang ne le suit pas au-delà de la porte d’entrée, restant dans la cour, et quand les carrosses ou les cavaliers de l’armée traversent la lande, nous les voyons uniquement négocier des virages serrés sur ces pistes escarpées et étroites (presque tous les plans du film sont de studio). De même, l’évocation de contrebandiers et autres pirates appellerait de larges prises de vue sur l’océan illimité mais ici seules des petites criques à peine mordues par les vagues apparaissent à l’écran.

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    Sous le cimetière de Moonfleet, les contrebandiers ont aménagé un ingénieux réseau souterrain relié à la mer. Ces boyaux de terre sont ils vus en coupe ? Oui mais transversale. La forme de l’arcade y est soulignée, comme partout ailleurs dans le film. Et pour dessiner une arcade dans le format large, il faut remplir les côtés, ou les noircir.

    Assiste-t-on à un duel ? Celui-ci n’est nullement organisé autour des avancées et des reculs des deux adversaires. Parfaitement contenu dans l’espace de la petite pièce principale de la taverne, il se termine dans l’escalier qui la dessert, et donc sur la hauteur.

    Cette verticalité implique la mise en scène de chutes. Celles-ci sont nombreuses, volontaires ou non, éléments déterminants de la narration. Leur caractère imprévisible et brutal est souvent rendu par la sècheresse du montage et le foudroiement musical (dans les premières minutes, la terreur du jeune John Mohune est ainsi aisément partagée).

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    Le cinéphile ne cesse de revenir à Moonfleet, comme les personnages ne cessent de revenir à Moonfleet. Jeremy Fox a quitté les îles pour retrouver le domaine des Mohune et le fantôme d’Olivia, la femme aimée. Le petit John est soumis à la même attraction : toutes les tentatives pour l’éloigner se soldent par des échecs. Leurs trajectoires sont celles d’un boomerang : John saute du carrosse qui l’emmène vers la pension et débarque au domaine, Fox finit par descendre (et de quelle façon !) de celui de ses riches associés pour revenir vers le garçon…

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    Le retour, la boucle, le cercle, entier ou demi, structurent le film, comme le font les tensions verticales. Pour se battre avec Fox, le tavernier délaisse l’épée pour une hallebarde (éclair admirable et dans la continuité de l’action : on le voit faire son choix, en un instant) et le voilà qui se met à faire tourner celle-ci à bout de bras, au-dessus de lui. Ce duel est le point culminant de la révolte des contrebandiers contre leur chef. Fox est en effet constamment mis en péril, menacé d’encerclement. Dans la taverne ou la grotte, on observe parfaitement les légers déplacements des contrebandiers autour de lui.

    Il est un lieu qui conjugue idéalement verticalité et circularité : le puits. C’est donc logiquement ici, dans cette construction particulièrement "anti-cinémascopique", que Jeremy Fox va faire descendre le jeune Mohune pour récupérer le diamant et enclencher alors toute la dernière phase du récit.

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    Ce lieu, un message crypté l’a désigné préalablement. L'un des contrebandiers a involontairement mis John et son protecteur sur la voie en remarquant que le bout de papier comportait des versets bibliques correctement retranscris mais mal numérotés. Voilà, donc, à ce moment-là, justifiées deux interventions précédentes de ce brigand, deux citations de la bible. Ceci est l'un des multiples détails prouvant l'efficacité langienne. Quand Fox corrige Glennie et que celui-ci se redresse pour quitter les lieux, on remarque quelque chose dépassant de sa botte. Et oui, ce doit bien être le couteau qui manque, quelques secondes plus tard, de tuer Fox par surprise ! Quand le personnage de Jack Elam s'assoie sur une barrique dans la grotte, il fait tomber, sans s'en apercevoir, son chapeau, laissant seulement dans son dos celui de John, tapie dans l'ombre. Peu après, le gag du chapeau trop petit peut advenir. Quand Jeremy, déguisé en major, et John, se dirigent vers le puits au milieu du fort, ils disparaissent de notre vue mais le plan continue "anormalement" pour ne nous montrer qu'un garde en croisant un autre et le saluant. Tout simplement, cette fin de plan prépare la scène qui succèdera à l'épisode de la recherche du diamant : Fox a été pris réellement pour un officier et doit passer la troupe en revue.

