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Spielberg meets Hergé, donc. Sauf catastrophe, il était peu probable que l'on se retrouve devant un hommage pétrifié, pas plus que devant une trahison totale. Avec ces (premières) Aventures de Tintin, le cinéaste s'approprie l'univers du dessinateur en prenant soin de parsemer son œuvre de clins d'œil dont le plus direct est aussi le plus joli (au lancement du récit, Tintin apparaît à l'écran comme en sortant de l'imagination et du pinceau de ce dessinateur s'activant dans une ville ressemblant à Bruxelles). Derrière la surface, nous sentons bien pointer les interrogations techniques, esthétiques et narratives afférant à la transposition cinématographique d'une bande dessinée. Et les réponses apportées par Spielberg et son armada, si elles apparaissent plus ou moins pertinentes, ont le mérite de provoquer la discussion.
L'incarnation du héros reporter est, déjà, convaincante. Le personnage existe et l'émotion arrive à passer. Il faut dire cependant qu'il est le mieux loti du point de vue de l'apparence physique. Les autres ont souvent d'énormes têtes qui peuvent donner aux séquences des airs carnavalesques voire grotesques. Dès qu'un réel rapport de personnage à personnage s'installe (entre Tintin et Haddock, forcément), ce détail visuel s'oublie, mais quand nous n'avons affaire qu'à des silhouettes mal caractérisées (les Dupond-Dupont), l'effet est pénalisant.
Du marché aux puces au Château de Moulinsart, en passant par l'appartement de Tintin, Spielberg entame son récit de manière brillante, faisant monter le souffle de l'aventure avec dextérité. Ensuite, c'est le départ pour le grand huit, le manège à sensations qui ne s'arrête plus jusqu'à la fin (qui annonce elle-même, bien sûr, un autre tour). Entre les morceaux de bravoure, impossible de reprendre son souffle. Tintin est tiré vers le film d'action contemporain (genre qui doit effectivement beaucoup au réalisateur de Duel), de façon inventive, le plus souvent, dans le mouvement général comme dans les détails (un entre mille : la tunique enflammée de Rackham le Rouge). Remarquablement travaillée est l'idée du surgissement par un côté du cadre, à tel point que le dernier, celui qu'effectue Tintin entre Haddock et son adversaire Sakharine, est espéré par le spectateur avant qu'il n'advienne réellement.
Prenant appui cette fois-ci sur la nature de la 3D, ce motif fait depuis longtemps partie de l'ensemble qui compose l'action spielbergienne. Celle-ci retrouve toujours à un moment ou à un autre sa forme privilégiée qui est celle de la poursuite. Chez le cinéaste, c'est une folle percée de deux antagonistes qui se dirigent vers le même point mais qui tentent chacun d'exercer une force sur le flan de l'autre qui le ferait dévier de sa trajectoire. A chaque fois, la scène est complexifiée. Ici, elle l'est par le réseau tortueux des rues et des toits d'une ville marocaine.
Ce mouvement frénétique est grisant mais il provoque l'oubli des questionnements de départ. Ainsi, si spectaculaire que soit la mise en images du combat entre l'ancêtre Haddock et Rackham le Rouge, on aurait pu s'attendre à une approche plus originale et profonde de cet enchâssement de récit par le capitaine. De même, les cassures comiques de l'action portent moins bien que ce ne fut le cas auparavant et elles ont un air de déjà-vu et de déjà-entendu.
Finalement, il me semble que la rencontre Spielberg-Hergé est une réussite dont le degré se discute essentiellement, presque exclusivement, selon les goûts esthétiques de chacun.
De quoi sortait Spielberg avant Tintin ? Du Royaume du crâne de cristal, quatrième épisode de la série des Indiana Jones dont il constitue la grande aberration (statut que l'on pensait dévolu au deuxième, le Temple maudit de 1984) et bien vilaine ponctuation d'une passionnante décennie 2000 pour le cinéaste.
Cet opus ressasse, renvoie sans conviction au passé en proposant des variations toujours appauvries. Le contexte est celui du maccarthysme et l'idée, plutôt amusante, d'une effective infiltration des soviétiques dans les moindres recoins de l'Amérique, semble affleurer. Mais Spielberg préfère s'intéresser au décorum et à la jeunesse en pleine fureur de vivre, dans une vision encombrée des clichés les plus répandus. Jusque dans les moments d'action, le film vire à la parodie, ne semble tenir que sur cela.
Le brio de la mise en scène des séquences les plus mouvementées sauvait à peu près le deuxième épisode. Cette fois, l'action est engluée dans une hideuse esthétique de jeu vidéo et le fantastique ainsi numérisé perd tout pouvoir magique. A titre d'exemple, citons cette poursuite dans la jungle particulièrement laide et agrémentée d'un gag débile en référence à Tarzan. Les péripéties s'enchaînent donc dans l'indifférence, au fil d'une intrigue simple mais qui nous paraît opaque tellement notre intérêt est faible.
