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chine

  • Ma vie

    mavie.jpg

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    L'intérêt de ce classique chinois est principalement historique et patrimonial. Il a pour lui une réalisation correcte et une interprétation de qualité (Shi Hui est le metteur en scène et l'acteur principal) mais il n'est pas très enthousiasmant pour qui garde par exemple le souvenir du contemporain Printemps dans une petite ville de Fei Mu, l'un des rares titres datant de cette période de la fin des années quarante à être connu par chez nous.

    Au-delà du rythme des scènes et de leur organisation qui tentent de retrouver la vie mais en en passant plutôt vers la clarté artificielle du théâtre (dans la rue, au milieu des groupes, on passe d'un intervenant à l'autre très nettement, sans chevauchement de parole, ni mélange des gestes), c'est surtout le didactisme absolu de la démarche qui gêne. Dans Ma vie, récit de quarante années de l'existence d'un pauvre homme par lui-même, tout donne l'impression d'être expliqué plutôt que vécu. Compréhensible lorsqu'il s'agit d'aborder les questions sociales, politiques et historiques, cette position l'est moins lorsqu'elle gangrène l'expression des sentiments. Plus d'une fois le héros explique à un tiers, et donc à nous, ce qu'il ressent, sa parole se substituant alors avec trop de facilité au travail de la mise en scène.

    L'originalité du film tient dans le choix de ce héros, un petit homme banal qui devient agent de police dans un quartier de Pékin et qui se trouve plongé dans une misère grandissante au fil des années. Ses souvenirs personnels se cognent à la représentation de la grande histoire, celle qui broie le peuple chinois à travers joug impérial, invasions et domination japonaises, montée en force des profiteurs et des nantis. Dans cette masse, quelques individus, essentiellement des étudiants, se lancent dans l'aventure de la Révolution communiste. Mais la majorité, celle qui est symbolisée par le héros, courbe l'échine, se plaint chaque jour sans se révolter, pas même lorsque des proches sont assassinés. Bons et méchants sont clairement identifiés mais l'homme, devenant vieux, répète de plus en plus souvent qu'il "ne comprend rien" à tout cela. On se dit que la violence ayant cours autour de lui devrait pourtant l'aider à y voir clair car, si celle-ci reste dans les limites autorisés par l'époque, elle n'en est pas moins appuyée dramatiquement et paraît presque complaisante à trop vouloir édifier le spectateur.

    L'une des dernières séquences est difficilement supportable. Le héros, longuement torturé par les anciens alliés des Japonais, contre-révolutionnaires au pouvoir, est renvoyé dans une cellule de la prison. Il tombe alors sur son ami, un leader communiste, disparu depuis dix ans mais qui va, dans les instants qui suivent se faire fusiller. Bien qu'on le devine très éprouvé par les sévices, il va toutefois se lancer devant celui-ci, de manière tout à fait articulée, dans un monologue poignant sur le peuple martyrisé.

    Ma vie est donc un film d'avant la proclamation de la République Populaire de Chine. Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, il ne montre pas les révolutionnaires à l'action mais les nombreuses souffrances de ceux qu'ils sont supposés libérer. Malheureusement, ce regard plus réaliste et plus intime n'en est pas moins dépourvu de pesant didactisme, ce qui rend l'œuvre, malgré ses promesses et ses efforts, rigide et univoque.

     

    mavie00.jpgMA VIE (Wo zhe yi bei zi)

    de Shi Hui

    (Chine / 100 min / 1950)

     

    Source photos : Chinese-shortstories

  • Detective Dee : Le mystère de la flamme fantôme

    Hark,Chine,hong-kong,aventures,2010s

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    Alors que je m'attendais à revivre l'agréable expérience des deux premiers volets de la série Tsui Harkienne Il était une fois en Chine, le début de Detective Dee m'a quelque peu inquiété. En guise d'introduction, la visite d'un chantier destiné à l'achèvement d'une immense statue dressée à la gloire de la future impératrice Wu Ze Tian (nous sommes en Chine, à la fin du septième siècle) donne en effet lieu à une débauche numérique qui veut dire le gigantisme et qui a plutôt tendance, au contraire, à nous faire perdre tout sens des proportions. Devant ce spectacle, je me suis alors fait la réflexion suivante : ici, Tsui Hark, qui pourrait être rapproché du Steven Spielberg d'Indiana Jones, est en fait plus proche de Jean-Pierre Jeunet ou même de Luc Besson. La suite allait-elle corriger cette première impression peu encourageante et apporter des éléments qui justifieraient pleinement le fait que ce retour du cinéaste lui ait valu en avril une double couverture, chez les Cahiers du Cinéma et à Positif ? Ma réponse a balancé pendant les deux heures de projection entre le oui et le non, pour s'arrêter, au final, pile au milieu.