    Cette efficacité ne souffre d'aucune facilité, tous ces plans étant "d'ensemble". Aucune coupe, aucun plan rapproché, aucune insistance sur le détail ne viennent mâcher le travail ni mettre en péril l'ordonnancement.

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    Et qu'il est beau que cette rigueur ne tue pas l'émotion ! Le jeune Jon Whiteley joue juste d'un bout à l'autre. Quant à Stanley Granger, il rend admirablement le sentiment d'une froideur, d'une distance, d'une dureté tout à coup ébranlée, cela dès la première rencontre avec ce "fils d'Olivia", puis dans toutes les autres séquences, y compris les plus simples comme celle de la proposition faite par le couple Ashwood repoussée à cause d'un départ précipité. John trouvé dans la grotte par les contrebandiers, Fox doit intervenir. L'enjeu dramatique est triple : refus apparent de jouer le jeu pervers des Ashwood, inquiétude devant la découverte d'une cachette et attachement au gosse.

    Ainsi, de chaque pierre composant le puits sans fond qu'est Moonfleet, on peut tirer un trésor.

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  • Les tribulations d'un Chinois en Chine

    Comédie d'aventures burlesque et bédéisante, Les tribulations d'un Chinois en Chine accentue mon allergie à Philippe de Broca, à son cinéma de pure surface et d'exténuantes gesticulations.

    Situé à Hong Kong, dans l'Himalaya et dans le Pacifique, le film a réellement été tourné dans ces lieux, ce qui nous permet au moins d'apercevoir, derrière la pantalonnade, quelques rues et paysages bien vivants. Sur ce fond sont plaqués des personnages sans épaisseur aucune, décalcomanies qui bougeraient sans cesse. Ils y circulent mais ne s'y intègrent pas, tout comme les dialogues dont on les a affublé, ceux-ci résonnant de manière décalée par rapport à la situation vécue.

    Dans le cadre, entre deux gags lamentables offerts par le duo Dupond-Dupont Mario David et Paul Préboist, on parle haut et fort, on est étourdi par les couleurs, on brasse de l'air. Jean-Paul Belmondo, insupportable d'un bout à l'autre, saute partout, saute pour rien, saute pour sauter, saute pour montrer qu'il saute. C'est un burlesque qui ne produit rien, pas même, pour ce qui me concerne, le rire.

     

    LES TRIBULATIONS D'UN CHINOIS EN CHINE de Philippe de Broca (France - Italie, 104 min, 1965) ****

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  • Les trois mousquetaires & On l'appelait Milady

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    Adaptant Dumas, l'américano-britannique Richard Lester en remontre aux français dans le domaine de l'humour (c'était à prévoir) mais aussi de l'énergie, du rythme, de l'inventivité décorative, de la conduite de récit, de la direction de vedettes, de l'expression visuelle, bref, du cinéma. Les trois mousquetaires et sa suite, On l'appelait Milady, ont été tournés dans la continuité, avec la même équipe, ce qui les rend indissociables (contrairement à un troisième volet réalisé bien plus tard, en 1989). Si le deuxième s'étire un peu et paraît légèrement plus bavard et décousu, ils procurent, réunis, un plaisir réel.

    Jouant à fond la carte de l'aventure échevelée, Lester s'amuse à condenser le temps, à accélérer les coups de mains et les sauvetages, à conter en une poignée de plans un voyage de six jours vers Londres, à faire débouler sans crier gare Aramis dans la pièce du château où la belle Constance est retenue prisonnière. Ces emballements étaient annoncés dès le début : D'Artagnan, à peine arrivé à Paris, trouvait le moyen, dans l'école des mousquetaires, de déclencher successivement trois demandes de duel contre lui pour le même jour.

