(Jia Zhangke / Chine / 2008)
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Moi qui, il y a peu, trouvais que l'année cinéma 2009 démarrait bien et promettait une belle moisson dès le printemps, je commence à déchanter sérieusement. Je prie pour que le prochain Barnum cannois change la donne, sans quoi je vais finir par limiter mon activité de cinéphile au cercle domestique et à la chronique de dvd (sur lesquelles j'ai d'ailleurs du retard). La déconvenue du jour vient de Jia Zhangke, duquel j'attendais pourtant beaucoup. Mais après avoir trouvé ses trois premiers longs-métrages admirables (Xiao Wu pickpocket, Platform, Unknown pleasures) puis émis quelques réserves sur les deux suivants (The World, Still life), il était sans doute fatal que le sixième m'ennuie pour de bon.
24 City (Er shi si cheng ji) est un documentaire-joué ayant pour cadre la ville de Chengdu et plus précisemment son usine d'armement nationale, démantelée pièce par pièce pour laisser sortir de terre un gigantesque projet immobilier privé ultra-moderne (portant le nom donnant son titre au film). Il est entendu que le cinéaste continue là sa formidable entreprise d'enregistrement des soubresauts de la société chinoise contemporaine. Ce qui me gêne cependant de plus en plus dans son travail, c'est l'emprise du concept. Entre de magnifiques mais brèves prises de vues documentaires de l'usine agonisante, Jia Zhangke filme, dans d'interminables plans-séquences, les monologues récités par d'anciens ouvriers (ou des comédiens jouant les ouvriers) et abordant leur expérience professionnelle dans les ateliers et surtout des souvenirs personnels douloureux. Dès le premier vrai-faux entretien, j'avoue m'être peu intéressé à ces histoires et le mélange entre documentaire et fiction ne m'a pas paru concluant.
Le projet, lié à la mémoire collective et individuelle, la fabrication et les intentions sont plus stimulants que le film lui-même, ce qui est relativement embêtant. Cela me ramène à cette idée de concept étouffant. Pour ses trois dernières réalisations en date (hors court-métrages), le cinéaste investit un lieu fort, singulier et propice au développement d'une métaphore politique et sociale (parc d'attractions dans The World, ville engloutie dans Still life, usine désafectée ici) et il y déroule des récits minimalistes, tout en espérant en dégager de profondes réflexions. A cette démarche de grand témoin-auteur de son temps, je préférais définitivement la tension parcourant Xiao Wu, le ballottement historique et le tissage scénaristique de Platform, le travail sur la durée et les surprises du quotidien d'Unknown pleasures.
Commentaires
Moi qui vais vois tout et n'importe quoi pour peu qu'on en dise un peu de bien (ou beaucoup de mal), j'ai fui ce 24 city après avoir subi les mêmes déconvenues que toi (The world & Still life). Jia Zhangke est sans doute le cinéaste qui m'ennuie le plus actuellement, prenant peu à peu la place de Theo Angelopoulos.
Eh bien, me voilà rassuré... Moi aussi, il y a quelques mois, je m'étais grandement ennuyé et était resté totalement extérieur au fil et commençait à déplorer la "sous-fictionnalisation" de son cinéma (même si dans Still Life, le contexte me paraît suffisant à faire tenir le film tout seul). En lisant les éloges interminables, je me suis demandé si je n'étais pas passé à côté, mais j'ai vraiment l'impression que Jia Zhang-Ke a fait le film qu'on attendait de lui, avec le discours qu'on attendait sur la Chine.
Rob : Pour moi, le terme de "déconvenue" est trop fort pour "The World", qui m'avait tout de même plu, malgré l'émergence, pour la première fois, de quelques réserves, suite à des petites baisses d'intérêts au cours du film. Celui-ci venait, de plus, comme je l'ai dit, après trois autres sensationnels. En revanche, cela commence à être justifié pour "Still life", notamment par rapport à l'accueil critique qu'a eu le film à sa sortie. Il y a là encore de très belles choses mais le fil narratif est vraiment trop ténu.
Joachim : Je n'en étais pas très sûr, mais il me semblait effectivement que tu avais évoqué ta déception. Tu tombes tout à fait juste en pointant cette "sous-fictionnalisation". Les critiques tiennent là le "plus grand cinéaste chinois", ils veulent le faire savoir, occuper le terrain, au risque de le suivre jusque dans ses impasses.
Je me rappelle du passage sur 24 city dans l'émission "Le cercle" sur Canal+ cinéma ou autre, il y avait quelque chose d'assez révélateur. Il y avait des très très enthousiastes et des très très sceptiques, mais personne n'avait envie de convaincre l'autre. Les uns ont résumé Jia Zhangke en disant, comme tu le dis plus haut, "on tient le plus grand cinéaste chinois actuel", les autres se contentant d'affirmer "ça m'emmerde". Aucun débat, même pas un embryon d'engueulade. Il semble qu'il parle à une partie du public, pas à une autre, et que personne (ni le spectateur, ni le réalisateur) n'ait envie de faire l'effort pour combler ce fossé.