    Il est heureux que la moitié du métrage soit consacrée aux combats car ils sont pratiquement tous admirables. Seul celui que mène Dee au Temple du Grand Prêtre m'a paru gâché par les effets spéciaux, alors que le décor qui l'accueille est fabuleux. Le long passage du "Marché fantôme" est, lui, réellement splendide et se constitue presque en "film dans le film". La vivacité du découpage rend les mouvements assez beaux et atténue en même temps l'irréalisme des prouesses physiques. Tsui Hark sait par ailleurs rendre l'épaisseur de la nuit. Dans Detective Dee, le soleil est synonyme de mort : une grande partie du film est donc nocturne et la présence d'un personnage albinos, ainsi que le parcours du héros, tiré puis renvoyé vers les ténèbres, ne sont pas des éléments anodins.

    Les rapports qui s'établissent entre les personnages sont relativement conventionnels mais ne sont pas dénués d'intérêt et leur rupture peut même provoquer l'émotion. Mais la dimension la plus stimulante du film se trouve ailleurs. Le récit propose une série d'actes mystérieux et détaille les tentatives de résolution. Or, Tsui Hark tient un équilibre, notamment grâce à la vitesse insensée qu'il impose à ses images et qui nous empêche par conséquent, à plusieurs reprises, d'être totalement sûr d'avoir réellement vu ce que nous croyons avoir vu. Cet équilibre, il est entre l'illusion de l'acte magique et le dévoilement du tour (que l'enquête nous ramène régulièrement vers l'intérieur du colosse, dans la machinerie, est un tropisme signifiant). Des explications rationnelles sont finalement toujours avancées mais elles ne parviennent pas à dépouiller entièrement le sujet des ses habits fantastiques, ce qui évite que l'on se dise au dénouement : "Ce n'était que ça". Si le fin mot de l'histoire est donné, le parfum de mystère persiste.

    Mais, comme je l'ai laissé entendre plus haut, Detective Dee n'est pas dépourvu de défauts, loin de là. Évoquons les quelques plans hideux de "transfigurations", l'abondance des dialogues entre deux scènes d'action et, parfois, leur redondance par rapport à ce que dit l'image, et l'articulation difficile entre l'intrigue tortueuse à dominante policière et la mise à jour des rivalités de cour. Plus gênant encore me paraît être la grandiloquence qui habite aujourd'hui ce type de production, haut de gamme du genre où cohabitent Zhang Yimou, John Woo et, donc, Tsui Hark. Les séquences de palais chutent sans retour vers l'emphase et ennuient. Enfin, il est difficile de ne pas relever le message politique véhiculé par le film. Dee, l'ancien rebelle, doit composer avec le pouvoir, se mettre finalement au service du despote, dans l'espoir éventuel de le rendre un jour "éclairé". Ce calcul est pour le moins risqué. A cela s'ajoute cette idée qu'il existerait une "bonne dictature", celle exercée par le pouvoir en place, et une "mauvaise dictature", celle que sont susceptibles d'installer les sournois adversaires, intérieurs ou extérieurs. Cet éloge de la soumission fait de Detective Dee un bel étendard chinois.

     

    Hark,Chine,hong-kong,aventures,2010sDETECTIVE DEE : LE MYSTÈRE DE LA FLAMME FANTÔME (Die Renjie)

    de Tsui Hark

    (Chine - Hong Kong / 123 mn / 2010)

  • Le secret des poignards volants

    zhang,chine,aventures,2000s

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    Je reconnais volontiers ne pas être très compétent en wu xia pan (le film de sabre chinois) et dès que je vois des gens se battre dans les airs en voltigeant de bambous en bambous, j'ai tendance à souffler en gonflant les joues, ce qui suffira certainement à disqualifier d'entrée cette note aux yeux des connaisseurs. Parmi les quelques noms associés au genre que j'ai pu croisé jusque là, je ne vois guère que deux exceptions à la règle qui veut que je m'ennuie profondément devant ce type de spectacle : King Hu (A touch of zen, Raining in the mountain) et Tsui Hark (essentiellement les deux premiers Il était une fois en Chine, ce qui me fait croiser les doigts en attendant l'imminente sortie de son Detective Dee). Le secret des poignards volants (le titre international, plus adéquat, est House of flying daggers, ce qui me fait dire que, maison pour maison, je préfère la House of jealous lovers, même si cela n'a absolument rien à voir) est la deuxième incursion de Zhang Yimou sur ce terrain après un Hero (2002) qui partagea beaucoup plus la critique et avant une Cité interdite (2007) qui ne se rattachera au wu xia pan que par intermittences. Ce dernier film m'avait laissé plutôt... interdit et, même si Hero me reste inconnu, la découverte de ce Secret... consolide mes deux sentiments : le genre ne m'est pas très souvent agréable et le cinéma de Zhang Yimou est à circonscrire strictement aux années 90.