    Toutefois, les films ne sont pas que courses effrenées, le cinéaste s'entendant aussi pour ménager des pauses et pour dessiner des bifurcations. Sa narration provoque de multiples surprises : un flash-back inattendu qui s'enclenche, des projets ou des tentatives qui tournent court, des actions montées en parallèle qui dynamisent... Si dans le premier épisode le foisonnement oblige à ne guère développer, une fois qu'elle a été dessinée à grands traits (essentiellement par la manière de se battre), la personnalité des trois mousquetaires amis de D'Artagnan, ce manque est en partie comblé dans le deuxième par l'éclairage porté sur une plaie mal cicatrisée chez Athos, le plus tourmenté, physiquement et mentalement.

    Richard Lester a réussi avec cette adaptation un étrange mélange de comédie et de réalisme, l'une se nourrissant de l'autre et inversement. Le souci du détail historique n'est jamais plus évident que lors des duels et ceux-ci sont à la fois crédibles et comiques. Comme dans la réalité, ils fourmillent d'actes manqués, de ratages, de glissades, de bottes secrètes se révélant plus dangereuses pour celui qui les exécute que pour son adversaire. Tout cela, Lester ne le gomme pas, il s'en sert au contraire pour faire rire aussi bien que pour imposer un réalisme énergisant. Pendant ces combats, les accessoires les plus triviaux sont mis à contribution (Porthos, ni très courageux, ni très bon escrimeur, est un spécialiste), les différences de corpulence ont leur importance (Athos se bat avec sauvagerie, toute sa masse et son souffle en avant, alors que l'élégant Aramis rivalise de dextérité et d'astuces), les épées font leur poids.

    Nullement présentés comme des modèles, les mousquetaires ne reculent pas devant les entourloupes, accumulent maîtresses, nuits alcoolisées et dettes de jeu. Ils sortent également, la plupart du temps, exténués ou blessés de leurs combats. Ils peuvent ainsi partir à quatre pour l'Angleterre et vite être réduits à l'inaction, à l'exception d'un D'Artagnan obligé de se débrouiller seul dans sa mission. L'image légendaire est gentiment écornée. A la fin de leur ultime combat, D'Artagnan et Rochefort finissent littéralement à quatre pattes. Auparavant, ils avaient eu toutes les peines du monde à s'affronter dans la nuit noire d'une forêt seulement éclairée par leur lanterne respective, puis en plein jour sur une rivière gelée rendant leur maintien debout impossible. Assurément singuliers, les duels de Lester ne cherchent pas l'originalité pour l'originalité. Ils provoquent un retour au réel qui démythifie les figures sans que nous leur retirions notre sympathie, l'humour et le plaisir du spectacle aidant. L'érotisme, aussi : Milady, entravée par sa longue chemise de nuit, a ces gestes magnifiques pour la relever sans cesse de la main gauche et tenir de la droite sa dague empoisonnée lui servant à tenir en respect D'Artagnan, son amant d'un soir.

    Cheminant entre les Monty Pythons pour certains traits d'humour liés à la représentation du peuple (comme l'aubergiste légèrement dérangé qui finit par réellement passer pour fou aux yeux de tous) et Peter Greenaway pour l'étrange monumentalité et l'éxubérance esthétique caractérisant la cour du roi (ce rapprochement étant, bien sûr, un anachronisme : en 73, Lester visait plutôt le cinéma baroque de Ken Russell, auquel il emprunte d'ailleurs Oliver Reed), ce diptyque se permettant de faire passer le soleil brûlant d'Espagne pour une ambiance française bénéficie d'une distribution hors pair qu'il est difficile de ne pas passer en revue. Michael York est un tempétueux (et souvent peu sensé) D'Artagnan, encadré par trois mousquetaires complémentaires, l'imposant Oliver Reed en Athos, le distingué Richard Chamberlain en Aramis et le filou Frank Finlay en Porthos. Constance, jeune femme en péril, se présente sous les formes avenantes de Raquel Welch, parfaite en miss catastrophe attirante et moins idiote qu'elle n'en a l'air. Geraldine Chaplin est une douce reine de France, Jean-Pierre Cassel un souverain ridicule, Charlton Heston un Richelieu fatigué mais vif d'esprit, Christopher Lee un Rochefort borgne, agile et séduisant (en habit rouge, tel un Dracula, il peut, sans s'en rendre compte, remplir de sang la baignoire de Milady). Quant à Faye Dunaway...

