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Essential killing

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Dans le désert, un combattant islamiste est capturé par l'armée américaine. Après interrogatoire, il est transferé vers une base militaire au nord de l'Europe. Étant parvenu à s'évader, il doit alors survivre dans une nature hostile, avec les soldats à ses trousses.

Essential killing est un étrange film, pas facile à appréhender et produisant de drôles d'effets. Parfois impressionnant mais inégal, voire maladroit par endroits, il est aussi déroutant dans sa façon de partir d'un sujet fort pour mieux s'en éloigner ou, du moins, ne pas donner lieu à une interprétation trop évidente. A l'entame, la description de la machine de guerre anti-terroriste américaine, via les camps illégaux de type Guantanamo, peut laisser penser que la question politique innervera tout le récit. Mais on peut tout aussi bien se dire, déjà, que Skolimowski, bien qu'il renverse audacieusement le point de vue habituel en se plaçant du côté du (présumé) terroriste, ne fait justement là qu'une simple description d'un fait. De toute manière, le sous-texte politique est rapidement évacué, le cinéaste empruntant d'autres voies que celle ouverte en premier.

L'homme que l'on va suivre dans cette épreuve est un homme sans nom, sans voix et (presque) sans passé. Même s'il est caractérisé par sa religion, son aptitude au combat et son statut de coupable aux yeux des Américains, il finit par représenter bien autre chose que le taliban poursuivi : l'Homme qui lutte pour sa survie. Dès lors, Essential killing prend une dimension mystique. En premier lieu, l'omniprésence des animaux et notamment des chiens, dans une nature à la végétation endormie, tire l'ensemble vers le surnaturel. Ensuite, notre homme, à l'allure étrangement christique, manque de mourir à plusieurs reprises, et semble à chaque fois "ressusciter", cela avant un dénouement que je ne dévoilerai pas mais qui ponctue le parcours fort logiquement. Enfin, il est intéressant d'étudier sous cet angle les multiples retournements de situations et autres faits du hasard qui permettent la poursuite du périple de l'homme traqué. Si Skolimowski nous fait épouser aussi étroitement le point de vue de ce dernier, il faut alors, sans doute, essayer de voir les choses comme lui. Et pour ce croyant, ces événements surprenants sont probablement beaucoup moins des coïncidences heureuses que le résultat d'une action divine. A l'image cela se traduit seulement par quelques regards tournés vers le ciel, par cet homme ayant placé ses espoirs et son destin dans les mains de Dieu, mais cela me semble suffisant pour emprunter ce chemin mystique. Ce faisant, il n'y a plus de raisons de trouver invraisemblables un accident de fourgon blindé, un incident technique sur un hélicoptère, le passage d'une femme à vélo etc...

Ce mysticisme prégnant n'empêche cependant pas que le film soit éminemment concret. La mise en scène peut même se faire assez rêche. Adepte de longue date (en fait, depuis ses débuts) de la caméra subjective, Skolimowski y a recours une nouvelle fois ici encore. Le procédé est utilisé au début et ce choix peut se défendre : l'immersion, la tension, l'identification sont ainsi facilitées. Dès lors qu'il s'agit de prendre de la hauteur par rapport au sujet, Skolimowski n'y fait plus appel. Cependant, les quelques plans concernés m'ont légèrement gêné. J'ai senti là qu'un déséquilibre du rythme et de la vision était provoqué, bien plus que lorsque s'intercalaient des plans faisant basculer le point de vue, pris depuis les hélicoptères des chasseurs. Dans ce second cas, le basculement soudain renforce le propos métaphorique alors que dans le premier, l'insertion paraît plus facile et moins riche de sens. A travers la caméra, être avec le fugitif, à ses côtés, aurait, à mon sens, suffi et nous n'avions nul besoin de nous sentir de temps en temps, si artificiellement, "dans sa peau".

Ces excès stylistiques ne sont pas les seuls. D'inutiles flashbacks sur le passé, plus ou moins fantasmé, du "héros" viennent encombrer la route. Il y a également, dans une scène citée partout, un plan insistant sur des grosses jambes féminines écartées qui rend l'instant, déjà marquant, résolument malsain. Mais plus généralement, une fois la menace militaire écartée, les rencontres avec quelques locaux laissent perplexe, les nouveaux types de relations entretenus peinant à trouver véritablement leur place dans l'architecture du récit. Les vingt dernières minutes accusent ainsi une chute évidente.