    Si, concernant cette période, ma préférence va à ses œuvres les plus réalistes (Qiu Ju, une femme chinoise, Vivre, Pas un de moins), je ne fus pas forcément insensibles aux charmes formalistes de certaines autres (Epouses et concubinesShanghai triad). A ce formalisme, Le secret des poignards volants est totalement assujetti. Assurément, Zhang Yimou est un décorateur hors pair et un coloriste éblouissant, mais sur cette surface brillante, tout glisse et tout paraît vain, à l'image des dernières séquences durant lesquelles se succèdent des tonalités chromatiques différentes (du vert au blanc, bientôt taché de rouge). Le film est idéal pour l'exercice de la capture d'écran (celle-ci est d'autant plus facile que les ralentis numériques abondent), mais rendu à son mouvement, il redevient cet objet lisse et sans réel intérêt.

    Les séquences agitées contiennent tout d'abord, mal contemporain, trop de plans. Pourtant, nous dirions que parfois, il en manque... lorsque le montage escamote le mouvement pour rendre possible à l'image les actions qui ne seraient guère réalisables dans la réalité. Les combats alternent de façon bien monotone avec des moments plus calmes. Le tempo est ralenti par les intermèdes romantiques, la plupart du temps organisés en simples  champs-contrechamps (et dans les séquences "érotiques", malheureusement, Zhang Ziyi ne cesse de se contorsionner pour ne rien montrer à la caméra).

    Dans l'histoire qui nous est contée, tous les personnages sont doubles. Cette duplicité est d'abord un enjeu "policier" (Le secret des poignards volants est en quelque sorte un Infernal affairs en kimono, Andy Lau faisant d'ailleurs le lien entre les deux films) avant de devenir un enjeu amoureux. La question de la sincérité de chacun est ainsi le seul moteur de l'intrigue alors que le film semble annoncer en introduction de tortueuses manigances à l'échelle d'un empire. Au sein de celui-ci, un pouvoir corrompu lutte contre un clan rebelle et insaisissable, dont on nous dit au début et sans jamais y revenir par la suite qu'il dépouille les riches pour donner aux pauvres. Sur la durée de deux heures, seuls quatre personnages seront en fait distingués, les autres étant réduits à des silhouettes virevoltantes ou expirantes sous les lames. De plus, les vraies/fausses trahisons qui se succèdent ne font jamais l'effet du coup de tonnerre : elles laissent indifférent puisque dès les premières scènes nous est laissé le temps d'imaginer à l'avance tous les revirements dont chaque personnage semble capable, les attitudes paraissant vite trop loyales pour être honnêtes et l'intrigue étant si simple. Les acteurs, débitant des dialogues conventionnels au possible et filmés avec le plus grand sérieux, ne parviennent jamais à transcender leur statut de figure désincarnée au service du genre. L'esthétisme du cinéaste, poussé à l'extrême, et l'évolution mécanique du récit achèvent de rendre l'ensemble inutile à mes yeux.

     

    Zhang,Chine,Aventures,2000sLE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS (Shi mian mai fu)

    de Zhang Yimou

    (Chine - Hong-Kong / 119 mn / 2004)

     

  • City of life and death

    (Lu Chuan / Chine / 2009)

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    cityoflifeanddeath.jpgEn décembre 1937, dans la guerre qui l'oppose à la Chine, l'armée impériale japonaise remporte la bataille de Nankin. Après avoir massacré les soldats chinois fait prisonniers, elle commet pendant des semaines des atrocités sur les civils : viols collectifs, tortures, exécutions de masse... Le nombre de 300 000 morts est celui qui est le plus souvent avancé.

