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wang

  • La Femme des steppes, le flic et l'œuf (Wang Quan'an, 2019)

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    Voilà qui vient à point nommé pour rappeler que le cinéma, c'est du cadre, de la lumière et du temps. Qu'il existe des plans beaux parce qu'ils laissent tout le loisir à un personnage (ou une moto, ou un chameau) de se déplacer d'un bord à un autre, dans toute la longueur. Le film de Wang Quan'an (Le Mariage de Tuya et La Tisseuse, tous deux déjà pas mal, parmi six autres réalisations) dépayse assurément mais son intérêt est loin de tenir seulement à l'exotisme mongol. La fantastique première séquence, d'un seul tenant, comme beaucoup d'autres, donne le ton : tout tiendra en un bel équilibre entre naturel et esthétique. Le cinéaste joue habilement de la distance, qu'il rend variable, parfois dans un même plan, entre documentaire et fiction. Un jeu passant notamment par le son, tantôt loin, tantôt proche, et par des passages de l'image au flou. Il faut parfois s'accrocher mais le récit a le mérite de rester imprévisible (malgré la force visuelle, on craint un petit peu, dans la première demi-heure, de ne se retrouver que devant un décalque d'Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan) et plusieurs moments s'incrustent dans la tête pour de bon. 

  • Le fossé

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    Si, parmi les films s'attachant à décrire un univers concentrationnaire ayant existé, Le fossé est l'un des plus pertinents et des moins contestables, il le doit tout d'abord à la spécificité du lieu. Le camp de rééducation maoïste de Jiabiangou, en activité du début des années 50 à 1960 (date du récit), est situé dans le désert de Gobi. Une poignée de baraques y abritait les responsables. Les prisonniers, eux, se contentaient de s'entasser dans des dortoirs creusés sous terre. La situation géographique et le climat faisaient, apparemment, qu'une délimitation stricte n'était pas nécessaire et que le nombre de gardiens pouvait être réduit au minimum. Ces caractéristiques servent le film qui peut éviter plus facilement que d'autres les écueils de ce type de reconstitution, liés à la gestion des foules et des moyens techniques qui peuvent paraître inappropriés et gênants en la circonstance. La clandestinité du tournage, sur le territoire chinois, concourt pareillement à la sobriété et à la crédibilité absolue du récit.

    Mais dire cela n'enlève rien au mérite propre du cinéaste tant la validité de son film tient aussi à son approche du sujet et à ses parti pris de mise en scène. Sans surprise, Wang Bing, auteur du fort réputé A l'ouest des rails, exerce son œil de documentariste, organise des séquences souvent pas ou peu dramatisées, privilégie les plans longs, observe et restitue les faits. Il tourne autour des notions d'étirement et de répétition : le travail quotidien des fossoyeurs rythmant les journées du camp comme il rythme la narration.

    Cette observation à bonne distance n'est pas synonyme de neutralité esthétique. Wang Bing utilise l'architecture rudimentaire des dortoirs, constitués d'une rangée d'une douzaine de lits accolés les uns aux autres, pour travailler la profondeur de champ. Au fond du plan, se déroulent des actions, se distinguent des mouvements ou de simples gestes. Par quelques ouvertures en hauteur, des rais de lumière complètent encore l'organisation visuelle. Passant en surface, l'œil se perd dans l'horizon et voit les silhouettes disparaître. Les hommes s'engouffrent dans les dortoirs-tombeaux. Ils sont avalés par la terre. Cet enfouissement renvoie à plusieurs choses : à la fabrication du film lui-même, au refoulement de la mémoire, à l'effacement des traces du passé, au devenir poussière de l'homme. Celui-ci, dans ce camp, ne travaille même plus et reste sur son lit, affamé. Sous les couvertures, il n'est plus qu'une forme.

    Wang Bing filme les gestes quotidiens, la vie de camp dans ce qu'elle a de plus prosaïque. Et il filme l'extraordinaire, l'incroyable, l'insoutenable, qui paraissent presque irréel ou fantastique (la nuit, les galeries souterraines...). Il s'arrête aussi entre ces deux pôles, pour des scènes mettant en avant, un peu artificiellement, un peu brutalement, des récits sous forme dialoguée ou incorporée à l'action. Sans doute est-ce là un léger défaut du film, rendu voyant par la succession marquée des séquences, assemblées par larges blocs.

    Cela n'entame toutefois pas la cohérence de l'organisation générale (Le fossé débute par l'arrivée d'un groupe et se termine sur des départs), ni la force de la mise en scène. On en retient par exemple ces saisissants plans séquences d'entrées dans les trous aménagés, la continuité du mouvement entre l'extérieur et l'intérieur provoquant un violent changement de lumière. Et l'on remarque que, même si ces prisonniers ont une (très) relative liberté de circulation dans le camp, jamais la caméra n'effectue de déplacement dans l'autre sens, celui de la sortie... à une exception près, pleine de sens.