    Partant d'aventures masculines, Les trois mousquetaires se révèle un film très féminin. Au-delà de l'importance scénaristique des intrigues amoureuses et d'une affriolante bien que violente bagarre entre Milady et Constance, il faut remarquer par exemple que la plupart des combats de cet épisode se déroulent dans des endroits réservés aux femmes (salle des blanchisseuses, couvent) ou au plus près de ceux-ci (sous les balcons de Milady). Puis, comme l'indique bien, pour une fois, le titre français, le récit se met à tourner, dans le deuxième volet, autour de la vengeance de Milady. Lester fait là de Faye Dunaway l'incarnation du mal absolu à travers ce personnage de courtisane portant la marque infâmante des catins et se jouant en retour des hommes avec une ténacité incomparable. De magnifiques gros plans (et pas seulement sur son décolletté) lui sont octroyés. On en arrive à souhaiter qu'elle survive, au loin, la-bas, entre les mains du bourreau. Auparavant, même les figurants avaient peu de chances de trépasser, mais au final, trois morts assombrissent le paysage, fulgurantes et d'autant plus cruelles. Ultime mélange réussi, ultime plaisir.

     

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    lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70slester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70sLES TROIS MOUSQUETAIRES (The three musketeers)

    ON L'APPELAIT MILADY (The four musketeers)

    de Richard Lester

    (Grande-Bretagne - Etats-Unis - Espagne - Panama / 105 & 108 min / 1973 & 1974)

  • Cartouche

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    Enlevé, correctement mis en images, convoquant pour les seconds rôles des "gueules" bien connues (Noël Roquevert, Marcel Dalio) et pour les premiers de jeunes vedettes charmantes (Belmondo, Cardinale), Cartouche n'en est pas moins un film de capes et d'épées ennuyeux, abusivement considéré comme l'un des meilleurs du genre sous pavillon français et confirmant que Philippe de Broca est bien une sorte de sous-Rappeneau. Incapable de mêler les registres afin de donner de la densité à son récit, il se contente de les alterner scolairement. A une première partie picaresque succède une seconde, très dramatique.

    Cartouche, le personnage, comme Cartouche le film, n'acquiert aucune profondeur. Les ressorts comiques, nombreux dans la première moitié, n'ont même pas l'efficacité de ceux d'un Gérard Oury des bons jours, malgré un Jean Rochefort plutôt amusant dans son rôle de compère. Tout est souligné à l'intention des spectateurs, qu'ils soient jeunes ou moins jeunes, tout est rendu plus aisé. Caractérisations, humour, ligne narrative, tout n'est que facilités. La Révolution elle-même est facile : le chemin est ouvert par le bandit au grand cœur, il n'y a qu'à le suivre.

    La fin se drape de pénombre mais ne tient à l'écran que grâce aux cordes de Georges Delerue et aux prises de vues nocturnes du chef opérateur Chritian Matras.

     

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    de broca,france,aventures,60sCARTOUCHE

    de Philippe de broca

    (France - Italie / 115 min / 1962)

  • Le Capitaine Fracasse

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    Au cours d'un homérique combat entre, d'un côté, cent brigands et, de l'autre, le seul Capitaine Fracasse, on voit ce dernier installé sur une potence en train de couper la corde soutenant un pendu dans le but d'écraser quelques combattants placés sous lui. Le héros, nous ne l'avons pas vu monter là-haut et nous ne le verrons pas plus descendre.