    City of life and death (Nanjing ! Nanjing !) est l'histoire de ce massacre, contée avec des moyens confortables et battant pavillon chinois. Une grande œuvre de propagande basse du front, donc ? Et bien pas du tout. Le résultat est bien plus stimulant que ce que l'on pouvait craindre en prenant connaissance de ces données de départ. En effet, si la force du récit est indéniable et si l'efficacité de la mise en scène n'est jamais prise en défaut, ce sont aussi les subtilités narratives, le soin apporté de manière égale à l'ensemble et aux détails, et enfin la volonté de ne pas recourir aux oppositions manichéennes (qui pourtant, sur cet épisode-là...) et revanchardes, qu'il convient de souligner.

    Nous présentant forcément un nombre considérable de visages et éclairant plus précisément, sur quelques jours, une poignée de destins tragiques, Lu Chuan laisse finalement son récit désigner comme personnage principal un soldat japonais qui n'aura pas eu grand chose du monstre grimaçant et sanguinaire attendu. Avec lui nous entrons dans le film et avec lui (ou presque), nous en sortons, ces extrémités constituant quasiment les deux seuls moments de calme et les deux seuls moments où l'on sente les rayons du soleil dans ce film baigné de gris (l'utilisation du noir et blanc est remarquable, la tentation de l'ésthétisme étant régulièrement désamorcée). Bien sûr, ce personnage japonais pourrait servir, grâce à son évidente intelligence, son relatif retrait face aux atrocités, et, sur la fin, ses gestes limités mais importants, de caution humaniste pour mieux charger le portrait de ses compatriotes. Or si rien ou presque ne nous est épargné des actes ignobles commis par les soldats impériaux sur les civils chinois ni de la duplicité effrayante de certains officiers, jamais la caméra de Lu Chuan ne va aller pointer une trogne, ériger une figure au rang de symbole de la barbarie nippone. La force de City of life and death réside d’abord dans sa capacité à se pencher aujourd'hui le plus sereinement et le plus frontalement possible sur cette histoire. Mais le film impressionne aussi et surtout par son refus de tendre une perche à la xénophobie anti-nippone car ce qui est recherché  ici, c'est avant tout la description d’un dérèglement dont on sent que peu de monde, quelque soit son camp, est capable d'inverser (notons également que le sacrifice le plus marquant est accepté par une victime chinoise ayant accumulé auparavant bien des erreurs et que ce sacrifice n’a pas une portée collective mais strictement familiale).

    Construit en quelques chapitres, très longs, le récit avance par blocs, de l’assaut japonais sur Nankin à la fête organisée par les officiers pour fêter la prise effective de la ville. La mise en scène de Lu Chuan organise une progression guerrière de cellules en cellules, tout d’abord en termes de terrain (les combats entre assaillants et défenseurs), puis en termes sociaux (des soldats aux prisonniers de guerre, des réfugiés aux prostituées…). Ruines et barbelés signalent les limites des cercles de l’enfer que l’on ne manquera pas de franchir plus de deux heures durant, sans que plane jamais l’ombre de la complaisance (les images de massacre des soldats faits prisonniers sidèrent d’abord parce qu’elles répondent clairement à cette question effarante : comment tuer en masse aussi efficacement ?).

    A partir d’un tel matériau, réussir un sans faute est quasiment impossible et on relèvera effectivement dans City of life and death  quelques notes de musique superflues, des regards trop appuyés et des jeux de mains fraternels en trop. Mais celui amorcé par le dénouement des liens du soldat chinois par son très jeune camarade juste avant l’exécution de masse se termine en fait sur un très beau geste, visant à protéger le garçon d’une vision atroce. Ailleurs, la maladresse du soldat visitant pour la première fois une belle et tendre prostituée, fraîchement débarquée du Japon, passe au prime abord pour un cliché avant que les retrouvailles, quelques jours plus tard, dévoilent une femme devenue l'ombre d'elle-même, au regard vide et aux gestes mécaniques. Ces deux séquences encadrent celle des premiers viols collectifs de Chinoises. Le montage prend ainsi en charge, seul, le discours sur la violence faite à toutes les femmes. Il est délivré avec force mais sans ostentation.

    Le cinéaste ménage donc surprises et subtilités plutôt étonnantes dans ce cadre-là, tout en faisant preuve d’une grande maîtrise dans la mise en scène "classique" de la guerre. Sans doute est-il redevable au Steven Spielberg du Soldat Ryan et au Clint Eastwood du diptyque Iwo Jima… mais j'ai tendance a penser que Lu Chuan, en retenant les leçons de ces modèles imparfaits, a mieux réussi son pari que les deux américains. Malheureusement pour lui, City of life and death n’est pas un film hollywoodien mais chinois et, bien qu’il ait de ce point de vue une réelle importance historique, sa sortie en salles pour le moins discrète, en plein mois de juillet, n’aura pas permis à beaucoup de spectateurs d’apprécier sa valeur (*).