Je n'ai pas parlé jusque là de Vincent Gallo. Il est très bien (que l'on n'entende jamais sa voix sert à rendre crédible le personnage, contrairement à ce qui se passe avec celui, secondaire, d'Emmanuelle Seigner, Skolimowski, en en faisant une muette, tirant alors trop à la ligne). Toutefois, lorsque des adorateurs le trouvent ici, et encore une fois, absolument "génial", je crains qu'ils ne s'aveuglent quelque peu en regardant leur astre et qu'ils ne pensent voir quelque chose qui ne se trouve absolument pas dans le film, la performance de l'acteur étant certes remarquable mais essentiellement, et pour ne pas écrire exclusivement, physique.

 

essentialkilling00.jpgESSENTIAL KILLING

de Jerzy Skolimowski

(Pologne - Irlande - Norvège - France - Hongrie / 83 mn / 2010)

Commentaires

  • Oui... tu as remarqué toi aussi ? C'est extraordinaire cette secte du grand gallo.
    Dans le genre physique, j'préfère quand même mon p'tit Viggo :)

  • En effet : même quand il est bon, les réactions fanatiques de ses adeptes le rendraient presque énervant !

  • Aveugle, moi, jamais.
    Même si j'avoue que je pourrais trouver génial le prochain Dany Boon si mon cher Vincent jouait dedans.

  • Je suis à peu près d'accord sur tout. Quant à la performance de Gallo, elle me semble à côté de la plaque (ou peut-être trop sur la plaque, justement, plaquée, dialoguant peu avec le film et encore moins avec le cinéaste). Quant à ces épouvantables flashbacks...

  • Ton article est très intéressant. Notamment ce que tu dis sur les "résurrections" du personnage. Mais l'aspect mystique n'est qu'une des multiples facettes du film, et à mon avis, pas la principale.

    Sur Vincent Gallo, dont je ne suis pas un fan au départ (et même au contraire), je ne suis pas d'accord non plus, sa performance est pour le coup d'autant plus convaincante qu'elle n'est que physique, en tout cas je ne comprends pas bien en quoi le fait qu'elle ne soit que physique tende à la minimiser à tes yeux.

    J'ai adoré ce film.

    Ma critique, postée à l'instant, ici :

    http://ilaose.blogspot.com/2011/04/essential-killing.html

  • Rob : j'avais lu ta note sur le film et, honnêtement, ce n'est pas elle qui m'a donné l'idée de mon dernier paragraphe (ta nouvelle déclaration d'amour étant amenée avec humour), mais la critique de JM Lalanne dans (feu) les Inrocks, qui balance, sans humour, lui, des "stupéfiant" et des "génial" à l'attention de son chouchou.

    asketoner : Pour ma part, je ne critique pas la performance de Gallo qui m'a assez intéressé, mais la façon dont elle est jugée.
    Les flashbacks, en revanche... Sans même parler de leur esthétique, je ne comprends pas trop pourquoi ils sont là. Il me semble qu'ils sont en contradiction avec ce que veut faire Skolimowski : élargir la portée de son film.

    Rémi : Le mysticisme c'est l'une des facettes, bien sûr, et je ne veux nullement réduire le film à cela, bien au contraire. J'en ai juste profité pour "attaquer" par là cet objet qui m'a semblé laisser peu de prises pour en rendre compte.
    Enfin, pour en finir (?) avec Gallo... Je trouve étonnant que l'on juge son interprétation "géniale" car, à mon sens, elle ne fait guère appel à autre chose que la présence physique. Je ne minimise pas celle-ci (et, contrairement, si j'ai bien compris, à asketoner, je la trouve en phase avec le film), mais il manque à mon sens une dimension (disons psychologique ou émotionnelle, et qui, entendons-nous bien, n'était pas nécessaire dans ce projet précis) pour que l'on puisse parler là de l'une des meilleures performances d'acteur de ces dernières années (voire de l'histoire!). Lalanne aurait dû écrire : "ce mec est génial, je l'adore", là je n'aurai pas tiqué, même si je ne suis pas forcément d'accord. Ou encore, lire ce type d'éloge à l'occasion de "Tetro" par exemple est selon moi moins gênant, le rôle étant plus complexe (et même si je n'ai pas aimé le film de Coppola).

  • Sans parler de "meilleure performance d'acteur depuis dix ans", je trouve que sa prestation va justement bien au-delà de la simple "présence physique". D'ailleurs je déteste le mot "performance" que j'entends négativement et que j'associe plutôt à des facéties ridicules qui font rêver les Denisot du monde entier du genre "vous avez perdu 5 kilos pour ce rôle !". Je trouve que son "travail" d'acteur, donc, va bien au-delà de la "présence" et qu'elle est très chargée émotionnellement puisqu'il parvient à nous faire éprouver que son personnage reste parfaitement humain même lorsqu'il n'a plus que les agissements d'un animal, même quand il tue, et surtout quand il devient taré suite à son acte de quasi cannibalisme, ou quand il semble se tuer lui-même quand il agresse le bûcheron, etc.