     

    wang,hong-kong,france,histoire,2010sLE FOSSÉ (Jiabiangou)

    de Wang Bing

    (Hong-Kong - France - Belgique / 110 mn / 2010)

  • La tisseuse

    (Wang Quan'an / Chine / 2009)

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    latisseuse.jpgWang Quan'an raconte l'histoire de Lili, une jeune mère de famille apprenant brusquement qu'elle est atteinte d'une leucémie et qu'elle n'a plus que quelques mois à vivre. La tisseuse (Fang zhi gu niang) est un mélo en mode mineur, le registre étant celui du réalisme chinois contemporain. Venant après bien des films de ce genre, de L'orphelin d'Anyangde Wang Chao à Still lifede Jia Zhangke, il n'offre, dans sa mise en scène, rien de novateur. La caméra alterne entre mobilité et fixité selon les déplacements ou l'apathie des personnages, celui de Lili avant tout autre, accompagné jusqu'au bout, interprété par la charmante et tenace Yu Nan, qui avait déjà porté sur ses épaules le précédent film de Wang Quan'an, Le mariage de Tuya.

    La Chine apparaît à nouveau à l'écran prise dans un double mouvement, celui qui voit s'élever les buildings modernes dans le ciel de Pékin et celui qui entraîne la fermeture des usines et la destruction de quartiers entiers. Les séquences ouvrières sont, comme souvent dans ce cinéma-là, saisissantes et oppressantes. Elles seraient désespérantes si ne s'y faisait pas jour une certaine solidarité.

    Wang Quan'an use de plans parfois très longs pour filmer de manière prosaïque les activités de ses personnages. On trouve au milieu de son film un ventre mou : une fois la fatale révélation faite, le récit étant assujetti aux choix d'une Lili désemparée, il peine à trouver l'énergie qui le propulserait. Il faut alors attendre l'appel d'air provoqué par la décision de l'héroïne de partir à la recherche de son ancien amour. Sans se délester de son immense tristesse, le film décolle vraiment et devient précieux. Les retrouvailles amorcent une série de très belles scènes, secrètement douloureuses, serties dans une esthétique très discrétement réhaussée.

    Ce dernier tiers tourne ce qui serait ailleurs un défaut en qualité. Il propose en effet une suite de fins possibles avec plusieurs séquences très détachées les unes des autres, soumises à de larges ellipses et prenant un tour quasi-onirique. Ainsi, Lili n'en finit pas de nous laisser une dernière image, n'en finit pas de mourir, mais cette répétition semble tendre un fil, certes de plus en plus fin, mais bien là. Un mince espoir dans la grisaille.

  • Le mariage de Tuya

    (Wang Quan'an / Chine / 2007)

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    a8e7f95010a5c04bca2d9775b99ec3d1.jpgL'Ours d'or berlinois de cette année est une chronique paysanne et sentimentale filmée dans les steppes mongoles. Wang Quan'an rend compte des efforts que doit fournir Tuya dans ce paysage rude pour subvenir aux besoins de sa famille à la place de son mari handicapé après un accident. N'en pouvant plus, la jeune femme décide de chercher un nouvel homme pour son foyer, mais en lui faisant accepter de s'occuper aussi de l'ancien époux.

    Des cadrages amples saisissent la beauté et l'aridité de la steppe et s'amusent à confronter ancien et nouveau monde, mettant côte à côte l'impressionnant chameau que chevauche Tuya et la moto ou la camionnette de son voisin Shenge. Le document renseigne sur un mode de vie de paysans mongols. La recherche d'un nouveau mari enclenche une mécanique de comédie, basée sur l'économie des effets et la répétition, celle des accidents de Shenge saoul et celle des prétendants qui défilent chez Tuya. Le rôle de plus en plus important pris par ce voisin, amoureux depuis longtemps, la compréhension et le grand respect pour sa femme passant dans le regard de Bater, mari diminué, et le bal de prétendants aussi riches que ridicules laissent parfois l'impression que s'étalent trop de bons sentiments et que tout va toujours bien s'arranger. Quelques fêlures se font jour tout de même (la peur des explosions qui creusent le puits) et le rapprochement inévitable entre Tuya et Shenge offre deux jolis moments (un, filmé très simplement en un plan, au fond du trou, l'autre en un corps à corps se terminant en étreinte, effet déjà utilisé dans d'autres films mais assez beau). Surtout, l'ensemble est éclairé d'un nouveau jour par la scène finale qui, par un procédé astucieux était aussi la première, et qui déplace définitivement le sentiment général de la joliesse vers le pessimisme (et qui explique que ce qui passait, dans le comportement de Tuya, pour du caprice, était plutôt une prudence justifiée).

    Yu Nan, interprète de Tuya, traverse le film aussi vaillamment que Gong Li en son temps dans Qiu Ju, une femme chinoise.