     

    (*) : Raison de plus pour lier les notes consacrées au film sur Filmosphère et chez Rob Gordon.

  • La tisseuse

    (Wang Quan'an / Chine / 2009)

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    latisseuse.jpgWang Quan'an raconte l'histoire de Lili, une jeune mère de famille apprenant brusquement qu'elle est atteinte d'une leucémie et qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre. La tisseuse (Fang zhi gu niang) est un mélo en mode mineur, le registre étant celui du réalisme chinois contemporain. Venant après bien des films de ce genre, de L'orphelin d'Anyangde Wang Chao à Still lifede Jia Zhangke, il n'offre, dans sa mise en scène, rien de novateur. La caméra alterne entre mobilité et fixité selon les déplacements ou l'apathie des personnages, celui de Lili avant tout autre, accompagné jusqu'au bout, interprété par la charmante et tenace Yu Nan, qui avait déjà porté sur ses épaules le précédent film de Wang Quan'an, Le mariage de Tuya.

    La Chine apparaît à nouveau à l'écran prise dans un double mouvement, celui qui voit s'élever les buildings modernes dans le ciel de Pékin et celui qui entraîne la fermeture des usines et la destruction de quartiers entiers. Les séquences ouvrières sont, comme souvent dans ce cinéma-là, saisissantes et oppressantes. Elles seraient désespérantes si ne s'y faisait pas jour une certaine solidarité.

    Wang Quan'an use de plans parfois très longs pour filmer de manière prosaïque les activités de ses personnages. On trouve au milieu de son film un ventre mou : une fois la fatale révélation faite, le récit étant assujetti aux choix d'une Lili désemparée, il peine à trouver l'énergie qui le propulserait. Il faut alors attendre l'appel d'air provoqué par la décision de l'héroïne de partir à la recherche de son ancien amour. Sans se délester de son immense tristesse, le film décolle vraiment et devient précieux. Les retrouvailles amorcent une série de très belles scènes, secrètement douloureuses, serties dans une esthétique très discrétement réhaussée.

    Ce dernier tiers tourne ce qui serait ailleurs un défaut en qualité. Il propose en effet une suite de fins possibles avec plusieurs séquences très détachées les unes des autres, soumises à de larges ellipses et prenant un tour quasi-onirique. Ainsi, Lili n'en finit pas de nous laisser une dernière image, n'en finit pas de mourir, mais cette répétition semble tendre un fil, certes de plus en plus fin, mais bien là. Un mince espoir dans la grisaille.

  • Les trois royaumes

    (John Woo / Chine / 2008)

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    les3royaumes.jpgLes trois royaumes (Chi bi) c'est :

    - le cinéma comme un livre d'images bruyant,

    - l'art de faire croire que l'on propose une réflexion originale sur la guerre alors que l'on ne fait qu'accumuler de banales considérations stratégiques,

    - le cinéma pensé en termes de morcellement et la transformation des rares plans-séquences en jeu vidéo,

    - l'adhésion à une vision moderne de la guerre, rendant compte de la confusion totale des combats, mais seulement réduite ici à une toile de fond servant à mettre en valeur les exploits physiques hors du commun (et en apesanteur) de quelques héros,

    - 2h30 de plans centrés sur une poignée de généraux et 4 secondes sur une femme pleurant au milieu de dizaines de cadavres de soldats (flash appuyé, il est vrai, par une sage parole du vainqueur de l'homérique bataille : "Aujourd'hui, nous avons TOUS perdu"),

    - une troupe de comédiens photogéniques et compétents (Tony Leung et Takeshi Kaneshiro en tête),

    - une débauche d'effets numériques ne parvenant toujours pas à lester du poids du réel un passé lointain et se limitant à donner une certaine idée (transparente) du gigantisme,

    - le cinéma de grande consommation de John Woo, ni pire ni meilleur aujourd'hui qu'hier (Volte/Face) ou avant-hier (The killer).