L'important est qu'Indy a un fils (à ceux qui n'auraient pas vu le film, je ne dévoile rien : on s'en doute dès le premier dialogue). En 1989, Spielberg nous avait déjà présenté son père mais cette fois la révélation familiale n'a pas du tout la même force. Elle tient de la pure routine car elle n'ouvre absolument sur rien, si ce n'est un pauvre jeu de répliques autour de la nécessité, ou pas, de poursuivre des études.
Espérons que ce volet soit le dernier, qu'il n'y ait pas d'histoire de descendance, Shia LaBeouf n'ayant pas du tout les épaules pour reprendre le chapeau et le fouet d'Harrison Ford. La flamme est plus vive dans les yeux retravaillés de Jamie "Tintin" Bell que dans ceux du Professeur Jones et de son fils. Oui, il y a vraiment de quoi dire : adieu Indy, bienvenue Tintin.
INDIANA JONES ET LE ROYAUME DU CRÂNE DE CRISTAL (Indiana Jones and the kingdom of the crystal skull)
LES AVENTURES DE TINTIN : LE SECRET DE LA LICORNE (The adventures of Tintin)
de Steven Spielberg
(Etats-Unis & Etats-Unis - Nouvelle-Zélande / 122 min & 107 min / 2008 & 2011)
Commentaires
Pourtant, c'est plus rare d'avoir un fils que d'avoir un père (ce qui, sauf erreur dans ma formation scientifique, est obligatoire). La révélation aurait dû plus surprendre. Je n'ai pas vu le quatrième Indiana Jones (j'aime bien le deuxième - peut-être parce que Spielberg pense beaucoup à Lang - même s'il s'agit du plus faible de la trilogie) mais il a, effectivement, l'air nul - ce qui est d'autant plus dommage que Spielberg sortait effectivement d'une très bonne période et que je l'apprécie particulièrement dans ses films d'aventures.
Quant à son Tintin, je suis assez réservé mais d'accord avec ton idée selon laquelle le degré de la réussite se discute selon les goûts esthétiques de chacun. Ce qui, d'ailleurs, tendrait à indiquer que réussite, il y a mais qu'elle a ses limites.
Bien vu (bien lu), Antoine ! Je vais quand même corriger cette formulation malheureuse...
Le deuxième,je me dis qu'il faudrait que je le revois. Cela fait une éternité et peut-être avais-je été alors trop sensible aux mauvaises vibrations critiques. J'aime beaucoup le 1er et le 3ème.
Plus enthousiaste que toi, mais globalement d'accord, sauf sur ce qui est du rendu des personnages. C'est avec Tintin que j'ai le plus de mal alors que j'ai adoré les figures secondaires, Nestor en particulier.
Sur les Indiana Jones, il me semble qu'on avait abordé le sujet en un autre temps, j'aime beaucoup le second que je trouve plus personnel, avec un côté hawksien dans la relation entre Jones et Willie. J'avais été assez déçu par le troisième opus qui me semble un remake assaisonné de Connery du premier (impeccable), manquant aussi d'un personne féminin intéressant. Hélas, assez d'accord sur le quatrième dont je me demande toujours ce qui l'a motivé. je trouve pourtant que la première partie n'est pas sans charme.
Bonsoir Edouard, pas encore vu Tintin. Je suis un peu réticente. Pour moi, Tintin, c'est la BD sur papier et des voix que l'on imagine dans sa tête. Si j'y vais, cela sera en 2D et en VF. Concernant Indiana Jones, j'avais bien apprécié la "méchante" Cate Blanchett et le fait de retrouver Karen Allen, 27 ans après. Quant au film, il en vaut un autre surtout que j'étais restée sur une très mauvaise impression de Spielberg réalisateur avec Munich (ce film est une purge). Bonne soirée.
Vincent : J'aime vraiment le personnage de Tintin, je trouve qu'il a une consistance (c'est grâce notamment aux scènes réussies du début, je pense). Les autres m'intéressent moins (mais c'est vrai que Nestor est pas mal du tout, cette présence furtive...).
Nos préférences autour d'Indiana Jones, nous les avions en effet déjà évoqué (après une note "C'était mieux avant" sans doute). Le pathétique N°4 (dont le début n'est effectivement pas le pire moment) a au moins un avantage : il donne envie de revoir les trois premiers.
Dasola : Je pense tout de même qu'il faut tenter l'expérience, qui est assez intéressante à mon avis. Pour ma part, accompagné, c'était de la 3D et de la VF.
Quant à Indiana Jones, les retrouvailles avec Karen Allen m'ont laissé totalement froid. A nouveau, je n'y ai vu que pure routine.
Et pour finir, nous sommes en désaccord sur Munich, que je considère comme le meilleur Spielberg de la décennie passée, avec A.I. et Minority report.
Bonne soirée à toi.