    On peut parler de fulgurances pour louer la mise en scène d'Abel Gance mais on ne peut guère parler que de ça tant le cinéaste aura répugner dans Le Capitaine Fracasse à soigner ses transitions entre les plans, à compter sur autre chose qu'une succession d'images fortes affichant des traits saillants, des élans poétiques, des expressions comiques (la vie et le théâtre se mêlant sans cesse, les performances des comédiens en deviennent souvent pénibles). Le roman de Théophile Gautier est déjà rocambolesque mais la hâte dont fait preuve Gance pour enchaîner les rebondissements met notre crédulité à rude épreuve.

    Cet empressement rend par ailleurs les scènes d'action parsemant ce récit de capes et d'épées difficilement lisibles. Ainsi, lors de la première, qui rend compte de l'attaque de la troupe de comédiens par un bohémien, nous comprenons le stratagème (utiliser des épouvantails pour faire croire que l'on est toute une bande) seulement lorsqu'elle est terminée. La séquence est en effet trop confusément mise en images alors qu'elle ne consiste pourtant, finalement, qu'en un face-à-face entre le voleur et le Capitaine Fracasse.

    Il resterait bien sûr à savoir à quel point les conditions de tournage d'une part (le film fut réalisé en 1942) et de montage d'autre part peuvent expliquer ce qui apparaît comme un ratage. Un ratage qui peut tout de même être qualifié d'intéressant car l'emphase, la naïveté poétique, la franchise romanesque ainsi que l'audace du cinéaste, même si elle est souvent mal placée, font de ce Capitaine Fracasse une curiosité plutôt qu'un supplice. Il faut en effet oser rythmer un duel à l'épée par une série de rimes, comme chez Edmond Rostand (et ne pas montrer le dernier geste mais seulement son résultat, quelques secondes plus tard), ou entamer son récit par un prologue lugubre et intrigant, trouvant son pendant dans les dernières minutes, lors d'un dénouement heureux qui ne rassure cependant qu'à moitié tant l'hypothèse d'une folle hallucination du héros reste recevable.

     

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    gance,france,aventures,40sLE CAPITAINE FRACASSE

    d'Abel Gance

    (France - Italie / 108 min / 1943)

  • Barbe-Noire le pirate

    walsh,etats-unis,aventures,50s

    Barbe-Noire le pirate, se tenant aussi loin des réussites du genre que de celles de Raoul Walsh, est encore moins bon que dans mon souvenir. Ce film manque terriblement de souffle et, réalisé sans grande inspiration, il possède l'étrange défaut pour une œuvre tendue vers le large de paraître fort étriqué et bavard.

    Etriqué surtout dans sa première demi-heure, durant laquelle il prend la forme d'une pièce de théâtre de fond de cale. Si l'arrivée sur une île nous fait par la suite enfin respirer un peu du grand air, nous déchantons rapidement devant ce décor de studio imposant l'usage quasi-exclusif de plans rapprochés, les rares prises de vue en extérieurs réels s'intercalant difficilement. Le format presque carré du cadre contraint l'aventure et, le carton-pâte et les transparences aidant, le monde semble ne pas exister au-delà, s'arrêtant à chaque bord de l'image.

    Bavard, le film l'est pour expliquer les multiples péripéties jalonnant le récit et pour donner vie à la fameuse truculence walshienne. C'est essentiellement Robert Newton, héritant du rôle-titre, qui prend en charge cette dernière, cabotin cannibale attirant tout à lui et roulant des yeux comme il me semblait impossible de faire.