  • 24 City

    (Jia Zhangke / Chine / 2008)

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    24city.jpgMoi qui, il y a peu, trouvais que l'année cinéma 2009 démarrait bien et promettait une belle moisson dès le printemps, je commence à déchanter sérieusement. Je prie pour que le prochain Barnum cannois change la donne, sans quoi je vais finir par limiter mon activité de cinéphile au cercle domestique et à la chronique de dvd (sur lesquelles j'ai d'ailleurs du retard). La déconvenue du jour vient de Jia Zhangke, duquel j'attendais pourtant beaucoup. Mais après avoir trouvé ses trois premiers longs-métrages admirables (Xiao Wu pickpocket, Platform, Unknown pleasures) puis émis quelques réserves sur les deux suivants (The World, Still life), il était sans doute fatal que le sixième m'ennuie pour de bon.

    24 City (Er shi si cheng ji) est un documentaire-joué ayant pour cadre la ville de Chengdu et plus précisemment son usine d'armement nationale, démantelée pièce par pièce pour laisser sortir de terre un gigantesque projet immobilier privé ultra-moderne (portant le nom donnant son titre au film). Il est entendu que le cinéaste continue là sa formidable entreprise d'enregistrement des soubresauts de la société chinoise contemporaine. Ce qui me gêne cependant de plus en plus dans son travail, c'est l'emprise du concept. Entre de magnifiques mais brèves prises de vues documentaires de l'usine agonisante, Jia Zhangke filme, dans d'interminables plans-séquences, les monologues récités par d'anciens ouvriers (ou des comédiens jouant les ouvriers) et abordant leur expérience professionnelle dans les ateliers et surtout des souvenirs personnels douloureux. Dès le premier vrai-faux entretien, j'avoue m'être peu intéressé à ces histoires et le mélange entre documentaire et fiction ne m'a pas paru concluant.

    Le projet, lié à la mémoire collective et individuelle, la fabrication et les intentions sont plus stimulants que le film lui-même, ce qui est relativement embêtant. Cela me ramène à cette idée de concept étouffant. Pour ses trois dernières réalisations en date (hors court-métrages), le cinéaste investit un lieu fort, singulier et propice au développement d'une métaphore politique et sociale (parc d'attractions dans The World, ville engloutie dans Still life, usine désafectée ici) et il y déroule des récits minimalistes, tout en espérant en dégager de profondes réflexions. A cette démarche de grand témoin-auteur de son temps, je préférais définitivement la tension parcourant Xiao Wu, le ballottement historique et le tissage scénaristique de Platform, le travail sur la durée et les surprises du quotidien d'Unknown pleasures.

  • Le mariage de Tuya

    (Wang Quan'an / Chine / 2007)

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    a8e7f95010a5c04bca2d9775b99ec3d1.jpgL'Ours d'or berlinois de cette année est une chronique paysanne et sentimentale filmée dans les steppes mongoles. Wang Quan'an rend compte des efforts que doit fournir Tuya dans ce paysage rude pour subvenir aux besoins de sa famille à la place de son mari handicapé après un accident. N'en pouvant plus, la jeune femme décide de chercher un nouvel homme pour son foyer, mais en lui faisant accepter de s'occuper aussi de l'ancien époux.

    Des cadrages amples saisissent la beauté et l'aridité de la steppe et s'amusent à confronter ancien et nouveau monde, mettant côte à côte l'impressionnant chameau que chevauche Tuya et la moto ou la camionnette de son voisin Shenge. Le document renseigne sur un mode de vie de paysans mongols. La recherche d'un nouveau mari enclenche une mécanique de comédie, basée sur l'économie des effets et la répétition, celle des accidents de Shenge saoul et celle des prétendants qui défilent chez Tuya. Le rôle de plus en plus important pris par ce voisin, amoureux depuis longtemps, la compréhension et le grand respect pour sa femme passant dans le regard de Bater, mari diminué, et le bal de prétendants aussi riches que ridicules laissent parfois l'impression que s'étalent trop de bons sentiments et que tout va toujours bien s'arranger. Quelques fêlures se font jour tout de même (la peur des explosions qui creusent le puits) et le rapprochement inévitable entre Tuya et Shenge offre deux jolis moments (un, filmé très simplement en un plan, au fond du trou, l'autre en un corps à corps se terminant en étreinte, effet déjà utilisé dans d'autres films mais assez beau). Surtout, l'ensemble est éclairé d'un nouveau jour par la scène finale qui, par un procédé astucieux était aussi la première, et qui déplace définitivement le sentiment général de la joliesse vers le pessimisme (et qui explique que ce qui passait, dans le comportement de Tuya, pour du caprice, était plutôt une prudence justifiée).

    Yu Nan, interprète de Tuya, traverse le film aussi vaillamment que Gong Li en son temps dans Qiu Ju, une femme chinoise.