Au cours d'un homérique combat entre, d'un côté, cent brigands et, de l'autre, le seul Capitaine Fracasse, on voit ce dernier installé sur une potence en train de couper la corde soutenant un pendu dans le but d'écraser quelques combattants placés sous lui. Le héros, nous ne l'avons pas vu monter là-haut et nous ne le verrons pas plus descendre.
On peut parler de fulgurances pour louer la mise en scène d'Abel Gance mais on ne peut guère parler que de ça tant le cinéaste aura répugner dans Le Capitaine Fracasse à soigner ses transitions entre les plans, à compter sur autre chose qu'une succession d'images fortes affichant des traits saillants, des élans poétiques, des expressions comiques (la vie et le théâtre se mêlant sans cesse, les performances des comédiens en deviennent souvent pénibles). Le roman de Théophile Gautier est déjà rocambolesque mais la hâte dont fait preuve Gance pour enchaîner les rebondissements met notre crédulité à rude épreuve.
Cet empressement rend par ailleurs les scènes d'action parsemant ce récit de capes et d'épées difficilement lisibles. Ainsi, lors de la première, qui rend compte de l'attaque de la troupe de comédiens par un bohémien, nous comprenons le stratagème (utiliser des épouvantails pour faire croire que l'on est toute une bande) seulement lorsqu'elle est terminée. La séquence est en effet trop confusément mise en images alors qu'elle ne consiste pourtant, finalement, qu'en un face-à-face entre le voleur et le Capitaine Fracasse.
Il resterait bien sûr à savoir à quel point les conditions de tournage d'une part (le film fut réalisé en 1942) et de montage d'autre part peuvent expliquer ce qui apparaît comme un ratage. Un ratage qui peut tout de même être qualifié d'intéressant car l'emphase, la naïveté poétique, la franchise romanesque ainsi que l'audace du cinéaste, même si elle est souvent mal placée, font de ce Capitaine Fracasse une curiosité plutôt qu'un supplice. Il faut en effet oser rythmer un duel à l'épée par une série de rimes, comme chez Edmond Rostand (et ne pas montrer le dernier geste mais seulement son résultat, quelques secondes plus tard), ou entamer son récit par un prologue lugubre et intrigant, trouvant son pendant dans les dernières minutes, lors d'un dénouement heureux qui ne rassure cependant qu'à moitié tant l'hypothèse d'une folle hallucination du héros reste recevable.
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LE CAPITAINE FRACASSE
d'Abel Gance
(France - Italie / 108 min / 1943)