    La désinvolture de la mise en scène peut certes devenir, accidentellement, un atout, son "étroitesse" servant bien à rendre le tohu-bohu d'un abordage, mais nombre de plans tournés par Walsh sont anodins, peu travaillés (les fausses scènes de nuit, les inserts à la longue vue) ou naïvement conçus (les amoureux au bord de l'eau, l'arrivée de Sir Morgan sur la plage). L'intérêt de histoire et l'utilité de la plupart des personnages ne dépendent que des caprices du scénario, des suprises et des coïncidences qu'il ménage. La cruauté qui peut habiter Barbe-Noire, elle-même, s'efface.

    Le jeune spectateur peut s'en contenter mais le plus âgé n'est guère passionné par le spectacle.

     

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    walsh,etats-unis,aventures,50sBARBE-NOIRE LE PIRATE (Blackbeard, the pirate)

    de Raoul Walsh

    (Etats-Unis / 99 min / 1952)

  • Les aventures de Tintin : Le secret de la Licorne & Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal

    Spielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010s

    Spielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010s

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    Spielberg meets Hergé, donc. Sauf catastrophe, il était peu probable que l'on se retrouve devant un hommage pétrifié, pas plus que devant une trahison totale. Avec ces (premières) Aventures de Tintin, le cinéaste s'approprie l'univers du dessinateur en prenant soin de parsemer son œuvre de clins d'œil dont le plus direct est aussi le plus joli (au lancement du récit, Tintin apparaît à l'écran comme en sortant de l'imagination et du pinceau de ce dessinateur s'activant dans une ville ressemblant à Bruxelles). Derrière la surface, nous sentons bien pointer les interrogations techniques, esthétiques et narratives afférant à la transposition cinématographique d'une bande dessinée. Et les réponses apportées par Spielberg et son armada, si elles apparaissent plus ou moins pertinentes, ont le mérite de provoquer la discussion.

    L'incarnation du héros reporter est, déjà, convaincante. Le personnage existe et l'émotion arrive à passer. Il faut dire cependant qu'il est le mieux loti du point de vue de l'apparence physique. Les autres ont souvent d'énormes têtes qui peuvent donner aux séquences des airs carnavalesques voire grotesques. Dès qu'un réel rapport de personnage à personnage s'installe (entre Tintin et Haddock, forcément), ce détail visuel s'oublie, mais quand nous n'avons affaire qu'à des silhouettes mal caractérisées (les Dupond-Dupont), l'effet est pénalisant.

    Du marché aux puces au Château de Moulinsart, en passant par l'appartement de Tintin, Spielberg entame son récit de manière brillante, faisant monter le souffle de l'aventure avec dextérité. Ensuite, c'est le départ pour le grand huit, le manège à sensations qui ne s'arrête plus jusqu'à la fin (qui annonce elle-même, bien sûr, un autre tour). Entre les morceaux de bravoure, impossible de reprendre son souffle. Tintin est tiré vers le film d'action contemporain (genre qui doit effectivement beaucoup au réalisateur de Duel), de façon inventive, le plus souvent, dans le mouvement général comme dans les détails (un entre mille : la tunique enflammée de Rackham le Rouge). Remarquablement travaillée est l'idée du surgissement par un côté du cadre, à tel point que le dernier, celui qu'effectue Tintin entre Haddock et son adversaire Sakharine, est espéré par le spectateur avant qu'il n'advienne réellement.

    Prenant appui cette fois-ci sur la nature de la 3D, ce motif fait depuis longtemps partie de l'ensemble qui compose l'action spielbergienne. Celle-ci retrouve toujours à un moment ou à un autre sa forme privilégiée qui est celle de la poursuite. Chez le cinéaste, c'est une folle percée de deux antagonistes qui se dirigent vers le même point mais qui tentent chacun d'exercer une force sur le flan de l'autre qui le ferait dévier de sa trajectoire. A chaque fois, la scène est complexifiée. Ici, elle l'est par le réseau tortueux des rues et des toits d'une ville marocaine.

