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Je reconnais volontiers ne pas être très compétent en wu xia pan (le film de sabre chinois) et dès que je vois des gens se battre dans les airs en voltigeant de bambous en bambous, j'ai tendance à souffler en gonflant les joues, ce qui suffira certainement à disqualifier d'entrée cette note aux yeux des connaisseurs. Parmi les quelques noms associés au genre que j'ai pu croisé jusque là, je ne vois guère que deux exceptions à la règle qui veut que je m'ennuie profondément devant ce type de spectacle : King Hu (A touch of zen, Raining in the mountain) et Tsui Hark (essentiellement les deux premiers Il était une fois en Chine, ce qui me fait croiser les doigts en attendant l'imminente sortie de son Detective Dee). Le secret des poignards volants (le titre international, plus adéquat, est House of flying daggers, ce qui me fait dire que, maison pour maison, je préfère la House of jealous lovers, même si cela n'a absolument rien à voir) est la deuxième incursion de Zhang Yimou sur ce terrain après un Hero (2002) qui partagea beaucoup plus la critique et avant une Cité interdite (2007) qui ne se rattachera au wu xia pan que par intermittences. Ce dernier film m'avait laissé plutôt... interdit et, même si Hero me reste inconnu, la découverte de ce Secret... consolide mes deux sentiments : le genre ne m'est pas très souvent agréable et le cinéma de Zhang Yimou est à circonscrire strictement aux années 90.
Si, concernant cette période, ma préférence va à ses œuvres les plus réalistes (Qiu Ju, une femme chinoise, Vivre, Pas un de moins), je ne fus pas forcément insensibles aux charmes formalistes de certaines autres (Epouses et concubines, Shanghai triad). A ce formalisme, Le secret des poignards volants est totalement assujetti. Assurément, Zhang Yimou est un décorateur hors pair et un coloriste éblouissant, mais sur cette surface brillante, tout glisse et tout paraît vain, à l'image des dernières séquences durant lesquelles se succèdent des tonalités chromatiques différentes (du vert au blanc, bientôt taché de rouge). Le film est idéal pour l'exercice de la capture d'écran (celle-ci est d'autant plus facile que les ralentis numériques abondent), mais rendu à son mouvement, il redevient cet objet lisse et sans réel intérêt.
Les séquences agitées contiennent tout d'abord, mal contemporain, trop de plans. Pourtant, nous dirions que parfois, il en manque... lorsque le montage escamote le mouvement pour rendre possible à l'image les actions qui ne seraient guère réalisables dans la réalité. Les combats alternent de façon bien monotone avec des moments plus calmes. Le tempo est ralenti par les intermèdes romantiques, la plupart du temps organisés en simples champs-contrechamps (et dans les séquences "érotiques", malheureusement, Zhang Ziyi ne cesse de se contorsionner pour ne rien montrer à la caméra).
Dans l'histoire qui nous est contée, tous les personnages sont doubles. Cette duplicité est d'abord un enjeu "policier" (Le secret des poignards volants est en quelque sorte un Infernal affairs en kimono, Andy Lau faisant d'ailleurs le lien entre les deux films) avant de devenir un enjeu amoureux. La question de la sincérité de chacun est ainsi le seul moteur de l'intrigue alors que le film semble annoncer en introduction de tortueuses manigances à l'échelle d'un empire. Au sein de celui-ci, un pouvoir corrompu lutte contre un clan rebelle et insaisissable, dont on nous dit au début et sans jamais y revenir par la suite qu'il dépouille les riches pour donner aux pauvres. Sur la durée de deux heures, seuls quatre personnages seront en fait distingués, les autres étant réduits à des silhouettes virevoltantes ou expirantes sous les lames. De plus, les vraies/fausses trahisons qui se succèdent ne font jamais l'effet du coup de tonnerre : elles laissent indifférent puisque dès les premières scènes nous est laissé le temps d'imaginer à l'avance tous les revirements dont chaque personnage semble capable, les attitudes paraissant vite trop loyales pour être honnêtes et l'intrigue étant si simple. Les acteurs, débitant des dialogues conventionnels au possible et filmés avec le plus grand sérieux, ne parviennent jamais à transcender leur statut de figure désincarnée au service du genre. L'esthétisme du cinéaste, poussé à l'extrême, et l'évolution mécanique du récit achèvent de rendre l'ensemble inutile à mes yeux.
LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS (Shi mian mai fu)
de Zhang Yimou
(Chine - Hong-Kong / 119 mn / 2004)
Commentaires
Tu es disqualifié. Fi !