    Sur les flash-backs, j'en cause dans mon article. Et s'ils m'ont laissé circonspect au moment où je matais le film (voire gêné), je trouve finalement qu'ils se tiennent et qu'ils sont même lourds de sens dans le film, pour signifier le dépouillement idéologique du personnage et sa réduction à l'immédiat présent (sa nécessité de survie).

  • C'est intéressant cette idée de "dépouillement idéologique du personnage". Mais du coup, au lieu d'en faire des flashbacks, on peut aussi penser qu'un regroupement en début de film de ces séquences aurait pu être plus satisfaisant.
    Cela me fait penser à quelque chose que j'ai oublié dans mon texte : l'arrivée, au fur et à mesure, des flash-forward. Ces inserts ont un côté prophétique, qui accentue l'impression d'un film religieux.
    Pour ce qui est du "travail" de Gallo, il a fait naître chez moi peu d'émotion, mais je suis d'accord avec ce glissement vers l'animal qui montre toujours une part "humaine" qui résiste.
    Le mot "performance", je l'ai utilisé volontairement, sachant qu'il gêne beaucoup généralement et qu'il renvoie souvent à un numéro, à une course aux prix d'interprétation. Mais il peut en exister de bonnes, comme ici...

  • J'aime beaucoup ce film, notamment grâce à la capacité qu'a Skolimovski de réinventer une géographie abstraite et uniquement "cinématographique". Pourtant, je suis assez d'accord avec les remarques que tu fais sur Vincent Gallo. Mais je te laisse découvrir ça chez moi ;)

  • Voilà une somme d'avis très fertile qui vont à peu près dans mon sens. Il me semble toutefois que les réserves adressées au film paraissent bien dérisoires au regard de la qualité générale du film qui dépasse de très loin la moyenne des productions du genre.
    L'approche mystique est, du fait de son itération permanente dans les flash-backs (je suis d'accord, pas la meilleure option du film), au coeur du film, et je suis assez séduit par cette théorie développée par Rémi du "dépouillement idéologique". La transfert dans un paysage neigeux vient prend dès lors tout son sens, jusqu'aux derniers plans du film.
    La prestation de Gallo est ici, à mon avis, plus qu'honorable et ne mérite pas sa stricte réduction à une "performance". Jean-Paul Belmondo dans "peur sur la ville fait des "performances", Van Damme dans "piège à Hong Kong" aussi, ou Tony Jaa dans "Ong Bak". Mais alors De Niro dans "Raging Bull" serait-il réduit à cela également ? ou bien Kinski dans "Aguirre" ou, plus récemment Michael Fassbender dans "hunger" ? Il me semble, à l'instar des "performances" des derniers acteurs cités, que Gallo transmet dans ses expressions, dans son regard aux abois, quelque chose qui dépasse la simple douleur physique du tournage, qu'il touche à la détresse morale de l'animal pourchassé.

  • Mais tout à fait : la prestation de Gallo est "plus qu'honorable". Seulement, s'il arrive à transmettre cette détresse de l'homme traqué, il ne transmet, si l'on peut dire, "que cela". Son jeu ne s'applique que dans un seul registre (et Gallo n'est pas à blâmer, puisque le sujet et la direction d'acteur de Skolimowski imposent cette "monochromie"), alors que les interprétations citées (surtout celles De Niro et Kinski, car je suis très réservé sur Fassbender dans ce film que je n'ai pas aimé du tout), sont d'une richesse et d'une variété bien plus grandes (qui les éloigne de fait de la simple performance). Gallo reste le même, du moment où il est découvert dans le désert jusqu'au moment où il quitte E. Seigner. Donc, je trouve juste un peu étrange que l'on continue d'élever sa statue encore un cran plus haut, à l'occasion de ce film.

  • J'avais beaucoup aimé ce film et vos différentes critiques sont toutes très intéressantes.
    Relisant la mienne, je viens de réaliser (outre mon analyse médiocre) que j'avais utilisé le terme "performance" à propos du rôle de Vincent Gallo.
    Honte à moi ! Et bravo pour vos textes.
    http://www.mapausecafe.net/archive/2011/05/03/le-rouge-et-le-blanc1.html

  • Merci Sylvain.
    "Performance", c'est un mot intéressant car il peut servir à soutenir une chose (l'admiration devant la puissance d'expression d'un acteur) et son contraire (la réticence devant la trop grande évidence d'un exercice physique ou psychologique). Il n'y a donc pas de honte à l'employer (moi-même je ne suis pas sûr de ne pas l'avoir fait par ailleurs).
    Dés que je me serai libéré du temps, j'irai parcourir votre blog : quelqu'un qui dialogue régulièrement avec l'ami Orlof a forcément des choses intéressantes à écrire. :)

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