    Ce mouvement frénétique est grisant mais il provoque l'oubli des questionnements de départ. Ainsi, si spectaculaire que soit la mise en images du combat entre l'ancêtre Haddock et Rackham le Rouge, on aurait pu s'attendre à une approche plus originale et profonde de cet enchâssement de récit par le capitaine. De même, les cassures comiques de l'action portent moins bien que ce ne fut le cas auparavant et elles ont un air de déjà-vu et de déjà-entendu.

    Finalement, il me semble que la rencontre Spielberg-Hergé est une réussite dont le degré se discute essentiellement, presque exclusivement, selon les goûts esthétiques de chacun.

    De quoi sortait Spielberg avant Tintin ? Du Royaume du crâne de cristal, quatrième épisode de la série des Indiana Jones dont il constitue la grande aberration (statut que l'on pensait dévolu au deuxième, le Temple maudit de 1984) et bien vilaine ponctuation d'une passionnante décennie 2000 pour le cinéaste.

    Cet opus ressasse, renvoie sans conviction au passé en proposant des variations toujours appauvries. Le contexte est celui du maccarthysme et l'idée, plutôt amusante, d'une effective infiltration des soviétiques dans les moindres recoins de l'Amérique, semble affleurer. Mais Spielberg préfère s'intéresser au décorum et à la jeunesse en pleine fureur de vivre, dans une vision encombrée des clichés les plus répandus. Jusque dans les moments d'action, le film vire à la parodie, ne semble tenir que sur cela.

    Le brio de la mise en scène des séquences les plus mouvementées sauvait à peu près le deuxième épisode. Cette fois, l'action est engluée dans une hideuse esthétique de jeu vidéo et le fantastique ainsi numérisé perd tout pouvoir magique. A titre d'exemple, citons cette poursuite dans la jungle particulièrement laide et agrémentée d'un gag débile en référence à Tarzan. Les péripéties s'enchaînent donc dans l'indifférence, au fil d'une intrigue simple mais qui nous paraît opaque tellement notre intérêt est faible.

    L'important est qu'Indy a un fils (à ceux qui n'auraient pas vu le film, je ne dévoile rien : on s'en doute dès le premier dialogue). En 1989, Spielberg nous avait déjà présenté son père mais cette fois la révélation familiale n'a pas du tout la même force. Elle tient de la pure routine car elle n'ouvre absolument sur rien, si ce n'est un pauvre jeu de répliques autour de la nécessité, ou pas, de poursuivre des études.

    Espérons que ce volet soit le dernier, qu'il n'y ait pas d'histoire de descendance, Shia LaBeouf n'ayant pas du tout les épaules pour reprendre le chapeau et le fouet d'Harrison Ford. La flamme est plus vive dans les yeux retravaillés de Jamie "Tintin" Bell que dans ceux du Professeur Jones et de son fils. Oui, il y a vraiment de quoi dire : adieu Indy, bienvenue Tintin.

     

    Spielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010sSpielberg,Etats-Unis,Aventures,2000s,2010sINDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL (Indiana Jones and the kingdom of the crystal skull)

    LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE (The adventures of Tintin)

    de Steven Spielberg

    (Etats-Unis & Etats-Unis - Nouvelle-Zélande / 122 min & 107 min / 2008 & 2011)

  • Detective Dee : Le mystère de la flamme fantôme

    Hark,Chine,hong-kong,aventures,2010s

    ****

    Alors que je m'attendais à revivre l'agréable expérience des deux premiers volets de la série Tsui Harkienne Il était une fois en Chine, le début de Detective Dee m'a quelque peu inquiété. En guise d'introduction, la visite d'un chantier destiné à l'achèvement d'une immense statue dressée à la gloire de la future impératrice Wu Ze Tian (nous sommes en Chine, à la fin du septième siècle) donne en effet lieu à une débauche numérique qui veut dire le gigantisme et qui a plutôt tendance, au contraire, à nous faire perdre tout sens des proportions. Devant ce spectacle, je me suis alors fait la réflexion suivante : ici, Tsui Hark, qui pourrait être rapproché du Steven Spielberg d'Indiana Jones, est en fait plus proche de Jean-Pierre Jeunet ou même de Luc Besson. La suite allait-elle corriger cette première impression peu encourageante et apporter des éléments qui justifieraient pleinement le fait que ce retour du cinéaste lui ait valu en avril une double couverture, chez les Cahiers du Cinéma et à Positif ? Ma réponse a balancé pendant les deux heures de projection entre le oui et le non, pour s'arrêter, au final, pile au milieu.