Je crois que je suis le seul à avoir plutôt bien aimé ce film. Quand je l'ai découvert je venais de m'enfiler pas mal de mauvais Wu xia pian (dont Hero), et du coup je l'ai trouvé assez agréable. Mais depuis je l'ai revu deux fois, avec deux personnes différentes, et si mon impression demeurait, chez mes convives le film faisait systématiquement chou blanc. J'avais été rassuré de lire une critique plutôt positive (ou disons plutôt pas négative) dans les Cahiers à l'époque... Mais en fait je pense que ce film est effectivement assez naze et je me demande pourquoi il m'a quasiment séduit...
Chouette article en tout cas :)
Fred : Je ferai appel !
Rémi : Pas sûr qu'il faille se dédire ainsi... Dans mon entourage, j'ai également recueilli deux avis qui étaient finalement comparables au mien. Mais si on jette un œil sur les sites type allociné pour avoir une vision d'ensemble des critiques de l'époque, on s'aperçoit que le film a été globalement très bien accueilli (dans Positif par exemple, Zhang Yimou a eu droit à sa critique favorable et à son entretien).
Le Wu xua pian, comme n'importe quel cinéma de genre, cela dépend du film. Il y en a des papardelles de mauvais et de biens jolies choses. Aussi je ne saurais trop d'inciter à poursuivre des explorations (Hark et Hu, c'est déjà bien, nous avions échangé sur Chang Cheh et il y a bien d'autres réalisateurs excitants comme Cheng Khang ou Ho Meng-Hua).
Hélas, trois fois hélas, celui ci est un navet à grand spectacle, plombé par son esthétique comme "Héro". je pense que ce sont des films qui visent à caresser le spectateur occidental dans le sens du poil, donc à éviter autant que possible.
As-tu vu "Les cendres du temps" de Wong Kar-wai ?
Ce point de vue me rassure, Vincent, merci. :) Et je continuerai mon exploration à l'occasion...
A mon grand regret, je n'ai jamais vu le Wong Kar-wai.
Bonjour Ed, et bien moi, j'avais beaucoup aimé ce film où les femmes ont des rôles importants, où la couleur verte est dominante, où la fin très mélo m'a plu, où les numéros acrobatiques sont époustouflants. C'est dans la lignée de Hero. En revanche, j'avais détesté La cité interdite. Bonne soirée.
Allons-y de notre distribution de notes : Yimou m'a beaucoup plu pour La cité interdite, me déplaît dans Hero (forme et fond), me séduit à nouveau avec les Poignards même si les dernières séquences lassent à cause de l'hésitation des uns et des autres.
Moi je vois de la poésie dans le balancement des combattants sur les cimes de la bambouseraie, mais pas dans les Poignards, plutôt dans Tigre et dragon.
Et voilà dressée la liste de tous les wu xia pan que j'ai pu voir.
Note pour plus tard : voir un film de King Hu, Chang Cheh, Cheng Khang et Ho Meng-Hua. Des titres en particulier ?
Benjamin, je ne peux guère avancer plus de titres que je ne l'ai fait dans ce texte. Je me bornerai donc d'une part à recommander chaudement les deux films de King Hu cité dans l'introduction, d'une grande beauté plastique, sans les excès grotesques que l'on trouve dans "La rage du tigre", et laissant une large place aux personnages féminins, et d'autre part à renvoyer vers une notule ancienne, non pour ce que j'ai pu écrire, mais pour les commentaires qui l'accompagnent, dont celui de Vincent/Inisfree, bien plus connaisseur du genre que moi :
http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2010/06/10/la-rage-du-tigre.html#comments
Tout à fait d'accord.
L'intrigue politique passe totalement inaperçue, et la romance ne fait qu'ennuyer, l'érotisme s'avérant en effet très limité et faussement présent..
J'ai du mal à comprendre le succès de ce film qui m'a paru s'alourdir d'un symbolisme ultra-classqiue et pompeux au fur et à mesure du récit. dans les séquences d'action, je ne retiens que la flamboyante danse de Mei, au tout début.
Et j'aime beucoup cette expression de "Infernal Affairs en kimono" ! Dans ce film, Andy Lau (qui sera extraordinaire dans Detective Dee quelques années plus tard) joue une de ses plus mauvaises performances.
Oui, Oriane. La reconversion de Zhang Yimou dans ce genre spectaculaire me laisse vraiment sceptique. Essayez de voir ce films "réalistes" des années 90, ils sont bien meilleurs.