    Il est heureux que la moitié du métrage soit consacrée aux combats car ils sont pratiquement tous admirables. Seul celui que mène Dee au Temple du Grand Prêtre m'a paru gâché par les effets spéciaux, alors que le décor qui l'accueille est fabuleux. Le long passage du "Marché fantôme" est, lui, réellement splendide et se constitue presque en "film dans le film". La vivacité du découpage rend les mouvements assez beaux et atténue en même temps l'irréalisme des prouesses physiques. Tsui Hark sait par ailleurs rendre l'épaisseur de la nuit. Dans Detective Dee, le soleil est synonyme de mort : une grande partie du film est donc nocturne et la présence d'un personnage albinos, ainsi que le parcours du héros, tiré puis renvoyé vers les ténèbres, ne sont pas des éléments anodins.

    Les rapports qui s'établissent entre les personnages sont relativement conventionnels mais ne sont pas dénués d'intérêt et leur rupture peut même provoquer l'émotion. Mais la dimension la plus stimulante du film se trouve ailleurs. Le récit propose une série d'actes mystérieux et détaille les tentatives de résolution. Or, Tsui Hark tient un équilibre, notamment grâce à la vitesse insensée qu'il impose à ses images et qui nous empêche par conséquent, à plusieurs reprises, d'être totalement sûr d'avoir réellement vu ce que nous croyons avoir vu. Cet équilibre, il est entre l'illusion de l'acte magique et le dévoilement du tour (que l'enquête nous ramène régulièrement vers l'intérieur du colosse, dans la machinerie, est un tropisme signifiant). Des explications rationnelles sont finalement toujours avancées mais elles ne parviennent pas à dépouiller entièrement le sujet des ses habits fantastiques, ce qui évite que l'on se dise au dénouement : "Ce n'était que ça". Si le fin mot de l'histoire est donné, le parfum de mystère persiste.

    Mais, comme je l'ai laissé entendre plus haut, Detective Dee n'est pas dépourvu de défauts, loin de là. Évoquons les quelques plans hideux de "transfigurations", l'abondance des dialogues entre deux scènes d'action et, parfois, leur redondance par rapport à ce que dit l'image, et l'articulation difficile entre l'intrigue tortueuse à dominante policière et la mise à jour des rivalités de cour. Plus gênant encore me paraît être la grandiloquence qui habite aujourd'hui ce type de production, haut de gamme du genre où cohabitent Zhang Yimou, John Woo et, donc, Tsui Hark. Les séquences de palais chutent sans retour vers l'emphase et ennuient. Enfin, il est difficile de ne pas relever le message politique véhiculé par le film. Dee, l'ancien rebelle, doit composer avec le pouvoir, se mettre finalement au service du despote, dans l'espoir éventuel de le rendre un jour "éclairé". Ce calcul est pour le moins risqué. A cela s'ajoute cette idée qu'il existerait une "bonne dictature", celle exercée par le pouvoir en place, et une "mauvaise dictature", celle que sont susceptibles d'installer les sournois adversaires, intérieurs ou extérieurs. Cet éloge de la soumission fait de Detective Dee un bel étendard chinois.

     

    Hark,Chine,hong-kong,aventures,2010sDETECTIVE DEE : LE MYSTÈRE DE LA FLAMME FANTÔME (Die Renjie)

    de Tsui Hark

    (Chine - Hong Kong / 123 mn / 2010)